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De façon générale et quasi universelle, les panneaux de signalisation ont, par définition, pour fonction d’indiquer, je dirais même plus, de signaler, la proximité ou l’entrée d’un site : une ville, un parc, une aire d’autoroute, une gare, une forêt, un musée, un hôpital, une grotte, un département, une réserve naturelle… En somme, quelque chose de concret, de solide, de palpable, de réel. Pourvu d’un contenu, des immeubles des gens, des arbres des fleurs, des voitures des toilettes, des trains des passagers, des arbres des animaux, des tableaux des gardiens, des malades des soignants, des insectes des stalactites, des villes des champs, des girafes des éléphants… Je trouve donc plutôt réjouissant et puissant que, une fois n’est pas coutume, un tel panneau se fasse non pas l’écho de ce qui existe mais de ce qui n’existe pas : une ligne purement imaginaire, située dans un désert qui plus est ! Prenons-en de la graine et allons planter, dans nos contrées un peu trop conventionnelles, les marques de nos rêves et utopies !
Je lui dis, un peu prétentieuse :
– Ici, ce n’est vraiment pas pratique et instinctif de s’orienter sur les routes quand on n’est pas du coin !
J’argumente ma critique en rappelant – ce qu’il sait déjà puisque c’est son pays – que le nom des villes par lesquelles passent les routes n’est pas indiqué sur les panneaux de signalisation, ce qui est le cas en France notamment. Et qu’il faut donc, un peu comme à la bataille navale, croiser numéros d’autoroutes et spécifications cardinales – nord, est, sud, ouest – pour trouver son chemin. Autant dire, avoir une boussole dans la boîte à gants à défaut d’un douloureux compas dans l’œil ! D’autant que l’approche n’est pas sans faille : il arrive en effet que la route dénommée ouest par exemple, aille, en réalité, vers l’est… Ces pièges sont rares, certes, mais ils existent. Et même sans aller jusqu’à ces extrémités, les villes nord-américaines, puisque c’est d’elles dont il s’agit, même si globalement pensées sous forme d’un parfait quadrillage, ne sont pas toutes alignées les unes aux autres suivant ces quatre pôles emblématiques. Certaines sont plutôt au nord-ouest, d’autres au sud-est… Bref, pas simple quand on ne sait pas où l’on va. Je suis convaincue de la justesse de mon argumentation et m’attends naturellement à un « C’est vrai, tu as raison ! ».
Mais il ne capitule pas. Et me lâche, aussi fier que j’ai pu l’être quelques minutes auparavant :
– Et bien moi, je m’y perds sur les routes françaises car si l’on ne sait pas, par exemple, qu’Angoulême, où l’on se rend, est avant Bordeaux, la ville notée sur les panneaux, et bien, on n’est pas plus avancé !
La parade est fatale. Et il a autant raison que moi ! Chacun de notre côté, nous avons appris, depuis notre toute première auto à pédales, à nous repérer dans l’espace en nous appuyant sur deux systèmes de représentation totalement différents, qui conditionnent notre façon d’appréhender le monde. D’une façon un peu binaire, voire mathématique, sans que ce soit péjoratif, ou, d’une façon plus littéraire, à travers les mots et leurs mystères… Et tout cela à cause, ou grâce à, de banals panneaux directionnels… Heureusement, tous les chemins mènent à Rome !
Trop d’informations ! Aucune hiérarchie entre les messages. Les yeux ne savent plus où donner de la tête, essayant de tout gober d’un coup, en dépit de leur incapacité manifeste à tout comprendre. Dans la masse, ils distinguent malgré tout un trio de panneaux, qui déclenche presque l’hilarité du passant. Là, à gauche, bien accrochés au lampadaire. D’abord, une interdiction de se garer à tout moment. Soit. Ensuite, un peu plus haut, pour les plus grands, une interdiction même de s’arrêter là entre 7h et 8h sauf le dimanche. Et puis, enfin, au cas où l’automobiliste se trouverait un peu perdu dans tous ces signaux envoyés simultanément à son cerveau, l’apothéose, que l’on pourrait traduire ainsi : « Ne PENSEZ même pas vous garer ici ! ». Think, en lettres capitales. Autant dire qu’une simple interdiction ne suffit plus dans ce bas-monde. Aujourd’hui, il faut même arrêter de penser que l’on peut braver une interdiction pour, enfin, se garer.
Je n’aurais jamais cru que ces deux actions, ranger sa voiture et connecter ses neurones, puissent être associées de la sorte. Avant d’en arriver là, il a fallu, j’imagine, qu’un certain nombre de conducteurs pensent d’une part puis stationnent leur voiture d’autre part, malgré les deux premières injonctions. Vous êtes dans votre voiture, un peu stressé par la circulation, pressante, puis par les piétons, inconscients. Vous tournez depuis une heure déjà pour une petite course qui n’aurait dû vous prendre que 10 minutes… Vous avez chaud, la colère monte… Et là, vous craquez, tant pis pour l’interdiction, vous vous arrêtez. Vous vous dites que, de toute manière, vous n’en avez que pour quelques minutes et qu’il ne pourra rien arriver en si peu de temps. Vous sortez de votre voiture, bippez votre clé pour la fermer. Et là, soulagé, vous prenez une grande inspiration en levant la tête. Malheureusement, dans l’axe, vous tombez sur ce troisième panneau que vous n’aviez pas vu auparavant car, malheureusement, vous n’avez pas de décapotable. « Don’t even THINK of parking here ! » Des dizaines de paires d’yeux vous matent, attendant de voir ce que vous allez faire. Torture mentale. Vous pensez, vous pensez. Alors qu’il ne faut pas. C’est stipulé sur le panneau. Et puis vous vous dites tant pis : finalement, que peut-il arriver de plus du fait de l’existence même de ce panneau par rapport à l’interdiction liminaire ? Quelqu’un va percer nos pneus parce que vous avez osé penser ? Casser votre pare-brise ? Coller des affiches « don’t think » sur les vitres de votre véhicule ? A priori non ! Intimidation plus autoritarisme, le tout mélangé à notre propre imaginaire, peuvent suffire à stopper net le cheminement de notre pensée. Voie de garage !
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