Savez-vous ce que je me suis dit en passant au dessus de la Staromestská à Bratislava et en regardant à gauche ? « Oh, on dirait une soucoupe volante ! » Peut-être avez-vous eu exactement le même réflexe d’ailleurs ! La remarque pourrait sembler totalement anodine. En réalité, elle est loin de l’être car en se faisant cette réflexion, nous affirmons que nous reconnaissons ici, dans cette forme particulière, à cette altitude là même si cela ne lévite pas, quelque chose que pourtant la quasi totalité d’entre nous – j’intègre l’humanité entière – n’a jamais vu et dont nous – en particulier la communauté scientifique – ne sommes même pas certains de l’existence… N’est-ce pas étrange d’avoir une idée préconçue de ce à quoi ressemble ce qui n’a pourtant jamais été observé ?
En cherchant et choisissant ce titre, je pense soudainement à Stephen Hawking, décédé aujourd’hui, et dont La brève histoire du temps – d’abord le livre puis le documentaire – a marqué ma fin d’adolescence et les années qui ont suivi, mais aussi contribué à mon rêve d’alors de devenir astrophysicienne. Ce dernier n’a, d’un commun accord, pas survécu au monde réel, ce qui, fort heureusement, ne m’a jamais empêché d’avoir la tête dans les étoiles. Je me souviens en particulier être ressortie de cette salle de cinéma sur les Champs Elysées avec une question en tête, posée dans le film : qui de l’oeuf ou de la poule est arrivé en premier ? Bien des années après, j’ai d’ailleurs pu illustrer photographiquement et fortuitement cette question légitime et sans réponse en descendant les marches d’un escalier de Portland, Oregon.
Mais ceci n’est qu’une digression. Pas encore du détournement d’attention car je n’ai rien à vous vendre ni à vous cacher. Ceci dit, cette digression a de la suite dans les idées et le titre du best-seller du physicien lui fait curieusement écho. J’allais en effet écrire une énième fois que le temps passe vite, et que là, quoi que l’on en dise, était manifestement sa nature. J’en veux pour preuve scientifique que personne n’a jamais entendu quelqu’un lancer : « Par les temps qui marchent » ou encore « Par les temps qui traînent ». En revanche, « par les temps qui courent » est passé dans le langage… courant… Nous sommes bien d’accord ! Ce qui nous conduit à cette image, que je perçois aujourd’hui comme un étrange paradoxe. Voyez plutôt : ne trouvez-vous pas étonnant que pour montrer que le temps passe vite, en somme qu’il file comme l’éclair, il faille justement prendre son temps et faire une pose longue ?
Se hisser au sommet de l’Empire State Building à l’heure du goûter – c’est mon côté régressif -. Penser aux nuits blanches de Sam Baldwin et d’Annie Reed – c’est mon côté fleur bleue -. Se pencher vers le monde d’en bas – c’est mon côté casse-cou – dont l’écho s’arrête heureusement en chemin – c’est mon côté sensible -. Vérifier que tout y est, les taxis jaunes, les embouteillages, les piétons affairés, les toits chargés de toutes sortes de machineries – c’est mon côté inspectrice des travaux finis -. Suivre, pas à pas, l’inéluctable descente du soleil et ses retentissements sur la ville : d’abord, les ombres qui gagnent du terrain et plongent précipitamment les rues dans une nuit avant l’heure, puis la lumière jaune et chaleureuse qui se dépose sur les hautes façades comme de fines feuilles d’or et vient aussi miraculeusement arroser les bas fonds, là où la vie trépigne d’impatience, dès lors que ceux-ci ont le bon goût d’être bien lunés ! C’est mon côté contemplatif… Puis se laisser « transe-porter » par l’arrivée progressive des lumières du soir dans la cité, chargées d’accueillir sereinement la nuit, la vraie, scintillante, crépitante, cosmique. C’est mon coté rêveuse…
Voyez-vous, tout au bout de la rue, la masse beige s’intercalant entre des palmiers et un poteau électrique ? C’est un bout de dune. De dune comme on en croise dans les déserts. Rien d’anormal en l’occurrence puisque cette ville, Arica, certes portuaire, est cernée, côté terre, par le plus aride d’entre eux, le désert d’Atacama. Et il faut croire que le Père Noël, bien planté là, n’en a pas vraiment peur. Ni de lui ni des coups de chaleur inévitables qu’il s’apprête à vivre en restant ainsi accoutré pour faire ses livraisons locales… Pourquoi une iconographie de Père Noël en short et débardeur n’a-t-elle pas émergé là où 25 décembre rime avec été ou chaleur torride ? Et comment continuer à y croire face à un tel manque d’adaptabilité et de souplesse d’esprit ?
Croiser une personne nous annonçant qu’elle en connaît une autre – de près, de loin – ayant exactement les mêmes nom et prénom que nous, ou que, pas plus tard qu’hier, elle en a vu une nous ressemblant comme deux gouttes d’eau – expression propre aux pays non touchés par la désertification -, ou apprendre que nous avons au moins un homonyme dans notre propre ville et que nous partageons le même ophtalmologiste, ou pire encore, se retrouver face à lui – l’homonyme – provoque, assurément, une secousse tellurique très intime inversement proportionnelle à la fréquence de ce qui sert communément à nous nommer, et donc à nous désigner, depuis notre naissance. Sans doute, les Marie Martin, cumulant à la fois les prénom et nom les plus répandus en France depuis les années 60, réagissent-elles plus sobrement en effet qu’une hypothétique Noélyne Pourbaix-Lerebourg…
Tout d’un coup, nous réalisons, si la vie ne s’en est pas chargée plus tôt, que nous ne sommes pas uniques, que des gens, de parfaits inconnus aux mœurs peut-être, que dis-je ?, certainement, radicalement différentes des nôtres, répondent aux mêmes injonctions que nous, en dépit du sens commun et de ce qui s’échange sur la portée des prénoms choisis ; que des sosies se baladent librement sur Terre sans que nous ayons vraiment conscience de leur existence et de leur nombre, ni planifié de les rencontrer un jour… Pour autant, et nous le comprenons assez vite heureusement, ces doubles, fantasmés ou pas, n’en sont pas vraiment. Notre unicité est sauve ! Un peu comme avec les premières dix images de cette série à double fond, pur exercice de mathématique combinatoire à la difficulté croissant avec la pratique photographique, images souffrant de ce que nous pourrions appeler « photonymie », dont les formes les plus avancées conduisent inexorablement à des rencontres fusionnelles aussi étonnantes que foisonnantes entre des lieux, des moments, des personnes qui ne se sont évidemment jamais réellement croisés ailleurs que dans mon passé.
Alimenter quotidiennement un site comme je le fais ici depuis plus de 5 ans requiert d’instaurer une sorte de régime iconographique équilibré. L’idée, ou plutôt l’espoir, est en effet d’éviter l’overdose ou l’indigestion de certains ingrédients – trop de photos de chats, trop de photos de fleurs par exemple (!) -, ou la répétition maladive, qui conduit inexorablement à l’ennui. Le mien en premier lieu – désolée pour cette impolitesse -, le vôtre aussi bien sûr, que vous soyez 10 ou 1 000. Car, il n’y a rien de plus terrible à mes yeux que l’ennui, quoiqu’en disent certains philosophes qui le vénèrent.
De fait, même s’il y a bien évidemment des images, des thématiques récurrentes et clés dans ces pages – quoi de plus normal puisque toute photographie n’est ni plus ni moins que la matérialisation d’un intérêt personnel et, à ce titre, elle participe à l’écriture d’une autobiographie -, j’essaye, autant que faire ce peut de varier régulièrement les plaisirs. Ainsi passé-je en revue la dizaine de duos précédents pour, à l’issue du tour d’horizon, et comme s’il s’agissait d’une salade à composer, lâcher très trivialement des sentences comme : « Tiens, cela fait longtemps que nous ne sommes pas allés en Namibie » ou « Il n’y a pas du tout de rouge sur cette page… » ou « Où sont les hommes ? » ou encore « Bon, la mer, l’océan, on a compris, tu aimes l’eau et les grandes étendues, mais ça suffit… » ou « Cela manque de verdure quand même ces temps-ci »…
Ce soir, je me suis donc dit : « C’est le moment de retourner en ville avec une photo très urbaine ». Un peu froide donc, mais pas nécessairement désincarnée. Direction Los Angeles, la cité des anges autant que des clichés. Comme ceux sur lesquels je tombe en m’extrayant du Bradbury, ce splendide immeuble rénové au « cœur » de la ville – si tant est que cette mégalopole puisse en avoir un – où ont été tournées les premières scènes de Blade Runner : les voitures dans un banal petit parking privé, celle de la police que l’on imagine déjà hurlante à pourchasser tel ou tel brigand, la folie des grandeurs avec cette gigantesque fresque murale d’Eloy Torrez représentant l’une des légendes d’Hollywood, Anthony Quinn, en icône christique – autre leitmotiv étasunien – sur un fond qui fait justement écho à l’aménagement du rez-de-chaussée du Bradbury, comme si l’un menait forcément à l’autre et réciproquement. Comme s’il était impossible d’échapper à la fiction en errant dans les rues de Los Angeles…
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
Tout était pourtant extrêmement bien préparé… J’avais les bonnes chaussures, les bonnes chaussettes aussi – c’est important quand on s’apprête à marcher 5 heures – ; j’avais prévu le pique-nique à mi-parcours sur la plage à mâter les surfers défiant, non pas des vagues géantes, mais les basses températures du Pacifique nord ; j’avais aussi […]