Photo-graphies et un peu plus…

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Hier soir et une bonne partie de la nuit, le ciel s’est déchaîné ici, à Paris. Un orage incroyable, des pluies diluviennes, des lames d’eau même, de puissantes rafales de vent, de vibrants coups de tonnerre et des éclairs – des fulmineux, des ramifiés, des sinueux – si puissants et nombreux qu’ils donnaient la sensation qu’un petit malin s’amusait avec l’interrupteur céleste, jour nuit jour nuit jour… Le tout, au beau milieu d’une discussion groupée et à distance sur le chamanisme, les arbres, la nature, les ancêtres, les esprits, les totems… Le tout, la veille du déconfinement tant espéredouté. Tout pourrait être déconnecté. Ou pas.

J’ai mon Encyclopédie des symboles sous les yeux, page 683 à Tonnerre, « Presque toutes les civilisations antiques voient dans le tonnerre un moyen utilisé par les êtres célestes pour indiquer leur présence : ce sont ces mêmes êtres qui sont d’ailleurs bien sûr à l’origine de la foudre. (…) Le tonnerre est souvent interprété comme un signe de la colère divine à la suite d’un bouleversement de l’ordre cosmique ; il en allait ainsi chez les Celtes, et particulièrement chez les Gaulois où le grand Taranis en était le maître. Toutefois, ce bouleversement du ciel et des éléments était généralement dû à la mauvaise conduite des hommes, qui provoquaient ainsi la colère de dieu » (1). Les Indiens d’Amérique du Nord, les Yakoutes de Sibérie, les Chinois, les Aztèques, les habitants d’Europe centrale, les Tibétains, les Japonais en ont une autre approche. Les symboles étant intimement liés aux cultures, rien d’étonnant à ce que les interprétations d’une même notion, d’un même événement, d’un même objet, d’un même animal… diffèrent d’un bout à l’autre de la planète. La France étant un pays de tradition Celte – les irréductibles Gaulois –, c’est celle-ci que j’ai retranscrite ici. De l’autre côté, dans le même dictionnaire, je lis, page 278, au rayon Foudre qu’« [elle] est, dans une conjonction d’opposés, le principe de la vie et de celui de la mort (…). D’autre part, elle unit, le temps d’un éclair, le Ciel à la Terre ». Cet épisode orageux qui a traversé le pays cette nuit et aujourd’hui serait-il à la fois une mort – celle de l’ancien monde – et une naissance – celle d’une ère nouvelle ? Ou juste la conséquence logique de l’instabilité de l’atmosphère, d’un sol anormalement chaud et d’un air anormalement froid, générant un différentiel d’électricité en altitude. Craaac, Scraaaatch, Braoum ! Evidemment, tout cela est très symbolique.

Mais les symboles font probablement plus partie de notre vie que nous ne l’imaginons : « les avancées dans la neurophysiologie qui ont eu lieu ces dernières années, et en particulier les travaux d’Antonio Damasio (1994), confirment ce qui était jusque-là une intuition clinique : nous pensons en symboles avant de penser en paroles » rappelle le psychiatre Philippe Caillé (2). On dit ainsi du symbole qu’il montre, réunit et enjoint. Pour Claude Lévi-Strauss – note pour moi-même, lire son travail sur les mythes –,  le symbolisme est un « mécanisme régulateur de la société, une condition indispensable de son équilibre ».

Ah ah ah ! En ouvrant « au hasard » mon Encyclopédie, je tombe sur le mot Masque ! Ce n’est pas une blague. J’aime beaucoup le clin d’œil et je le perçois comme une invitation à poursuivre dans cette direction. Le masque est, à plusieurs titres, lui-même devenu un symbole de cette crise de coronavirus. Le masque comme symbole de l’incurie des dirigeants présents et passés – inutile quand il n’y en avait pas, utile depuis qu’il y en a, voire obligatoire bientôt dans certains cas –, le masque comme symbole d’une solidarité citoyenne – avec ces nombreuses initiatives spontanées de confection de masques en tissu destinés aux plus exposés, les soignants, puis, progressivement, à tous –, le masque comme symbole de respect de l’autre – en mettre, c’est d’abord protéger les autres, en particulier, les plus vulnérables –, le masque comme symbole iconique – en dessin, en photo, en pochoir, seul, sans tête autour, il sera, dans mon esprit, associé à cet événement pendant très longtemps –, le masque comme symbole de notre diversité culturelle – les pays ayant la culture du masque ont été nettement moins touchés que ceux qui ont commencé par le dénigrer avant de l’adopter, ce qui en fait également le symbole d’une certaine forme d’arrogance occidentale –, le masque comme symbole d’une résistance bienvenue – à quoi vont servir toutes ces caméras maintenant que nous allons errer masqués et non identifiables ? –, le masque comme symbole de créativité – en tissu, en papier torchon, avec des bouts de chaussette, des intercalaires transparents, en wax, avec des sacs d’aspirateur, des filtres à café, des bandanas, cousus main, à la machine, assemblé avec des agrafes, et même transparent pour que les personnes sourdes puissent lire sur les lèvres ! On est loin de l’idée classique du masque derrière lequel on se cache… Aujourd’hui, en nous masquant, nous montrons presque notre vrai visage. L’anthropologue Fanny Parise, qui a initié une étude sur l’anthropologie du confinement, estime d’ailleurs qu’il est devenu un « objet totem », au même titre que le PQ ou le gel à un moment (3). « L’objet totem ordonne les pratiques et les représentations du monde autour de sa manipulation. Il permet d’expliquer l’ordre des choses et d’affronter le quotidien » (4). Et la boucle est bouclée.

Aujourd’hui, 10 mai, c’est certes la veille du déconfinement, mais c’est aussi la fin de la 6eédition d’Objectif3280, que j’évoquais au Jour 12 de mon confinement à Wellington et qui a débuté le 8 avril. Il y a donc un peu plus d’un mois. C’est court un mois quand il faut réunir 3280 photos, c’est long un mois quand il faut maintenir l’attention. Pour moi, c’est toujours un moment de grande intensité, car la rencontre entre un rêve de communion – nous, ensemble, créant une œuvre unique – et la réalité – parfois dure : pas le temps, pas d’idée, pas envie ; souvent réjouissante : des images incroyables, des associations d’idées très variées, des impatiences… Et une nouvelle fois, la magie a opéré. 174 personnes vivant dans 21 pays ont participé et nous ont offert, se sont offert, de formidables échanges photographiques – logiquement et heureusement marqués par le confinement pour certains –, composant ainsi plusieurs centaines de photopoèmes – j’aurai le chiffre exact demain, une fois la fin officialisée – que je rêve désormais d’accrocher à des arbres, en pleine nature, pour que chacun puisse les découvrir au gré de ses errances, et ainsi, en une poignée de minutes, rire, réfléchir, pleurer, être surpris, bouleversé, ému, amusé, émerveillé, inspiré… Merci à vous de m’avoir à nouveau transportée dans un monde où le rêve a toute sa place. Alors, continuons gaiement ! Demain est un autre jour et nous l’attendons !

J’ai d’ailleurs choisi d’illustrer ce texte avec la photographie que j’ai prise comme point de départ de cette 6eédition un peu particulière. Ce matin-là, après avoir fait l’ascension du Roys Peak sur l’île du sud de la Nouvelle Zélande à la lueur de la Lune, j’avais surtout pensé à l’importance de vivre chaque instant intensément, à ma chance d’être là, même si, finalement, l’événement est tout sauf rare : le soleil se lève et se couche tous les jours depuis des milliards d’années et le fera encore pour autant d’années. Je regarde désormais cette image avec un autre œil. De façon plus symbolique, comme l’aube d’une nouvelle ère à laquelle nous avons, chacun à notre échelle, l’opportunité de donner une direction plus juste, plus respectueuse et plus équilibrée…

 

  1. Encyclopédie des symboles, Encyclopédie d’aujourd’hui, Le livre de poche
  2. https://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapie-familiale-2005-1-page-189.htm
  3. https://anthropologieduconfinement.com
  4. https://www.huffingtonpost.fr/entry/mon-masque-fait-maison-et-moi-comment-ce-nouvel-objet-totem-a-envahi-le-quotidien-des-francais_fr_5eb07dfec5b602af0b8c696e

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S’arrêter, se coucher sur la terre ferme, ouvrir grands oreilles et yeux et lâcher prise. Regarder devant soi, admirer la majestueuse danse des arbres aux sommets, écouter le vent se faufiler dans leurs feuilles, voir les rais du soleil jouer à cache cache avec leurs troncs, entendre leur bois sec plier sous l’effort… Etre, là.

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