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Dvořák m’accompagne. Symphonie n°9 en mi mineur, dite du Nouveau Monde. Je n’ai pas cherché le symbole – d’autant que son Nouveau Monde était l’Amérique de la fin du 19esiècle, New York précisément où il vécut 3 ans pour en diriger le Conservatoire –, juste un air si familier que je le siffle en parallèle. Le fait est qu’elle m’emporte tellement que je peine à me concentrer sur mes propres mots (même si je n’en suis qu’au début). Je découvre à l’occasion d’une vérification chronologique qu’il a composé les thèmes de cette fantastique symphonie en « leur donnant les particularités de la musique des Noirs et des Peaux Rouges » (1), aveu qui avait choqué l’Ancien Monde à l’époque. Dvořák s’est notamment inspiré d’un poème, Le Chant de Hiawatha, de Henry Longfellow, évoquant la vie de Hiawatha, un Indien de la tribu des Ojibwés. Je résiste à creuser plus la piste de ses origines de peur de ne jamais remonter à la surface. A ce propos, Armstrong – Neil pas Louis – en avait emporté un enregistrement lorsqu’il a, pour la première et unique fois, marché sur la Lune (personne, ou plutôt, aucune personne n’y étant allé deux fois).
Quoi qu’il en soit, retour à Wellington dont l’atmosphère n’est pas si éloignée de la Mer de la Tranquillité. Enfin, on se comprend… Dans un autre registre, notre voisin, musicien, plus jazzy a priori, nous disait l’autre jour, de loin rassurez-vous, avoir l’impression d’être dans « Groundhog Day », traduit littéralement par nos amis québécois, qui ne font jamais de réinterprétation en la matière, par « Le jour de la marmotte ». Un titre peu évocateur pour nous autres Français. Je lui préfère « Un jour sans fin », nettement moins énigmatique, beaucoup plus direct. Curieusement, depuis le confinement, alors même que clairement, mes journées se ressemblent, à quelques folies près sur la rue empruntée pour rejoindre la forêt ou le New World (pas celui de Dvořák, celui de mon estomac), je n’ai pas du tout éprouvé ce sentiment.
En fait, la dernière fois que j’ai eu la sensation de glisser dans la peau de Phil Connors, le personnage principal du film magistralement campé par Bill Murray, c’était il y a quelques années, à l’occasion de vacances estivales avec mes neveux et nièce, que j’adore bien sûr et qui ont grandi depuis, et pendant lesquelles j’avais eu l’impression de revivre 23 fois la même journée. Jour après jour, les mêmes événements se produisaient dans le même ordre, aux mêmes heures, pendant la même durée ; jour après jour, la répétition des mêmes sentences que la veille, sans fléchir mais en espérant, comme lui, qu’un jour, prochain, cela finirait par rentrer et que je pourrais enfin passer à une autre journée ! Au lendemain finalement, où, comme sur une page blanche, tout deviendrait à nouveau possible, tout serait à écrire…
Et là, je réalise que, peut-être, je suis malgré tout dans « Un jour sans fin » sans m’en apercevoir. Car même si tout se passe bien pour moi dans le pas-meilleur des mondes, même si je ne manque de rien – hormis de ma famille et de mes amis, dont l’absence réelle est compensée par leur présence numérique –, même si je pourrais rester là des mois sans m’ennuyer une seconde, pour le moment, comme beaucoup, je ne peux toujours pas passer à demain. J’entends, le « vrai » demain. C’est comme s’il avait littéralement disparu, que le temps de l’anticipation, des projections était révolu. De fait, quand j’essaye de penser à demain, le vrai, dans quelques semaines, dans quelques mois, peut-être même dans quelques années, je n’y arrive pas. Il n’y a rien auquel mon esprit se raccroche. Ou si peu. Je l’écris d’autant plus facilement que je traverse ce brouillard parfaitement bien, sans angoisse aucune. Et pouvoir écrire, a fortiori penser cela, me prouve, je le savais déjà, à quel point je suis une personne heureuse (encore plus depuis que je sais que je suis la personne idéale pour partager un confinement, sic). Simplement, c’est inédit, c’est étrange, c’est extra-ordinaire. Et d’une certaine manière, reposant. C’est évidemment très personnel, corrélé à mon propre vécu de cet événement qui nous touche tous différemment. Je me garderais bien de faire des généralités en ce moment, pour lesquelles je confie d’ailleurs une légère aversion…
Bien sûr, la question est posée partout : et après – car cette situation ne va pas durer éternellement –, ce sera comment après ? Qu’aurons-nous appris ? Changer, est-ce devenir quelqu’un d’autre ? Serons-nous toujours libres ? L’avons-nous été un jour ? Reconnaître ses devoirs, est-ce renoncer à sa liberté ? Faut-il vivre comme si nous devions mourir demain ? Choisissons nous notre existence ? L’homme doit-il travailler pour être humain ? Pouvons-nous échapper au temps ? Exister, est-ce vivre au présent ? Est-ce une fonction de l’art que d’embellir la vie ? L’art nous réconcilie-t-il avec le monde ? Que nous apprend l’histoire ? L’étude de l’histoire nous conduit-elle à désespérer de l’homme ? La recherche du profit est-elle le but de tout échange ? Y a-t-il une raison à tout ? Les lois peuvent-elles faire notre bonheur ? Peut-on concevoir une société sans Etat ? Le mensonge est-il une vertu politique ? Une société juste peut-elle s’accommoder d’inégalités ? Qui peut me dire ce que je dois faire ? Faut-il se soucier de l’avenir ? (2) Chaque jour, j’ai l’impression que cette pandémie nous fait repasser notre bac philo ! Pas vous ?
(1)https://www.francemusique.fr/emissions/klassiko-dingo/la-symphonie-ndeg9-dite-du-nouveau-monde-d-antonin-dvorak-la-cornemuse-et-l-actu-dingo-15153
(2) Pour une grande partie, des sujets réels de bac philo de ces dernières années