Certes, cela ne se produit qu’à certains moments de l’année seulement et, à l’intérieur même de ces moments, qu’à certaines heures de la journée, mais, je dois l’admettre, dans ces conditions particulières de température et de pression, j’approuve, voire plébiscite, les rassemblements et autres manifestations de pigeons qu’en d’autres circonstances, j’évite comme la peste, expression pas totalement obsolète puisqu’il en existe encore malheureusement plusieurs foyers dans le monde.
Après avoir frôlé maintes fois la crise cardiaque, revu en accéléré les pires scènes des Oiseaux en voyant ces hordes de pigeons fondre insolemment sur lui comme s’il n’existait pas, Bastien avait décidé, à son corps défendant, d’utiliser les grands moyens. Il n’en était pas très fier, mais c’était la seule solution qu’il avait trouvée avec les moyens dont il disposait. Un matin bien remonté, il s’était rendu à la droguerie résistante de son quartier et en était ressorti, le sourire en coin, avec une grande vitre translucide en plexiglas épais. Certes, il avait rencontré quelques difficultés à se déplacer dans les rues avec ce morceau d’1m50 sur 1m20, mais rien, à ce moment précis, ne pouvait l’arrêter. Et il avait ainsi filé, presque tête baissée, vers cette maudite place où les pigeons avaient pris l’habitude de le narguer en faisant du rase-motte par dizaines à chaque fois qu’il se mettait à lire la rubrique nécrologie de son quotidien.
Il s’y était planté, au même endroit que la veille et l’avant-veille, avait dressé sa paroi invisible devant lui et s’était mis à compulser sa feuille de chou. Un œil sur les lignes de texte, un autre vers le ciel, il n’attendait qu’une chose : que ses visiteurs ailés zélés, dans leur élan d’aviateur, viennent s’écraser lamentablement sur cette surface qu’ils ne pouvaient voir et y glisser jusqu’au sol… Mais, les bêtes avaient senti le piège, elles avaient soigneusement contourné l’obstacle au dernier moment par des loopings rivalisant avec ceux d’un Spitfire SuperMarine, et, désormais de l’autre côté de la vitre, formant une escouade resserrée, elle s’étaient propulsé vers un Bastien tétanisé… qui avait eu, malgré sa peur, le réflexe de passer de l’autre côté de la vitre, chose que les pigeons, qui ne sont que des pigeons, n’avaient pas vu. Et ce que Bastien attendait arriva finalement…
« Si l’homme avait dû voler, il aurait des ailes ! » Voilà, en substance, ce qu’a dit Bob, appelons-le Bob mais ce n’est pas son vrai nom, pour justifier le fait qu’il n’ait jamais pris l’avion malgré ses probables plus de 50 printemps. Et il ne le prendra jamais, d’ailleurs. Bob, rencontré à une table d’un wagon restaurant où l’on demande aussi aux serveurs d’être équilibristes et jongleurs, dans un train donc, qu’il n’aime pas trop non plus, n’est jamais sorti des Etats-Unis. Le pays est grand, cela reste concevable. Né au New Jersey, il vit aujourd’hui en Géorgie. New Jersey – Géorgie, c’est la distance la plus longue qu’il ait parcourue dans sa vie. Et, pendant toutes ces années au New Jersey, il n’a jamais mis les pieds à New York. Il répète. Il n’a jamais mis les pieds à New York. Cela ne l’intéressait pas. Le rêve de tant de personnes ne lui disait rien. Soit. Même pas par curiosité.
Il lâche cela spontanément, avec un petit sourire, content de l’étonnement produit sur son maigre auditoire migrateur. Bob, il a des yeux bleus, clairs, perçants, qui font penser à des portraits d’Avedon, mais en couleurs. Ses rides sourient constamment. Bob est heureux avec sa liberté – il a toujours été indépendant -, sa pêche, son golf et son auto. Il n’a pas besoin d’autre chose, Bob, et on le croit, sincèrement, tout en l’enviant un peu, mais juste un peu. Non, pas le golf ou la pêche, mais d’être satisfait. C’est rare de trouver une personne qui soit satisfaite de son présent, de ce qu’elle a. Sans faire de généralités, nous sommes globalement tous des pros du conditionnel et des mises en bouteille. Mais Bob, ça va. Même s’il a peur de l’avion et qu’il ne veut pas l’avouer. Car, comme il pourrait le dire lui-même, « si l’homme avait dû rouler, il aurait des roues ! ». Il n’en a pas, ce qui n’empêche pas Bob d’adorer conduire des heures durant sans s’arrêter entre le New Jersey et la Géorgie !
Etapes de vols imperceptibles à l’œil nu saisies par l’extension de mon regard. La photo, qui enregistre parfois le mouvement, peut aussi le capturer, le stopper net, comme si elle avait le pouvoir d’arrêter le cours du temps pour nous montrer ce que nous ne sommes pas en mesure de capter en temps réel. Comme si un simple clic-clac nous ouvrait les portes d’un autre niveau de réalité. Tout semble alors immuable. Cela donne à cette image une impression insensée, quasi contre nature.
Des oiseaux, des pigeons pour être juste, chacun figés à une phase différente de leur vol, formant un ensemble erratique dans le ciel, convergeant malgré tout vers un unique et même but : attraper ces quelques miettes de pain jetées à la volée par un généreux maltais. On pourrait croire qu’ils ont été posés là, juste pour l’image. Mais posés sur quoi ? On s’attendrait presque à les voir tomber, comme s’ils se réveillaient subitement d’un doux rêve dans lequel ils se seraient échappés des vitrines de la maison Deyrolle. Tout est en fait parfaitement maîtrisé, tout est en fait parfaitement normal… Et le vol, n’est-il pas ce chemin parcouru pour atteindre un objectif fixé, enchaînement de pas dont on n’a pas toujours conscience et rendus invisibles par notre impatience, mais qui existent bel et bien ?
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Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
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