Ne trouvez-vous pas étonnant que l’on puisse être réveillé par un tout petit bruit ridicule s’excusant presque d’exister et que l’on soit capable, à l’opposé, de s’endormir dans une boîte de nuit où le volume sonore atteint les 110 dB et les murs vibrent à l’unisson tout en étant la même personne ?
Certains voyages vous dépaysent complètement parce que tout ce que vous y découvrez, de la nature à la culture, de l’histoire aux légendes, de la musique à la langue, de la cuisine aux coutumes, est absolument nouveau, inédit pour vous et conforme à cette altérité que vous imaginiez a priori et que vous espériez rencontrer. Parfois aussi, certains voyages vous dépaysent complètement parce que tout ce que vous y découvrez est justement aux antipodes de ce que vous pré-voyiez, tout en étant finalement assez proche de ce que vous connaissez déjà sans que cela ne soit une déception pour autant.
Extérieur – Terrasse – Crépuscule – Après un court entracte, le quatuor s’apprête à reprendre son programme mêlant jazz et classique devant les mélomanes du soir. Il n’y a plus de chaises libres quand vous arrivez, un peu en retard, aussi vous posez-vous sur un muret surplombant la scène improvisée, gagnant au passage une vue panoramique sur ce beau village aux maisons de granite accroché à la montagne. Portée par les notes remodelées de « Dream a little dream of me », votre âme s’égare. Vous vous imaginez maintenant être une de ces personnes en contrebas, sur le bord de la route longeant cette courte plage… Oui, exactement, là où il y a ce petit attroupement. Vous portez alors votre regard vers cet horizon, hors champ. La journée s’achève, il va bientôt faire nuit, il y a une légère brume mais vous réussissez malgré tout à discerner un relief montagneux au loin, quelques lumières – une ville sûrement – et même des éoliennes ! Et là, vous réalisez que cette vie qui se déroule à 15 km de là, c’est la Chine. La Chine continentale. C’est même la première fois que vous la voyez d’aussi près. Alors, vous vous retournez, repensez à cette musique que vous venez d’entendre, rejetez un oeil à ce village terriblement méditerranéen et vous vous souvenez alors que vous êtes à Qinbi, sur l’île de Beigan, dans l’archipel de Matsu, à 250 km au nord-ouest de Taiwan… A mille lieues d’où vous pensiez être un instant.
Rien de plus banal, en apparence, que des ballons de baudruche… Quel drôle de nom d’ailleurs, quand on y pense, non ? A voix haute, c’est même pire : « bal-lon de bau-dru-che »… A en douter de l’exactitude de l’expression ! La baudruche étant originellement une membrane fine du gros intestin de boeuf ou de mouton, on comprend mieux son extension au ballon en caoutchouc. Mot à la musicalité singulière sur lequel je pourrais également m’étendre, à défaut de me détendre.
Revenons à nos moutons… Un ballon de baudruche donc. La banalité très finement incarnée soit. Belle et festive qui plus est. Ce qui n’est déjà plus si banal. En réalité, contrairement aux apparences donc, un ballon de baudruche, c’est extrêmement sérieux. J’en veux pour preuve la récente étude que leur ont consacré deux chercheurs du CNRS (si, si), qui se sont plus particulièrement penchés – mais de loin tout de même – sur leurs mécanismes d’explosion : il n’y en aurait d’ailleurs que deux, mais je vous laisse lire l’article pour que vous les découvriez par vous même. J’imagine parfaitement les journées d’expérience de ces deux-là : d’abord se faire livrer des centaines de ballons de baudruche, puis les gonfler (on espère, avec une mini-pompe), puis les faire éclater les uns après les autres soit en ne s’arrêtant pas de les gonfler soit en plantant une aiguille à leur surface. Le tout, bien sûr, devant des dizaines d’enfants retranchés dans une salle dotée d’une vitre teintée pensant, à tort, que tous ces ballons leur sont destinés. Ces derniers sont bien évidemment filmés pour les besoins d’une expérience sociologique portant sur l’attente forcée, le phénomène d’anticipation d’une joie et la gestion de la déception face à un objet convoité qui s’envole sous nos yeux chez les moins de 7 ans n’ayant ni frère ni soeur et idéalement monolingues francophones. Je suis d’accord avec vous, quel monde cruel que celui de la recherche ! Au bout de la 247e explosion, leurs collègues, fatigués de sursauter à chaque bang, leur ont aussi demandé d’emménager dans une chambre sourde. Ce qu’ils ont fini par faire (même si c’était quand même bien moins drôle…).
Mais revenons à nos boeufs… Un ballon de baudruche donc. Enfin, juste ceux-là, accrochés à cette maison en adobe hybride. On sent bien qu’ils sont fatigués et qu’ils ne pourront plus exploser dignement. Ce que l’on ne sent absolument pas en revanche, c’est l’effort qu’il a fallu pour les gonfler. Car, et c’est là où je voulais en venir, nous sommes à plus de 4 000 mètres d’altitude… Et à cette hauteur, souffler dans un ballon de baudruche est tout sauf un acte insignifiant…
C’est l’histoire d’un interstice entre deux blocs de granite immuables et muets comme une tombe qui, après des années de bons et loyaux services à maintenir le vide et à respecter le silence entre ces deux-là, a subitement décidé de tirer un trait sur cette longue collaboration manifestement sans perspective pour assurer une mission bien plus valorisante à ses yeux : amener la lumière au cœur des ténèbres !
Cela procède exactement du même réflexe. Du même réflexe que quoi ? Que celui que vous avez lorsque vous marchez tranquillement dans la rue et que vous apercevez le bras tendu d’une personne, pointant une zone très précise. Le bras n’est pas une condition sine qua none et il suffit parfois d’un regard simple mais insistant dans une direction inattendue – en l’air, par terre – pour que vous soyez distrait. Instinctivement, même si vous êtes accompagné, absorbé, pressé, même si donc, votre mouvement est furtif, vous interprétez ce geste comme un appel et tournez la tête vers la direction indiquée tout en continuant à être accompagné, absorbé, pressé. Pour y découvrir quoi ? Une étoile filante déjà consumée, une petite fille saluant sa mère depuis la fenêtre du 4e, une limace orange perdue sur le macadam, un pigeon sans pattes accroché à un fil électrique par la seule force de son bec, une tête de mort sur la façade sculpturale d’une université, un magasin que, comme c’est étrange, vous cherchiez vous aussi, un pot de fleur emporté par un violent coup de vent, un arc-en-ciel entre deux immeubles…
Je vous laisse imaginer à quel point peut intriguer un couple penché au dessus d’un pont déserté (sauf par soi) reliant deux morceaux de forêt enveloppée dans une épaisse brume alors même que l’on est en plein mois d’août. Ont-ils vu passer quelque chose de suffisamment intriguant depuis leur voiture pour qu’ils décident de s’arrêter et de s’en extraire ? Forte de mon expérience du bras tendu ou du regard insistant – rarement pour rien -, cela semblerait plutôt logique… Pour en avoir le cœur net, je me suis donc à mon tour approchée de la rambarde avec l’appréhension d’une personne progressant à tâtons dans le noir. Je me suis penchée à l’endroit même où ils l’avaient fait quelques secondes plus tôt et j’ai regardé. Pour découvrir quoi ? Le lit évanescent, en grande partie asséché et rocailleux d’une rivière à l’eau glacée provenant d’une neige persistante ne consentant toujours pas à fondre massivement dans les hauteurs. Une curiosité toute saine finalement…
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Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
Là, ce soir, alors que l’hiver prend ses marques, assez trivialement, j’avais envie de chaleur, de lointain, de couleurs et de clichés plus vrais que nature… 4 Share on Facebook
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