Photo-graphies et un peu plus…

"Les yeux, c'est merveilleux"

Je l’ai notée dans mon carnet tant cette phrase, lancée à voix haute par un patient patient dans une salle d’attente de cabinet médical – pas de psychiatrie je précise -, s’est révélée à la fois juste, simple, belle et totalement impromptue. J’ai un faible pour ces décalages du fond et de la forme… L’homme, à la retraite – oui, il est des gens qui se racontent facilement dès lors qu’ils ont un auditoire attentif bien que silencieux et planqué derrière un magazine vieux de 3 ans ou un smartphone au flux continu de nouvelles fraîches -, ajoute : « On n’y pense pas, mais c’est tellement important ». L’ancien graphiste a raison – oui, il a aussi précisé son métier -, les yeux, quand on y pense, c’est important.

J’y ai d’ailleurs pensé intensément en prenant cette photo, ou plutôt, en observant cette scène de la vie courante : des sièges dans un train en premier plan, des voyageurs attendant le leur sur un quai extérieur en arrière plan. Cette banalité apparente est un leurre. Tout du moins, pour la boîte à images. L’œil mécanique se heurte en effet au « trop » – trop sombre ou trop lumineux – et exige des compromis : privilégier la scène extérieure pour ensuite découvrir un intérieur fortement assombri, ou, faire la part belle à l’intérieur et ainsi voir les silhouettes du fond se désagréger dans un excès de lumière. Une limite technique qui, heureusement, se comble aisément en prenant et assemblant deux photographies (ce que j’ai fait ici). Deux images qui ne font que montrer ce que nos yeux, en toute modestie, nous offrent à voir en un seul regard sans nous demander de choisir entre les détails des banquettes ou ceux du quai, parce qu’ils sont capables de tous les discerner en une fois. Robert – non, il n’a pas livré son prénom, je l’ai juste baptisé pour l’occasion – avait raison : les yeux, c’est merveilleux…

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Nous nous sommes rencontrés sur un quai de métro. Un matin comme un autre, sur la route du labeur. Rien de bien original donc. Cela a commencé comme ça. Spontanément, il s’est ouvert à moi et ça m’a touchée… Je n’ai pas vu ce temps souterrain passer et lorsque je suis arrivée à ma destination finale, que j’ai dû descendre et donc lui dire au revoir, j’ai eu beaucoup de mal à me focaliser sur autre chose. Heureusement, ayant exactement les mêmes horaires, nous nous sommes donné rendez-vous au même endroit le lendemain matin. Je n’irai pas jusqu’à écrire que j’ai attendu ce moment pendant tout le reste de ma journée, mais je mentirais aussi à ne pas avouer que j’ai pensé à ce qui allait pouvoir advenir ensuite…

C’est donc avec une excitation de jeune fille que j’ai débarqué, le matin suivant, sur ce même quai, pleine d’espoir pour cette relation naissante, et la tête fourmillant de questions. Quels allaient être ses mots aujourd’hui, quelles histoires allait-il me raconter une fois qu’il aurait achevé celle d’hier ? Cette fois encore, ce trajet jadis ennuyeux s’était mu en une subtile et merveilleuse parenthèse. Après quelques secondes, je naviguais dans un autre monde dont je ne connaissais pas les codes. Et plus il se livrait, plus j’avais envie d’en savoir plus, plus les séparations, inévitables, étaient douloureuses. En pensée, nous passions nos journées ensemble. J’ai bien tenté d’entrer en contact avec lui à d’autres moments de la journée, le soir par exemple, mais c’était difficile. Je n’en suis pas spécialement fière, mais autant le dire simplement, c’est une relation cachée chacun d’entre nous ayant sa propre vie.

Evidemment, tout cela est bien frustrant et j’ai souvent rêvé de manquer ma station ou de sécher le travail pour pouvoir prolonger ces instants délicieux. Mais je n’oublie jamais ma station. Quant à me déclarer malade, ce n’est pas mon genre. Je me contente donc de ces interludes matinaux que j’attends avec une indicible impatience. Je suis bien consciente que cette histoire ne pourra durer ainsi éternellement et que ce bonheur volé au temps et à la morosité ambiante disparaîtra aussi vite qu’il est apparu, qu’ainsi dire, il faudra tourner la page. Heureusement, il m’en reste un certain nombre à lire. Et surtout, j’ai un autre tome.

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A priori, l’œil extérieur est d’abord attiré par les deux silhouettes fantomatiques errant sur le quai du métro, à la fois présentes et déjà dans un après lui-même enregistré. C’est un leurre. L’objet même de cette photographie se trouve ailleurs. Au niveau de ces simples sièges piqués dans le marbre. Juste au-dessus. D’autres formes apparaissent. Elles-mêmes vaguement humaines. Un tronc, une tête. A peu près. La somme de toutes les personnes qui se sont posées là, 30 secondes, 1 minute ou 5 minutes, qui se sont adossées au mur, et, peut-être, ont légèrement bougé. En tout cas, suffisamment pour que les mouvements répétés de ces masses plus ou moins identiques laissent une trace obscure sur cette paroi programmée pour être résistante et imperméable au changement. Un peu comme ces marches d’escaliers en granite qui finissent pas s’affaisser, s’éroder, ou fondre sur les bords, d’avoir trop été foulées. Telle une victoire collective des hommes patiemment remportée sur la dureté de la matière.

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L’info est arrivée hier matin, comme une fleur, sur ma boite mail (merci !)… Envoyé de mon iPhone, dit le message. Une image inédite, un coup de pub de génie : des canapés suédois posés le long d’un quai de métro, devant une bibliothèque fictive. Alternative moelleuse aux sièges plastiques rigides. Il paraît que certaines personnes passaient à côté sans se rendre compte de leur présence… Le métro-boulot-dodo n’a jamais été aussi condensé !

Un quai, qui affiche parfois le visage le plus triste au monde, déguisé en salon, ça ne se loupe pas. Une petite boucle par le sous-sol parisien et hop, me voilà, en fin de journée, sur le quai d’en face. Le plus drôle, c’est la réaction des gens… Certains regardent les canapés comme s’ils n’en avaient jamais vu de leur vie, passant au large comme s’ils pouvaient mordre… D’autres s’y jettent nonchalamment, comme s’ils étaient déjà chez eux. Quelques personnes s’en approchent discrètement, déchiffrant les étiquettes accrochées aux accoudoirs, comme si c’était déjà samedi après midi dans la boutique de Franconville… Et puis, il y a celles qui s’y lovent tendrement, qui ne peuvent s’empêcher de sourire, car, quelque part, elles ont la sensation de vivre quelque chose d’original… et qui, portées par cette allégresse inopinée, se mettent à discuter cordialement entre elles ! Ce qui, ceux qui prennent le métro le confirmeront, est chose rare… Il faut au moins marcher sur le pied de son voisin pour que quelques sons, voire des mots, soient émis… Mettez un canapé, et ça change tout. Vive le canapé, le nouveau créateur de lien social !

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