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Vous êtes vous déjà demandé, de façon purement théorique, quel unique objet vous prendriez avec vous sur une île déserte ? Un seul, oui. Chuck Noland a bien dû composer avec un ballon de volley dans « Seul au monde », alors pourquoi pas vous ? Enfin, l’avantage, avec la théorie, c’est que l’on peut poser une question sans en questionner la logique ou la pertinence : parce que, honnêtement, qui irait volontairement s’échouer sur une île déserte ? Je ne parle pas de l’île métaphorique ou de la « bubble » sur ou au creux de laquelle nous vivons en ce moment, pas forcément de façon volontaire ceci dit. Non, la « vraie » île déserte, celle de nos dessins d’enfant, un bout de sable émergeant de la surface d’une eau forcément turquoise, une poignée de palmiers plantés ça et là, des rochers aux formes étranges, un soleil rayonnant au dessus et… pas grand chose de plus en fait.
Cette question-là, nous nous la sommes posée il y a des années. Et à chaque départ, nous repensons à nos réponses en veillant bien à ne pas les oublier dans nos bagages. On n’est jamais trop prudent… Ce n’est pas très charitable de ma part mais la sienne m’a toujours fait rire : un coupe-ongle ! J’ai eu beau argumenter que son intérêt à long terme était limité, que les dents pouvaient faire le même travail, moins soigneusement certes, mais tout de même, un seul objet, vraiment, le coupe-ongle ? Oui, oui, et encore oui ! Devant tant d’opiniâtreté bretonne, j’ai capitulé. Ceci dit, en théorie, tout s’entend. Pour ma part, après avoir envisagé emporter un album photo pour ne pas oublier les visages aimés, j’ai opté pour un objet plus utile dans ces circonstances : le couteau suisse de mes 22 ans. Nous avons évidemment les deux avec nous ici en Nouvelle Zélande. Qui n’est pas une île déserte, même si l’on peut passer des heures et des heures à rouler sans croiser qui que ce soit d’autre que son reflet dans le rétroviseur.
Cette faible densité est, je l’ai déjà évoqué, l’une des raisons pour lesquelles le COVID-19 (il est rarement nommé coronavirus ici) a peu de prise en NZ : la distanciation sociale est inhérente à la vie des îliens. Aujourd’hui, cela fait ainsi deux semaines que le confinement a débuté. Depuis plusieurs jours, le nombre de nouveaux cas est en chute libre : 50 hier et 29 seulement aujourd’hui – une petite victoire à laquelle, étrangement, j’ai l’impression de participer – ; les guérisons quotidiennes dépassent les contaminations ; 14 personnes sont hospitalisées et il n’y a « toujours » qu’un unique décès à déplorer (déjà mentionné, une femme de plus de 70 ans avec des antécédents médicaux). Lorsque je me penche sur les statistiques et situations des autres pays – effrayantes pour certaines telle la courbe vertigineuse actuellement suivie par les Etats-Unis ou l’impact dramatique à venir du confinement en Inde –, j’ai l’impression de vivre à des années-lumière de la planète bleue. Certes, la vie est entre parenthèses ici aussi, mais elle est tellement paisible, tellement déconnectée du climat anxiogène que beaucoup semble vivre… C’est un peu comme si j’étais une auditrice lointaine d’une fiction apocalyptique diffusée en mondovision, genre la « Guerre des mondes » d’Aldous Huxley lue par Orson Welles en octobre 38, sans la légendaire panique des Américains en l’entendant. A la différence près que, là, c’est vrai. C’est vrai, n’est-ce pas ? Rassurez-moi ! Enfin…
Anyway, les autorités néo-zélandaises sont confiantes – les habitants aussi : c’est même presque surréaliste de voir un peuple avoir ainsi confiance en ses dirigeants ! comme quoi, ce n’est pas un contresens –, et, sans envisager d’avancer la fin du confinement pour autant – il s’achèvera comme prévu le 22 avril –, elles préparent l’après – probable rétrogradation d’un point du niveau d’alerte – et demandent aux entreprises – en particulier aux commerces – d’en faire autant. Tout est arrêté depuis deux semaines et, comme partout dans le monde, les conséquences économiques et sociales de cette pause imposée sont importantes, les aides de l’Etat ne pouvant tout compenser. Bien sûr, la vie ne reprendra pas « comme avant » et ne sera sans doute pas « comme après » non plus. Ce sera un E2DNI, un Entre-Deux à Durée Non Identifiée… Pendant ce laps de temps, les tests vont se poursuivre. Afin de retracer au plus vite le parcours d’une transmission éventuelle du virus, les interactions entre personnes vont aussi être suivies. C’est en gestation, mais cela passera peut-être par une App à installer sur son téléphone. Certes, c’est justement la capacité à remonter le fil des contaminations qui a permis de limiter les contagions, mais quel impact pour les libertés individuelles, à court, moyen et long terme ? Autant directement passer à l’étape suivante de l’humain augmenté et nous greffer une puce dans l’avant-bras, non ?
Le contrôle des frontières est le dernier point du programme de demain. Comme toute île, la Nouvelle-Zélande fait déjà très attention à tout ce qui transite sur son territoire – par exemple, nous avons dû montrer nos semelles en arrivant… Là, il ne s’agira plus simplement de vérifier la propreté des chaussures, il faudra également veiller à ce que personne ne rapporte de cadeau empoisonné à la maison. De fait, dès ce soir, les kiwis rentrant au pays seront obligatoirement isolés 14 jours au moins dans des hôtels. Ce n’est pas le sanatorium à la Sibérienne (clin d’œil amical) mais quand même…
Pour l’heure, il n’est pas du tout question de rouvrir les frontières du pays à qui que ce soit d’autre. La dernière fois que le sujet a officiellement été abordé, il était même envisagé de les garder imperméables pendant 12 à 18 mois, le temps qu’un traitement ou vaccin fiable soit disponible.
C’est long pour un pays qui accueille près de 4 millions de visiteurs internationaux chaque année, presque autant que sa population – les prévisions à 2024 tablaient même sur 5,1 millions ; imaginez le bazar que provoque d’ailleurs cette pandémie chez les statisticiens, prévisionnistes, prospectivistes en tous genre : tout, tout, absolument tout est à revoir ! – et dont une partie de l’économie repose, a fortiori, sur le tourisme. Le reste, et dans volumes plus importants, ce sont les vaches, les moutons, le vin et le bois…
Bien sûr, que cette pandémie ait atteint cette échelle mondiale de façon aussi fulgurante est intimement lié à la facilité et à la rapidité avec laquelle nous pouvons désormais voyager, nous déplacer sur cette planète, passer d’un pays à l’autre, y déposer nos miasmes sans le savoir avant d’aller les semer ailleurs. Et, en oubliant les miasmes quelques instants, cela fait déjà quelques années que les dérives du tourisme de masse sont pointées du doigt, que certaines villes n’en peuvent plus, que les touristes-bulldozer ne sont plus les bienvenus, qu’il nous faut repenser nos migrations légères et volontaires, mais parfois lourdes de conséquences.
Ce virus, peu enclin à faire des concessions va donc très tranquillement – même s’il faut veiller à ne pas lui attribuer d’intention consciente, ce qui, à vrai dire est question ouverte à l’heure où certains parlent de karma, de planète nous transmettant un message… – et comme sur de nombreux autres sujets sur lesquels il envoie un coup de projecteur, exacerbant par la même occasion les failles de nos systèmes, fonctionnements et réflexes, ce virus va donc, inexorablement, précipiter le changement. C’est du moins ce que nous espérons tous. Je rectifie, c’est du moins ce qu’espèrent toutes les personnes que je connais. Car, même si ma bulle est large, je suis bien consciente qu’elle comprend majoritairement des personnes qui partagent le même système de valeurs et les mêmes espoirs que moi… Ceci dit, c’est un bon point de départ et il faut bien commencer quelque part !
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