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Voilà une semaine exactement que je suis rentrée. Ou alors, voilà une semaine exactement que j’ai quitté la Nouvelle Zélande. Le résultat est le même, mais la nuance existe.
Cela fait aussi bientôt 4 mois que je n’ai pas vu, en vrai, en chair et en os, ma famille et mes amis. De retour de voyages plus ou moins longs, c’est naturellement vers eux que je me tourne rapidement. Pas là. Et je ne sais quand je pourrai les embrasser et les serrer à nouveau dans mes bras. A partir du 12 mai peut-être, pour ceux vivant à 100 km à la ronde. Plus tard encore, sans que cela ne soit clairement défini, pour les plus proches. Paradoxalement. Je me demande si l’on peut s’habituer à ne voir les personnes que l’on aime qu’au travers d’un écran, en deux dimensions.
Je crois qu’après tout cela, après tous ces contacts évités et chargés d’une potentielle dangerosité, après ces semaines à considérer les autres corps comme des menaces, ce sera un moment étrange. Même avec les intimes. Un peu comme un premier rendez-vous, maladroit. Il y a d’ailleurs de fortes chances que certains de nos nouveaux réflexes de distanciation physique aussi bien personnelle que sociale perdurent et viennent s’ajouter à nos radars internes, se mettant instinctivement en branle et allumant nos warning – merci à notre cerveau reptilien d’être encore actif ! – dès lors qu’une personne pénètre un périmètre que nous estimons intime sans l’être pour autant, un intime. Ces distances s’avèrent d’ailleurs très variables d’une personne à l’autre, mais aussi d’une culture à l’autre. Voilà qui me renvoie instantanément au Japon, où les contacts physiques en public sont (très) mal vus, et simultanément, en Italie ou en Tunisie, à l’autre bout du spectre en matière d’interactions corporelles… D’ailleurs, la proxémie, qu’a conceptualisé l’anthropologue Edward Twitchell Hall dans les années 60 et décrit dans son livre « La dimension cachée » que j’ai dû lire il y a 20 ans, a assurément joué un rôle important dans la transmission du coronavirus au sein de territoires définis. Les experts en la matière se pencheront peut-être dessus une fois la tempête passée.
Ceci étant dit, depuis une semaine donc, entre rencontres fortuites et heureuses dans la rue, rendez-vous arrangés amicaux à 1 mètre or so et montre en main, moments partagés sur le palier chacun de son côté, échanges inattendus à la criée entre balcon et ras du bitume, ma vie sociale au temps du corona – même minutée, « périmétrée », surveillée, distanciée – ressemblerait presque à quelque chose…
En dépit de cela, il n’en demeure pas moins que la froideur du béton me saute aux yeux comme jamais auparavant. J’ai toujours aimé la ville, l’arpenter en long en large et en travers, les yeux en l’air à admirer les façades, à scruter les édifices en construction, mais là, je ne vois que des murs, que des frontières, que des barrières, que des obstacles. La ville m’apparaît si inhumaine que j’ai presque du mal à comprendre comment son étreinte a pu durer si longtemps.
Là-bas – j’ai eu maintes fois l’occasion de le dire, de l’écrire et je ne me priverai pas de me répéter, car, désormais loin, je réalise encore plus ma chance d’avoir pu vivre cette immersion et à quel point le timing est parfait –, j’ai eu la sensation d’être à la fois intimement et concrètement connectée à la Terre et au Cosmos, à la montagne, aux océans, aux profondeurs de la planète, aux forêts, aux rivières et à tous leurs habitants, aux étoiles, aux galaxies et au-delà… Cela demande un réel effort de projection voire d’imagination dans nos cités ultra-bétonnées où l’on ne voit même plus la terre, ni les étoiles, et parfois même pas le ciel, où les arbres sont enfermés, les fleuves dirigés… Ce lien me paraît pourtant essentiel, vital même, notamment parce qu’il nous relie à quelque chose d’incommensurable tout en invitant à aimer notre planète. Et, aimer, idéalement, c’est respecter. Je pense à cette maxime « loin des yeux, loin du cœur » souvent associée aux personnes que l’on finit par oublier ou désaimer, faute de les voir… Et bien, elle est aussi vraie avec la Nature, intérieure et extérieure, sur Terre et au-delà. N’oublions pas de regarder et d’aller voir au-delà des cités de pierre pour nous rappeler qui nous sommes et qui sait, aller voir là-bas si nous y sommes…