Photo-graphies et un peu plus…

Train d'enfer

 Avant, lorsque nous prenions le train, c’était relativement simple : une voix off nous annonçait que nous allions bientôt partir, demandant, dans la foulée, aux personnes accompagnant les voyageurs de descendre du train, translation à l’issue de laquelle la même voix souhaitait un bon voyage à ceux qui y étaient restés et s’apprêtaient à rejoindre leur destination finale. Tchou tchou !

Aujourd’hui, certes, la voix off, qui n’a pas vieilli d’une seconde mais a peut-être changer de genre, nous énonce toujours ces deux lois, mais également qu’il est interdit de fumer, dans les wagons, au niveau des plateformes, dans les toilettes, y compris des cigarettes électroniques. Elle nous rappelle aussi qu’il est obligatoire d’étiqueter nos bagages, qu’il ne faut par ailleurs pas les laisser traîner dans le passage et en particulier, près des portes d’entrée et de sortie du train, dont il est évidemment strictement interdit de s’extraire s’il n’est pas à la fois à l’arrêt et à quai. Cette même voix, déjà lasse, nous exhorte à passer nos communications téléphoniques dans les sas pour ne pas déranger nos voisins, et, pour la même raison, nous invite assez autoritairement à nous doter d’un casque pour écouter ce qui sort de nos MP3, ordinateurs, consoles, tablettes ou smartphones.

Subitement, j’ai le sentiment que la vie dans le train a beaucoup évolué en quelques années, qu’elle est devenue bien plus contraignante, alors même qu’il s’agit toujours d’aller d’un point A à un point B dans un wagon tracté par une locomotive. A qui la faute : aux développements technologiques ou au manque de savoir vivre ensemble des voyageurs ?

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L'attente

L’an passé ou plus loin encore, faute de clone compréhensif ou plutôt de clone tout court, je me suis mise à scanner, plus ou moins méthodiquement, les négatifs de mes années argentiques. Au bout du 4 487e scan, je me suis sentie un peu lasse… La répétition sans doute. J’ai donc stoppé là, temporairement j’espère, ma mission de préservation et de réactivation de ma mémoire. En quelques semaines, j’avais ainsi vu défiler plusieurs années de ma vie, essentiellement la partie composée de voyages et d’évasions, celle des moments forts.

J’avais parcouru des dizaines de milliers de kilomètres, du désert du Namib au Machu Picchu en passant par les plages de Californie ; j’avais arpenté New York, Monbasa et Istanbul ; j’avais croisé des manchots, des girafes et même des dromadaires ; j’avais siroté du thé marocain, savouré des pasteis de nata portugaises et dévoré des burgers canadiens le tout arrosé de cappuccinos italiens ; j’avais revu des amis, de la famille et des inconnus, dont certains sont toujours là et d’autres plus… J’avais parcouru tout cela et beaucoup d’autres choses encore sans trop me voir finalement. Ce qui m’avait fait repenser au titre d’un film d’Isabel Coixet, « Ma vie sans moi », même si cela n’avait rien à voir. Ma vie sans moi donc car je n’y apparaissais pas formellement, mais ma vie à moi puisqu’il s’agissait bien là de ce que j’avais vécu et voulu enregistrer de ce que j’avais vu sachant que j’allais certainement l’oublier, un jour prochain, tout du moins dans les détails. C’est une étrange sensation…

A cette époque là, je ne savais pas que la photographie allait prendre autant de place dans ma vie. J’en suis toujours étonnée d’ailleurs (même si cela me paraît tout à fait logique finalement). Ce qui m’a fait poser un regard d’un autre type sur ces images extraites du passé au moment même où je les scannais assez machinalement, me refusant à faire un tri drastique entre les « bonnes » photos ou les « mauvaises » photos. Car une mauvaise photo peut rappeler un très bon souvenir. Au-delà de cette montagne de réminiscences, donc, j’avais devant moi des années de recherche inconsciente, j’avais l’évolution de ma photographie, son cheminement, ses tâtonnements, ses errances, ses ratés (très nombreux a posteriori), ses approximations, ses systématismes, ses retours en arrière, ses réflexions, ses codes, ses leitmotivs, ses déclics et parfois ses fulgurances… Parmi elles, j’ai une vraie tendresse pour cette image. Fin des années 1990. Sri Lanka. Sud. Je suis juste dans la jeep devant. Je ne me cache pas pour prendre cette photo. Aujourd’hui, le trio de tête m’interpelle étrangement. Alors qu’ils sont ensemble, dans cette même unité de lieu motorisée et cahotante, il me semble évident qu’ils sont tous trois ailleurs, chacun sur sa planète, chacun dans son monde, chacun dégageant une atmosphère particulière, chacun avec une relation singulière à ce monde dans lequel, techniquement, nous vivons tous et où nous sommes à la recherche d’éléphants…

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Premier cycle

Ne vous fiez pas à cette image de Kandy – pas l’héroïne orpheline globe-trotteur de nos jeunes années qui attendait désespérément son prince sur la colline, non, Kandy, la ville sri-lankaise -, c’est un leurre : dans la vraie vie, les enfants ne restent pas sagement en rang deux par deux en attendant qu’on leur dise quoi faire. Dans la vraie vie, ils chahutent, ils trépignent, ils se harponnent, ils s’écharpent, ils crient, ils courent sur la route en dépit du danger et d’un bon sens qu’ils n’ont malheureusement pas encore acquis.

J’adore les enfants ! Oui, je sais, après cette introduction, ça sonne un peu faux. Je précise donc ma pensée : à petites doses – pas nécessairement homéopathiques -, j’adore les enfants. Voilà, comme ça, c’est mieux. Les doses peuvent être estivales par exemple – le moment préféré des parents qui se délestent de leurs merveilles du monde auprès de leurs propres parents, frères, sœurs, oncles, tantes, bouchers, zoos (ceux où les animaux évoluent en liberté quand même)… : ça tombe bien, c’est l’été. Youpi ! Il y a quelques jours, le premier en fait, m’est venue cette étrange pensée : « D’une certaine manière, s’occuper d’enfants est intellectuellement reposant ». Pas le temps de tergiverser, de douter, de se poser des questions existentielles et/ou abstraites auxquelles on peut se permettre de chercher les réponses des années durant sans avancer d’un iota : le luxe de la nullipare heureuse.

Non, à problèmes concrets, réponses instantanées : les gâteaux sont là, apporte m’en un s’il-te-plaît (morfale mais polie quand même) ; ton maillot est mouillé ? tu n’avais qu’à le sortir de ton sac ; ne mets pas les mains dans ta bouche, tu vas attraper un staphylocoque doré et tu ne réussiras jamais à t’en débarrasser ! ; va te brosser les dents, tu as un bout de salade en 12 (pour ceux qui me lisent régulièrement…) ; ne jette pas du sable sur la petite fille, elle ne t’a encore rien fait ; ne va pas te noyer quand je regarde ailleurs ; tu as bu ? (de l’eau, je précise) ; non, je ne gonflerai pas ta bouée géante pour la 10e fois… Allez donc caser un questionnement sur le sens à donner à votre vie là-dedans ! Le repos n’est évidemment que relatif : si l’esprit fait une pause, le corps est à l’agonie !

Les jours suivants, on se dit tout simplement que nous sommes en train d’interpréter notre propre version d’Un jour sans fin, le célèbre film d’Harold Ramis dans lequel Phil Connors, un monsieur météo auquel Bill Murray prête ses traits grincheux, revit indéfiniment la même journée dans une ville sans intérêt apparent : jour après jour, les mêmes événements, à quelques variantes cosmétiques près – la couleur du short, la couleur du ciel, la couleur de la menthe à l’eau… – se produisent dans le même ordre, aux mêmes heures, pendant la même durée ; jour après jour, on répète les mêmes sentences que la veille, sans fléchir mais en espérant, comme Phil Connors, qu’un jour, prochain, c’est-à-dire avant la fin des vacances, cela finira par rentrer, que l’on n’aura plus à imiter le perroquet et que nous pourrons enfin passer à une autre journée !

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Lâche-toi

La photo de dos est-elle une photo lâche, ou plutôt de photographe lâche, ou plutôt de photographe qui ne fait pas véritablement face, qui n’assume pas complètement ce qu’il est en train de faire et qui, à défaut de se cacher pour le faire – derrière un arbre avec un zoom indécent par exemple – préfère le cacher aux autres tout en le faisant ? Bien sûr que non (pouvais-je réellement répondre autrement ?). De prime abord, la photo de dos paraît toutefois plus facile à réaliser que la photo de face(s). Détrompez-vous !

La photo de dos a ses subtilités, ses contraintes et exige de la part de ceux qui la pratiquent une grande réactivité et une maîtrise certaine de la transparence, caractère particulièrement complexe à acquérir pour tout être humain normalement constitué. Car, pour qu’une photo de dos soit réussie, il est primordial de ne capter aucune face de face. En d’autres termes, en plus d’attendre le moment, parfois très court, où tout le monde est retourné, de quart ou de profil, il faut, en outre, ne pas être repéré, ne pas attirer l’attention – une véritable gageure dans un contexte comme celui-ci comme vous l’imaginerez aisément -, ne croiser aucun regard qui trahirait non seulement notre présence mais également l’opération en cours.

Ce n’est certes pas interdit par le règlement intérieur du parfait photographe… Simplement, la photo ainsi faite changerait de nature et un observateur extérieur ne l’aborderait absolument pas de la même manière. Son regard convergerait inéluctablement vers la personne de face, qu’elle percevrait alors comme une sorte d’élu du photographe, comme l’objet de son attention, avant, dans le meilleur des cas, de jeter un œil discret au reste de l’image. A contrario, dans la photo de dos totale, chaque dos, chaque détail, chaque posture, chaque geste, chaque élément de l’image devient important et, en quelque sorte, unique, donc digne d’intérêt, c’est-à-dire, digne d’être regardé. Ainsi la photo de dos s’apparente-t-elle à une photo démocratique mettant chacun sur un pied d’égalité, sur laquelle l’œil se balade librement d’un coin à l’autre sans être fortement guidé par celui du photographe…

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A suivre

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A dos laissant

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Point de vue ex-ceylan

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Sur la route

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Jeu de batte

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Le vendeur de couleurs

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