Photo-graphies et un peu plus…

Bain de minuit

Cette scène de pêche sous les tropiques me fait l’effet du délicieux bain chaud nocturne dans lequel on s’abandonne corps et âme après une longue et harassante journée…

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L'affaire...

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C’est un jour à extraire un passage d’« Etats d’âme sur le macadam », cet ensemble de textes griffonnés à l’aube du 21e siècle sur mes inséparables petits carnets… On est presque synchrone dans le temps, en tout cas, dans la météo (ouf !). Et étrangement, je n’ai pas trouvé d’image du Canal Saint-Martin, dont il est partiellement question ci-dessous, dans mes archives numériques, plus jeunes que leurs ancêtres argentiques non numérisées (mais où est encore passé mon clone scanneur ?)… D’où la pirouette ci-dessus. Car, tout est souvent une question de temps…

*

Et voilà le joli mois de mai en début de parcours, ensoleillé et chaleureux… Le week-end a passé vite, comme chaque autre jour de la semaine, et du mois, d’ailleurs. Une partie du Canal Saint-Martin est vidée de son eau et le béton a remplacé les pavés. Un des pêcheurs du Canal de l’Ourcq m’a dit que les pavés laissaient libre cours aux infiltrations d’eau, d’où quelques inondations dans les caves et parkings… On comprend aisément le mécontentement des propriétaires. Canal au tirant d’eau de trois mètres asséché… Les péniches sont stoppées aux écluses. Y a-t-il encore des bateaux qui naviguent ? L’intérêt des traversées est d’aller jusqu’à La Villette. Avec ce canal vide, des images cinématographiques de courses poursuites infernales remontent à la surface ; mais celui-ci n’est encombré que par les Manitoo, les blocs de béton et les armatures métalliques. C’est bien moins spectaculaire, mais plus réaliste.

Les abords du Canal de l’Ourcq sont envahis ; la chaleur et le soleil y sont pour beaucoup. A pieds, à vélo ou en patin, la foule se presse. Certains se prélassent, allongés à quelques centimètres du bord de l’eau verdâtre, absorbant tous les rayons solaires qui s’offrent à eux. La promenade est agréable. Le canal étant fermé, il n’y a plus de courant, à peine quelques ridules. Ici, une affiche : « bateaux à louer ». En voilà un qui zigzague sur ces eaux poissonneuses, mené par un gamin en gilet orange dont les parents se cramponnent à côté. Une barque n’est pas très loin.

C’est l’agitation sur les terrains de sport, des cris retentissent. Quartier de week-end, vie des jours ensoleillés. De l’autre côté, le cinéma Mk2, face au canal, et deux café-terrasse occupent un ancien entrepôt de briques et de verre. D’ici, tables et chaises semblent assiégées. Un tour sur l’autre rive le confirmera. Il y a cette péniche, aussi, amarrée au quai sur laquelle prennent place spectacles et concerts ; une pancarte annonce la prochaine manifestation : un quatuor à cordes. Un peu plus loin, sur la terre ferme, un théâtre ; son architecture en bois brun lui donne des allures de chalet. Le pont se rabat. Les voitures passent, et les piétons. Une petite fille s’est créé une canne à pêche avec une branche d’arbre, au bout de laquelle pend de la bande magnétique de K7 audio, lestée par un bouchon en plastique : les prises sont maigres voire inexistantes. Ce qui n’est pas le cas pour Grandes Oreilles et son voisin, Anonyme. C’est lui qui m’a expliqué pour le canal. Il a deux poissons dans son filet : une truite de 23 (cm) et un autre, au nom oublié. « Tous les gens qui ont mangé les poissons pêchés ici n’ont jamais rien eu. » Pourtant, l’eau laisse à désirer. « Mais, aujourd’hui, à La Villette, ils ont tondu les pelouses ; et c’est plus facile de jeter l’herbe dans le canal plutôt que de se baisser ! » D’où la verdure ambulante. Sa canne est très longue ; il a un tatouage sur le bras gauche ; une petite chaise et une mallette. A coup sûr, un habitué. Comme son voisin Grandes Oreilles qui flaire toujours les prises. Les poissons ? « Il y a de tout ici : la truite, le brochet, la carpe, l’anguille, la tanche… mais il ne faut pas manger les poissons de plus de trois kilos. Trop d’arêtes ! » Quelques poissons viennent du bassin des Buttes-Chaumont et se retrouvent ici après un périple dans les souterrains lacustres de la ville. « Le jour où il n’y aura plus d’oxygène, ils viendront avec les bonbonnes d’air. Ils l’ont déjà fait une fois, à cause de la pollution due à la sucrerie, plus haut, là-bas » tout en montrant du doigt, l’usine derrière La Villette. Il y avait des poissons à la surface. L’air supplémentaire ? A cause du canal bloqué, le courant fait défaut… Un pêcheur arrive. « J’ai eu ma truite. » « Moi aussi. » « Oui mais moi, avant toi ! » Eclipse… « Bon appétit. » « Bonne journée. » L’après-midi se termine et le soleil, comme la chaleur, sont toujours là.

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D’un côté du monde à son autre versant, la jeunesse refuse que l’on lui dicte sa conduite. Elle défie les mêmes lois de l’apesanteur et, inlassablement, ses propres limites. Comme un rite de passage. Même scène, diurne cette fois-ci, que sur la digue malouine, même saut de l’ange, même public médusé, les adultes, stoppés dans leur élan baladeur et dodelinant de la tête à la vision de cet être perché, les camarades, prêts à lui tendre une serviette quand il remontera frigorifié.

Mais l’incroyable se produit. Après avoir bien balayé du regard l’assemblée des témoins, vérifié que les appareils sont armés et pensé mille fois qu’il s’apprête à remporter ce fichu pari qu’a osé lui lancer son binôme en cinématique (super, un pack de bières !), le garçon s’élance. Trois pas à peine. Pas la place de faire plus. Sauf qu’il s’arrête en plein vol. Indépendamment de sa volonté bien sûr ! La tête pas encore retournée, les genoux à peine recourbés, le corps prêt à se mettre en boule, les bras en chemin pour l’y aider. Autant dire, une position peu confortable à tenir. Il ne touche pas l’eau. Je reste là 18 minutes au bas mot, à attendre que quelque chose se passe, qu’il tombe enfin et éclabousse tout le monde au contact de cette surface tentante, il est vrai. Mais rien. Il reste figé. A 2 mètres de hauteur. Seules ses lèvres bougent et crient à l’aide.

Ses camarades, dont la première réaction est d’éclater de rire, réalisent ensuite la singularité de la situation dans laquelle se trouve leur ami. Ils sont surtout bien incapables de le récupérer puisque, mine de rien, avec son élan de trois pas, il a réussi à s’envoler assez loin. C’est alors que les pêcheurs chinois en bout de quai, dérangés dans leur paisible activité par le tintamarre juvénile, s’approchent. On les entend chuchoter quelques secondes, puis ils retournent tous à leur poste pour en revenir rapidement avec leur canne à pêche et leur filet… La suite se devine aisément : ils ouvrent les paris et, tour à tour, lancent leur canne vers le petit, qui, si j’ai bien compris, commence à avoir des fourmis dans les jambes, enfin, façon de parler… Le fait qu’il ne fasse pas face aux pêcheurs est une difficulté supplémentaire pour eux. D’habitude, c’est le poisson qui vient à eux, à l’appât. Là, c’est à eux d’aller au poisson ! L’appât ? Un de ces petits biscuits secs avec des pensées profondes recroquevillées à l’intérieur que l’on nous sert parfois avec l’addition dans les restaurants asiatiques. Après une douzaine de tentatives, l’un d’eux réussit à envoyer le « biscuit de fortune » directement dans la bouche du garçon et à le hisser sur le quai. Il lui faut plusieurs minutes avant de pouvoir bouger et se détendre. Et quand, enfin, il recouvre toute sa souplesse, il croque dans le petit biscuit et découvre le mot que lui adresse le destin : « Petit scarabée, il t’arrive parfois d’être un véritable crétin ! ».

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