Je me demandais pourquoi, soudainement, le tigre était aussi populaire… Tout comme les chamailleurs il y a quelques jours. Sachez donc que le tigre apparaît dès la deuxième séquence du Yangjia Michuan, une variante du tai chi chuan dont la transmission est secrète. Ou presque. Il y a quand même une page Wikipédia. Donc, pour notre culture à tous, voici la séquence complète en 44 mouvements :
Enfourcher le tigre et gravir la montagne, à droite puis à gauche
Se tourner, frapper trois fois avec la paume, saisir la queue du moineau, fermeture apparente, à droite puis à gauche
Avancer et cai à droite
Demi-fouet, à gauche
Pousser la montagne dans la mer, à gauche puis à droite
Coude horizontal, à gauche puis à droite
Frapper avec le poing par-dessous le coude, à gauche puis à droite
Le singe bat en retraite, à gauche puis à droite
Faire un pas, soulever un bras et frapper au cœur avec la paume, à gauche puis à droite
Poussée vers la droite
Simple balayage du bras, à droite
Zhou et kao vers la droite, cai, zhou et kao vers la gauche
Pas en avant, frapper au cœur avec la paume, à droite
Reculer, la grue blanche déploie ses ailes, à gauche
Attraper le genou en faisant un pas, à gauche
Soulever le rideau, à droite
Chercher l’aiguille au fond de la mer, à droite
Le dragon vert surgit des eaux, à droite
Se retourner, frapper avec le poing en le rabattant sur le côté, à droite
Peng, saisir la queue du moineau et fermeture apparente, à droite puis à gauche
Avancer et cai, à droite
Simple fouet, à gauche
Les mains ondulent comme les nuages – 1re série
Simple fouet, à gauche
Avancer et caresser l’encolure du cheval, à droite ; pousser vers la droite, cai et se baisser vers la gauche puis séparer les pieds vers la droite
Reculer et caresser l’encolure du cheval, à gauche ; pousser vers la gauche, cai et se baisser vers la droite puis séparer les pieds vers la gauche
Pivoter et donner un coup de talon, à gauche
Attraper le genou en faisant un pas, à gauche
Avancer, attraper le genou et frapper l’entrejambe avec le poing, à droite et à gauche
Se retourner, se baisser et faire levier à droite
Avancer et faire levier à gauche
Frapper avec le poing par-dessous le coude, à droite
Coup de talon, à droite
Se retourner et caresser le dos du cheval, à droite
Se baisser et frapper le tigre à gauche
Tourner et frapper le tigre à droite
Lu et donner un coup de talon à droite
Le double vent transperce les oreilles, à droite puis à gauche
Lu, tourner et donner un coup de talon à gauche
Tourner et terrasser le tigre, à droite
Avancer, cycle Yin-Yang de coups de pied
Peng et frapper avec le poing, fermeture apparente, à droite puis à gauche
Croiser les mains
Reporter le tigre à la montagne (2 fois)
A répéter tous les jours, aux aurores – pourquoi met-on « aurores » au pluriel d’ailleurs, nous lèverions-nous sur plusieurs planètes en même temps ? –, et le monde de la culture devrait bien se porter pour les six prochaines années !
Sinon, avant-hier, un titre d’article a attiré mon attention. Dans un contexte où chaque pays gère son sort en vase clos, frontières fermées à la clé pour une durée indéterminée, j’ai trouvé qu’il y avait là un bel espoir que certaines choses évoluent. Le titre ? « En mémoire de la Grande Famine, les Irlandais au secours des Amérindiens touchés par le Covid-19 » (1). J’apprends tout, ou presque, en lisant cet article relayant cette étonnante et heureuse solidarité qui défie le temps et l’oubli : la Grande Famine en Irlande en 1845, due au mildiou, qui a fait plus d’un million de morts entre 45 et 52 ; la migration de 2 millions d’irlandais vers des contrées moins hostiles ; l’élan de solidarité international face à « l’une des premières crises alimentaires médiatisées ». Elan auxquels ont participé les Choctaws, une tribu améridienne du sud-est des Etats-Unis en faisant un don de 170 $ à l’époque (l’équivalent de 5 000 $ aujourd’hui). Comme les Choctaws l’expliquent eux-mêmes sur leur site (2), ce don était en partie motivé par l’exode forcé que la Nation avait elle-même subi quelques années auparavant, obligeant, dans le contexte de l’Indian Removal Act, 20 000 personnes à abandonner le Mississipi pour rallier Oklahoma pendant que leurs terres étaient transmises à des colons européens. Cette transhumance de près de 1 000 km a été baptisée Piste des larmes (Trail of tears). Un geste que n’ont pas oublié les Irlandais et qui a scellé des liens indéfectibles entre les deux groupes… Et aujourd’hui, alors que les nations Navajo et Hopi sont parmi les populations les plus touchées aux Etats-Unis du fait de leur grande précarité et ont lancé une campagne de dons pour organiser leur prise en charge locale – les Amérindiens ne seraient par ailleurs pas tous comptabilisés dans les statistiques du covid-19 –, des Irlandais ont choisi de leur rendre la pareille, et ainsi de tendre la main comme l’avaient fait les Choctaws il y a 170 ans.
Cette histoire où aujourd’hui et hier se recroisent m’en rappelle une autre qui, il me semble, est un peu plus ancienne, même si elle fait écho à une histoire plus récente. D’ailleurs, sans cette dernière, je n’aurais peut-être pas prêté attention à celle que je viens d’évoquer. (…) Voilà, je l’ai retrouvée ! Début avril, de nombreux Taïwanais ont répondu à l’appel aux dons du Père Giusepe Didone pour aider son pays d’origine, l’Italie, qui, comme vous le savez, a été très durement touchée par le coronavirus. A priori, près de 4 millions d’euros ont été récoltés en très peu de temps à travers 20 000 dons. Pourquoi cet élan de générosité ? Tout simplement pour remercier le Père Didone, 81 ans aujourd’hui, installé à Taïwan depuis 1965, toujours en activité, de tout ce qu’il a fait pour le pays : créer des centres de santé destinés à accueillir des personnes en situation de handicap intellectuel, contribuer à créer des hôpitaux alors que le système de santé taiwanais était encore balbutiant, accompagner les pauvres… (3)
Voilà deux gestes incroyables de générosité et de solidarité, initiés par des groupes de personnes et non des Etats, qui défient à la fois les frontières et le temps, qui, d’une île à un continent et vice-versa, honorent l’Histoire – que l’on n’oublie pas systématiquement mais qui se répète souvent – et nos Ancêtres – toujours vivants, dont la mémoire et les actes nous accompagnent d’une manière ou d’une autre, et nous rappellent, à nouveau, que nous sommes tous liés par-delà l’espace et le temps.
Et je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée émue pour les 26 230 personnes décédées en France – assurément bien plus ; 269 068 à l’échelle mondiale – depuis le début de l’épidémie (4), presque réduites à des chiffres égrainés et scrutés chaque jour, parties seules, sans que leur famille ne puisse les accompagner, leur dire au-revoir, ni les voir une dernière fois, sans qu’ensuite, les rituels associés à certaines religions puissent être accomplis, qu’une cérémonie digne de leur vie puisse être organisée et que les rares présents puissent s’épauler, se prendre dans les bras, se soutenir, sans qu’ensuite, les familles puissent aller se recueillir au cimetière. Espérons que des célébrations posthumes et post-confinement pourront être organisées, pour faciliter le travail de deuil des familles mais aussi aider ces âmes à filer peut-être plus sereinement vers d’autres cieux.
Peut-être l’avez-vous remarqué mais j’ai beau être rentrée depuis bientôt deux semaines, j’ai finalement très peu illustré ces textes quotidiens par des images réalisées depuis. Pourtant, lors de mes sorties, qui, elles, se sont espacées – par deux fois, je n’ai pas ressenti le besoin de sortir pendant 2 jours de suite –, j’ai bien mon appareil photo en bandoulière, prête à déclencher le cas échéant. Je ne le fais que très rarement. Car, comme je l’ai écrit la semaine dernière, c’est le côté oppressant et contre nature de la ville que je continue à voir depuis mon retour. Et c’est ce qui finit par entrer dans ma boîte – encore que, finalement, je me suis aussi rapidement épargné ce genre d’images : des photos de chantiers d’immenses bâtiments aux façades éventrées laissant voir leurs entrailles climatiques, électriques, aqueuses en cours de greffe, des tubes, du métal, du béton et du verre partout, comme des corps malades et encore inertes, raccordées à une vie artificielle, alors qu’en Ile-de-France, il y avait, fin 2018, déjà 3,2 millions de mètres carrés de bureaux vides (1). Certes, depuis quelques années, face à cette ineptie, les programmes de transformation d’une partie de ces espaces vacants en logement se multiplient, mais le plus simple ne serait-il pas de s’interroger en amont sur la pertinence de lancer de tels chantiers ? Par conséquent, je ne veux pas utiliser ces photos. Ceci dit, peut-être serait-ce l’occasion de le faire aujourd’hui. Nous verrons à la fin de l’étape d’écriture, c’est en général à ce moment là que je réfléchis à la photo que je vais utiliser.
Dans la continuité de cette remarque, quand je lis que les plages sont toujours fermées et le seront peut-être jusqu’à cet été – on peut pourtant se sentir très très seul sur les immenses plages atlantiques –, que les chemins, sentiers, forêts, parcs, lacs, rivières le sont aussi, que des drones et des hélicoptères sont mobilisés pour traquer, en collaboration avec des motards au sol, les randonneurs en montagne – entre 816 et 1690 € de l’heure de vol d’un hélicoptère selon le Sénat soit a minima entre 6 et 13 contraventions par heure si l’on part du principe, faux, que là se limitent les coûts (2) –, j’ai l’impression que c’est la Nature elle-même qui est visée. La Nature, qui n’est pas unique loin s’en faut, dans ce qu’elle offre de liberté, de bien-être, de joie, de respiration, de fuite aussi, où l’on se promène, médite, se repose, contemple, se détend, se ressource, observe, ressens, se reconnecte à plus grand que soi, au sacré, se réfugie, aime, s’éveille, s’initie…
« Aucun homme n’a jamais imaginé à quel point le dialogue avec la nature environnante affectait sa santé ou ses maux » écrivait Henry David Thoreau (le revoilà !). Ces derniers mois, combien de livres, d’expositions, de conférences, sur les bienfaits de la Nature en général, des arbres en particulier ? Combien de recherches, sérieuses, se concluant par le fait que notre santé est intimement liée à notre rapport à la Nature, que ses bienfaits augmentent avec le temps passé à l’extérieur (à partir de 2h par semaine serait un minimum a priori) ? « Un rapport privilégié avec la Nature non seulement initie à une autre « façon » de la voir (Gould, 2001), mais surtout constitue une rencontre avec soi-même (Ormiston, 2003), un retour sur soi bénéfique. Il permet dans certains cas une véritable transformation de soi » écrivaient en 2011 les sociologues Stéphanie Chanvallon et Stéphane Héas (3). L’accès à la Nature, « responsable » bien sûr – c’est le nouveau mot à la mode –, alors que nous traversons une situation d’enfermement non naturelle, ne serait-ce pas un moyen de nous aider à mieux la vivre ? Sous prétexte qu’un éventuel accident mobiliserait des moyens logistiques plus utiles à la lutte contre le coronavirus, l’Etat percevrait donc cette Nature – pas plus dangereuse qu’une casserole d’eau bouillante renversée sur le visage ou qu’une malencontreuse rencontre avec un camion sur un passage piéton – vers laquelle nous tendons instinctivement, comme une menace. Pourquoi ? Est-ce « juste » de l’infantilisation, car les Français ne savent pas se tenir ? Y a-t-il une volonté calculée de ne laisser aucun répit aux citoyens en leur interdisant ces évasions salutaires ?
Je m’étais pourtant encouragée à essayer de ne pas chercher à comprendre ce qui, de mon point de vue, n’avait pas de sens… Mais pas de m’interroger, donc tout va bien ! Je cherche cependant des références historiques et solides allant dans le sens de l’hypothèse que cette conjonction d’interdictions me fait formuler, à savoir cette perception négative et quasi subversive de la Nature par l’Etat de droit. La Nature, par opposition – simpliste et rapide – à la ville, dans les fictions, c’est l’endroit où se réfugient les groupes de résistants, les rebelles qui veulent échapper au pouvoir autoritaire et dictatorial en place, à un système sans valeur à leurs yeux, d’où ils renaissent ou organisent la riposte. Des exemples de genres très variés ? Fahrenheit 451,Les fils de l’homme, The Lobster, Robin des bois, Captain Fantastic… En quête d’une référence sur Minority Report, l’adaptation faite par Spielberg d’une nouvelle de Philip K Dick, je relis des passages de mon mémoire rédigé il y a 15 ans sur la représentation des manipulations génétiques et du clonage dans le cinéma américain de 1986 à 2005, et la façon dont ils questionnent l’humanité. Un prétexte, presque, pour me pencher sur un tas de sujets satellites comme le profil des sociétés dans lesquelles ces histoires émergeaient, la montée des inégalités sociales, les rapports homme-femme, les relations entre science et religion, la virtualisation des rapports humains au service d’une manipulation collective, la désexualisation purificatrice et prophylactique de la société… et il me semble que je parcours un livre d’Histoire, tant tout ce que j’y décris – sur la base de mon corpus de films de l’époque donc – s’est vérifié depuis… Je connais la force et la puissance de l’anticipation mais c’est toujours surprenant de constater à quel point l’humanité semble suivre un scénario déjà écrit depuis longtemps.
Ah voilà une piste intéressante (merci Coralie !). Dans l’essai « Fugitif, où cours-tu ? », l’anthropologue Dénètem Touam Bona écrivait en effet : « la forêt est un espace strié de toutes parts, mais ses stries sont celles du zèbre, celles d’une tenue de camouflage. Longtemps, les forêts européennes abriteront proscrits, brigands, outlaws (figure de Robin Hood), bandes et minorités en rupture de ban, de sorte qu’en Occident la lutte contre les illégalismes et jacqueries populaires prendra souvent la forme d’une déforestation » (4). En est-on toujours à raser les forêts pour y voir plus clair et traquer les hors-la-loi, comme tendrait à nous le faire penser la manière dont les pouvoirs publics appréhendent les ZAD ? La réponse est-elle dans la question ?
A chaque fois que je me mets à ce texte, je me dis : « Allez, aujourd’hui, tu fais court ! »… Et je finis toujours par m’embarquer dans un récit au long cours… Serait-ce le grand jour ?
Je n’arrive en effet pas à me concentrer. Mon voisin du dessous s’est remis aux jeux vidéos en ligne, je l’entends grogner, crier, s’exclamer, invectiver ses amis imaginaires ou rigoler – ma grand-mère maternelle me reprenait gentiment quand j’utilisais ce mot parce qu’il faisait trop penser à la rigole, dans la rue, où l’eau s’écoule vers les égouts, et que ce n’était pas beau ; cela me plaît, aujourd’hui, d’avoir ce souvenir. Mais c’est trop facile de blâmer les autres quand tout, en réalité, dépend de soi.
Je garde un œil rivé aux infos néo-zélandaises, même si tout cela m’apparaît désormais très lointain. « We have won the battle » a annoncé la PM de Nouvelle Zélande, Jacinda Ardern, à ses compatriotes il y a quelques jours. Il n’y a plus de transmission du virus, mais la vigilance reste de mise. La Nouvelle Zélande sera ainsi l’un des derniers pays à avoir été touchés par le coronavirus – bénéficiant ainsi de l’expérience d’autres pays pour agir efficacement et éviter certains écueils – et l’un des premiers à l’éliminer – à l’inverse, allons-nous apprendre de lui pour savoir ce qu’il faut ou ne pas faire ? Et contre toute attente, je n’arrive pas à m’en réjouir totalement. Parce qu’une partie de moi – je ne sais jamais vraiment laquelle même si je l’invoque assez régulièrement, j’imagine que ça tourne – se dit que c’est une victoire à court terme, qui, d’une certaine manière, rendra l’île plus vulnérable à moyen et long terme. En tout cas, l’isolera encore plus du reste du monde.
Parce que la hantise, dès à présent, va être de voir réapparaître le virus à un point inattendu du pays, avec tout ce que cela impliquerait dans la foulée pour s’en débarrasser à nouveau. Les frontières restant fermées – sauf aux non néo-zélandais souhaitant rentrer et placés en quatorzaine stricte à leur arrivée –, le risque est limité dès lors que les personnes encore malades font preuve de bon sens et de responsabilité. Mais, dans le doute, le pays développe son appli de suivi des contacts pour retrouver plus facilement les personnes susceptibles d’avoir été exposées au COVID-19 (alors même que le virus ne circule plus donc).
L’Australie – le plus proche voisin, avec qui les relations sont naturellement très étroites, encore plus en ce moment sans doute – a déjà sauté le pas. Plus de 3,5 millions de personnes ont volontairement téléchargé COVIDsafe, appli assez proche de celle de Singapour (qui, après avoir été considéré comme l’un des pays à avoir le mieux géré la crise, subit actuellement une deuxième vague bien plus violente, touchant presque exclusivement les travailleurs migrants vivant dans des dortoirs surpeuplés). Et, selon la même logique que pour l’immunité collective, pour que cette stratégie de suivi numérique soit efficace, un maximum d’Australiens doit installer l’application. Ce qui pourrait, dans le cas contraire, faire passer son téléchargement de « volontaire » à « obligatoire ». Pour la sécurité de tous, évidemment. Sous couvert de cette sécurité donc – le mot à placer depuis septembre 2001 –, nous nous retrouvons, individuellement, à devoir accepter beaucoup.
Et tout cela est grandement facilité par notre adoption sans résistance des outils technologiques et de leurs fonctionnalités pratiques, smartphones en particulier, dont nous aurions désormais du mal à nous passer tant ils font partie de nos vies. Fin 2019, il y avait ainsi 5,1 milliards d’utilisateurs mobiles uniques dans le monde (1). L’impossibilité de se déplacer ces dernières semaines nous a d’ailleurs massivement fait basculer dans la virtualité, pour toutes nos démarches, tant professionnelles que personnelles. Certes, cela nous a aidés à conserver du lien, à en créer, à partager, à faire comme si, mais cela a produit tellement de données sur nos habitudes que c’en est vertigineux. Je repense à ce petit challenge, en apparence anodin, comme Facebook sait en créer – c’est comme la question de l’œuf et la poule d’ailleurs, ou du patient zéro pour rester dans le thème du moment, on ne sait jamais vraiment d’où sortent ces challenges qui finissent toujours par transiter par des contacts connus – qui proposait « d’inonder la toile » – c’est la formule consacrée pour capter l’attention – avec des photos de nous enfant… Voilà qui semblait bon enfant justement, sympathique et amusant, surtout en ce moment. Sauf que la médaille a son revers et que l’idée que toutes ces photos – le challenge a été massivement accepté – soient utilisées pour apprendre aux « Intelligences Artificielles » à étudier le vieillissement des visages a rapidement fait son chemin chez les plus avertis. A raison, sûrement. Rappelons-nous cette phrase qui devrait sonner comme une alerte incendie à chaque fois que nous sommes tentés : « si c’est gratuit, c’est que le produit, c’est vous ». J’écris cela tout en cédant parfois à la tentation, je l’admets.
Il y a quelques années, face à cette inquiétude à l’égard de l’essor démesuré et non probants des dispositifs de surveillance, certains répliquaient : « cela ne me dérange pas, je n’ai rien à me reprocher ! » Ont-ils changé d’avis depuis ? Encore une fois, tout dépend de l’usage réellement fait des données collectées et de la confiance de la population envers « son » gouvernement. A ce titre, la méfiance qui a entouré la sortie du générateur numérique d’attestation de déplacement dérogatoire en France est assez révélatrice de la fracture qui n’a cessé de se creuser entre le pouvoir et la population ces derniers mois… Selon un sondage BVA réalisé début avril, « s’ils étaient contaminés, 75% des Français accepteraient que l’on utilise leurs données individuelles de géolocalisation, cela afin de retrouver les personnes avec qui ils ont été en contact durant les quatorze derniers jours » (2). Chiffre (étonnant par ailleurs mais qui vient corroborer ce que j’écrivais plus haut) qui tombe à 51% dans l’éventualité d’une gestion de ces données par les pouvoirs publics…
Bref, tout cela soulève à nouveau des dizaines de questions. Et pour revenir à la situation en Nouvelle Zélande, même si la question dépasse allègrement ce cadre, qu’est-il préférable face à une menace ? La faire disparaître ou apprendre à composer avec ? A l’échelle d’un pays, je ne sais pas et ne peux simplement constater que la grande majorité des pays dans le monde n’aura pas le choix. Et devra surtout s’y adapter puisqu’éradiquer le virus, dans un temps court, n’est une solution réaliste que pour une minorité. Avec la tentation du repli sur soi déjà pointée du doigt…
Une part de mon adaptation passant par la migration, ce matin, j’ai repris, avec une certaine excitation, les recherches immobilières laissées en suspens en fin d’année 2019. Mots clés : maison (grande), terrain (grand), hameau, dépendances, potentiel (grand), Bretagne ! Allez, cap à l’ouest !
Hier soir, avant de me coucher, j’ai invité mon inconscient à retourner chercher la voiture que je n’ai pas (cette première phrase est bien moins étrange qu’il n’y paraît quand on a lu l’épisode 9). Figurez-vous que je l’ai trouvée, mais que deux nouveaux obstacles se sont intercalés entre elle et mon désir d’évasion : d’une part, la clé que j’avais ne semblait pas correspondre à la serrure et d’autre part, elle était tellement bien coincée entre deux autres voitures que je n’aurais jamais réussi à la sortir de sa place. Comme quoi, trouver ce que l’on croit chercher n’est pas forcément un gage de réussite ! J’en déduis donc qu’il me faut rester ici. Et appréhender l’attente autrement.
Savez-vous de combien de temps nous avons besoin au réveil pour savoir où, quel jour et qui nous sommes ? Certains – j’ai même des noms ! – me lanceront que cela dépend de ce que nous avons fait la veille ou pendant la nuit… Envisageons donc un comportement sans excès, une nuit simple ou une simple nuit. Je cherche la réponse depuis tout à l’heure et je ne trouve pas. Je ne trouve pas car je ne sais comment poser la question efficacement à mon moteur de recherche pour qu’il me propose autre chose que des articles sur le nombre d’heures de sommeil nécessaire pour être en forme, sur des méthodes pour me souvenir de mes rêves ou sur les troubles du sommeil… Bon, ai-je vraiment besoin d’avoir un chiffre précis pour continuer ? Non. Alors, je poursuis.
Disons qu’a priori, sauf si vous êtes sujet à des formes d’ivresse du réveil, cela se fait « rapidement ». « Rapidement », cela ne veut rien dire, c’est vrai. C’est du même acabit que lorsque le Ministre de la Culture a annoncé que les « petits » festivals pourront reprendre après le 11 mai. « Petits », c’est-à-dire ? Tout est relatif, tout est subjectif dans ce monde. D’ailleurs, je me demande pourquoi le mot « objectif » existe alors que l’objectivité n’existe pas. C’est un peu bête ce que j’écris, le dictionnaire est plein de chimères… Par exemple, le fait que Princesse Leia soit un personnage de fiction l’empêche-t-elle d’exister dans le réel ? Quid alors des personnes, réelles, qui endossent son costume pour aller voir Star Wars ou se rendre à une convention cosplay ? En les voyant, ne nous disons-nous pas : « Oh, c’est Princesse Leia ! ». Preuve qu’elle existe bel et bien… N’est-ce pas là un incroyable pouvoir de la création et de l’art ?
Bref. Sommé de préciser sa pensée, voilà ce qu’a répondu le monsieur au Sénat : « un petit festival rural, avec une scène, un musicien et 50 personnes qui sont à un mètre les unes des autres, sur des chaises, qui ont un masque et, en entrant sur le site, la possibilité de bien se laver les mains avec des produits spécifiques, on pourra tenir ces festivals-là » (1). Ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ! Bon. Dans le « même » esprit, j’ai lu que les ciné-parcs – chacun dans sa voiture devant l’écran, pas sur un transat avec sa petite couverture comme chaque été à La Villette à Paris – ressuscitaient dans certains pays grâce au coronavirus. Ce qui, esprit d’escalier oblige, me fait penser à l’étonnante et très belle série d’un copain photographe, Cyril Abad, sur une église drive-in en Floride aux Etats-Unis, où les fidèles, sans sortir de leur voiture, écoutent le sermon du pasteur en se calant sur la station « Les disciples du Christ » de leur autoradio, le tout, depuis la pelouse d’un ancien … cinéma en plein air (2). Nous y sommes presque !
Oups, je crois que je me suis égarée… Le réveil donc, un réveil naturel, sans réveil strident, sans cri d’enfant, sans sirène de police, un réveil en douceur donc… Partons sur quelques microsecondes, au pire quelques secondes, avant de resituer correctement la pièce et l’espace dans laquelle elle se trouve, de comprendre que la main qui s’avance naturellement de votre visage pour le frotter est bien la vôtre, d’éventuellement reconnaître la personne à vos côtés ou plutôt de reconnaître la personne éventuellement à vos côtés… C’est un peu comme la ponctuation – on mange, les enfants ! / on mange les enfants ! –, l’ordre des mots est important. Donc, certains matins, pendant ce très court laps de temps, combien sommes-nous à avoir oublié que le monde est plongé dans cette CDI (Crise à Durée Indéterminée) ? Pendant ce laps de temps où je jouis d’une liberté totale (une illusion, ce dernier point, mais faisons comme si), je me surprends à penser à la toile que je pourrai aller voir le soir venu, avec des amis, dans mon cinéma de quartier, et le repas que nous partagerons après. J’ai 4 mois de retard, sachant que les sorties ne sortent plus depuis 1,5 mois et, que, sans doute, plus rien n’est d’ailleurs tourné (ce qui me fait penser à mes amis intermittents…)… Et puis, plouf, patatras, le répit s’achève et tout revient d’un coup : la pandémie, le fil à la patte, la cacophonie, le flou. Mais voilà qu’un grand sourire et des yeux rieurs s’approchent de moi. J’en oublie alors mon oubli pour ne me souvenir que de l’essentiel…
L’autre jour, en faisant la queue pour entrer au New World, à Wellington donc (j’ai presque déjà l’impression que c’était dans une vie antérieure), connectée au wifi ouvert du centre ville, j’ai découvert cette citation d’Osho Rajneesh sur la page FB « Psychologie Jungienne » à laquelle je ne suis pas abonnée mais dont certains de mes contacts relaient par moment les posts composés par je ne sais qui d’ailleurs : « Un rebelle est celui qui ne réagit pas contre la société. Il observe et comprend tout le manège et il décide simplement de ne pas en faire partie. Il n’est pas contre la société, il est plutôt indifférent à ce qui s’y passe. C’est la beauté de la rébellion : la liberté. Le révolutionnaire n’est pas libre. Il est constamment en train de se battre, de lutter avec quelque chose. Comment pourrait-il donc être libre ? ».
D’abord, vérifier ses sources. Les citations apocryphes sont légions et je ne sais exactement ce qu’il en est de celle-ci. Par exemple, Galilée n’aurait jamais dit : « Et pourtant, elle tourne ! », Malraux n’a jamais annoncé que « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas », Marie-Antoinette ne s’est jamais exclamée « Qu’ils mangent de la brioche ! », ni Schopenhaeur que « la femme est un animal à cheveux longs et idées courtes »… Figurez-vous qu’Andy Warhol n’aurait même jamais prononcé sa phrase pourtant la plus célèbre : « Dans le futur, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale ». C’est terrible, non, d’être célébré pour une phrase dont on n’est même pas l’auteur. Pire, Sherlock Holmes ne s’est jamais adressé à son ami par un « Elémentaire mon cher Watson ! »… Que dire également de Lavoisier à qui l’on prête, faussement donc puisque tel est l’objet de ce paragraphe, cette phrase que j’ai moi-même colportée sans savoir : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » ? Et une dernière, supposée de Darwin, mais non : « Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements » alors que selon un spécialiste de l’auteur de « L’origine des espèces », il privilégiait plutôt la chance – encore un drôle de concept que celle-ci, du même acabit que la question « le hasard existe-t-il ? » à laquelle elle est d’ailleurs intimement liée – et le fait de disposer déjà des « bonnes caractéristiques physiques pour les transmettre à la génération suivante ». C’est tout de même bien différent… C’est fou comme le temps et ceux qui l’habitent distordent les faits. C’est fou comme l’Histoire peut être subjective et relative quand on la pense naïvement objective et absolue.
Je reviens cependant à ma citation liminaire. La suite, s’intéresser un minimum à leur auteur – j’apprends donc que le sieur en question, dont le nom n’est pas exactement celui-là, a eu un parcours plutôt controversé… Me faut-il de fait séparer le penseur de l’homme ? Ce n’est pas drôle. Je me contenterai donc d’explorer le contenu. Je me suis arrêtée sur ce raisonnement pour au moins deux raisons. La première est totalement conjoncturelle, la seconde entièrement personnelle et/ou identitaire. Commençons par celle-ci. Je ne me définis pas comme étant une personne engagée. Et par engagée, j’entends politiquement et/ou socialement – je sais qu’il revêt une forme bien plus large que cela et que ma vie n’est pas dépourvue d’engagements. De fait, je n’ai commencé à voter que tardivement – parce que je pensais que le pouvoir pervertissait tous les idéaux… ce serait faux d’affirmer que je ne le crois plus, mais je vote, plus pour éviter ce que j’estime être le pire que parce que j’y vois une porte d’accès au meilleur. Dans le même esprit, j’ai rarement participé à des manifestations, quand bien même j’en partageais les revendications. Pour compenser ou comprendre, je ne sais pas vraiment mais cela n’a jamais été calculé, j’ai remarqué qu’au fil du temps, je m’étais naturellement entourée de personnes qui, à mes yeux, incarnaient cet engagement social et politique me faisant a priori défaut. Et je les admire sincèrement pour cela, pour leurs colères, leurs luttes, leurs exaspérations, leurs « tu te rends compte, on ne peut pas laisser faire ça ! », leurs indignations, leurs banderoles, chants, cris, danses et poings levés, pour toutes ces façons qu’elles ont de proclamer qu’elles ne sont pas d’accord avec ce que l’« on » veut leur faire avaler… J’écris « on » mais c’est « nous » en fait. Je les admire et je les trouve magnifiques, justes et légitimes dans leurs combats. Et ces derniers mois, voire ces dernières années, il me semble que les raisons de se rebeller – pas au sens d’Osho donc – contre l’ordre établi n’ont pas manqué. Elles se sont même multipliées. Mais pourquoi donc suis-je partie dans cette direction aujourd’hui ? Bref… Toujours est-il que ce pseudo ou faux détachement de ma part à l’égard d’une certaine manifestation de la réalité – disons, la plus concrète, celle qui agit le plus directement sur notre quotidien – m’a longtemps fait culpabiliser et m’interroger. J’ai finalement réussi à me défaire de ce sentiment – ce qui n’est pas une mince affaire – car je comprends aujourd’hui à quel point chacun est sur son chemin. Que ce chemin-là n’est pas le mien. Et que le mien est parfait. Parfait ne veut pas dire qu’il est sans défaut et sans reproche, qu’il ne pourrait rien y avoir de meilleur. Non, il est parfait parce que c’est le mien.
Je ne sais pas encore tout à fait ce que je construis – j’espère transmettre et partager du beau, des étincelles dans les yeux, des sourires sur les lèvres, ma passion en toutes choses, de la joie, mais aussi de la légèreté, peut-être un peu d’espoir et de lumière quand certains ne voient plus que des ombres, ou encore des pistes de réflexion, l’envie d’y croire ou de voir les choses autrement ; plus que tout, un amour de la vie et des autres… Ce serait déjà beaucoup. Mais je sais que je ne m’oppose pas à la société. La société est ce qu’elle est. Elle aussi est sur son chemin, à une échelle macroscopique. Ce n’est pas simple d’écrire cette phrase en ayant conscience de tout ce qui est bancal et inacceptable sur cette planète. Enfin, ce n’est pas « sur cette planète » car on pourrait croire qu’elle est fautive alors qu’elle est simplement l’hôte de nos ignominies.
Je me reconnais donc dans cette propension à observer de loin, à essayer de comprendre ce qui motive telle ou telle action, à décider de la laisser vivre sa vie sans m’en offusquer, et à continuer à chercher le beau, le pur, l’harmonie sans me laisser polluer par un certain visage de la réalité. Car, comme je l’écrivais précédemment, elle n’est pas unique. Elles sont des milliards à coexister. Aucune réalité n’est objective même s’il nous est essentiel de nous entendre sur certains éléments pour communiquer et nous comprendre. Et j’ai la candeur de croire que chacun a le pouvoir de décider, non sans effort certes, voire douleur, la réalité dans laquelle il souhaite évoluer.
A l’heure où l’Après se prépare en théorie – car nous sommes toujours limités dans nos mouvements et que la concrétisation de nos velléités de changement se heurtent, pour l’heure, à la réalité du confinement –, ma priorité ne sera donc pas, lorsque les portes seront rouvertes, de me battre contre le régime en place. Ce ne sera pas de l’indifférence pour autant, bien au contraire. De mon strict point de vue, qui n’est en aucun cas un jugement, j’aurais le sentiment de m’épuiser en vain à lutter contre un système dépassé et du passé. Et donc de grignoter inutilement une énergie positive que je préfère dédier à des actions sur lesquelles j’ai la main et comme je l’écrivais précédemment également, dont la réussite ne dépend pas de tiers aux règles illogiques, incohérentes, contradictoires, injustes mais presque que de moi, ou plutôt d’un groupe, même petit au début, de personnes partageant les mêmes valeurs, les mêmes envies, les mêmes idéaux, les mêmes rêves, et cheminant vers eux en (se faisant) confiance… Nous avons les moyens d’écrire le futur que nous souhaitons. Le croire, c’est déjà le faire exister. Alors, nous serons libres. Et peut-être même, des rebelles…
Vous propose-t-on, à vous aussi, lorsque vous naviguez sur Internet, des publicités pour des masques en tous genres, chirurgicaux, à deux plis, ffp3, antipoussière avec soupape, à visière – même teintée, pour voir la vie en rose peut-être –, ffp2, à usage unique, en tissu lavable, afnor, en tissu homologué, en wax ? Je n’ai jamais été aussi au fait de l’étendue de l’offre de masques ! Et j’imagine bientôt la récupération : « Ce masque bien sous tout rapport vous a été offert par Seforhein ! » ou « Pour deux tablettes de chocolat Côte d’Argent achetées, un masque comestible offert ! ». Je vous l’accorde, cela ne vous protègerait pas réellement – ni les autres –, mais ce serait amusant. Un peu comme de manger une glace en plein été !
Qui a salivé en pensant au chocolat ? Je vérifie simplement un point sur les neurones miroirs que j’avais mentionné il y a quelques jours ou semaines, je ne sais plus, en évoquant le bon pâté du Périgord planqué au fond de la dernière étagère de mon placard que je me ferais un plaisir d’ouvrir en rentrant. Si vous voulez tout savoir, comme le lance Sally à Harry lors de leur trajet Chicago-New York, et bien, nous l’avons ouverte. D’ailleurs, je vais me chercher un morceau de chocolat.
Ah, et sinon, je viens de visualiser le masque que pourrait proposer la marque au swoosh, la virgule à la hauteur de la bouche – pour un sourire permanent, de biais, mais sincère… je suggère, de ce fait, une mutualisation des coûts avec UltraDark – et un nouveau slogan pour l’occasion : « Just keep it! ». A ne pas confondre avec « Just skip it » – « Passez votre chemin » –, en s’associant avec une marque de lessive, qui pourrait cependant avoir du sens dans une perspective de généralisation à long terme de distanciation sociale.
A ce propos, je m’étonnais l’autre jour que mon smartphone se soit aussi rapidement adapté à la situation en me proposant d’emblée, lorsque je compose mes messages, les mots pandémie, coronavirus, confinement, autorisation spéciale d’absence, télétravail, covid-19, apocalypse, chloroquine, rapatriement, dystopie, ambassade (pas de lien de causalité entre ce mot et le précédent), lockdown (parce que j’ai pris le tic de mélanger français et anglais dans certains de mes messages… non, c’est pas vrai), déconfinement, quarantaine, masque, attestation de déplacement dérogatoire, nouvel ordre, nouveau monde, l’après… D’ailleurs, j’attends avec impatience l’édition du Petit Robert 2021 dans lequel vont certainement débarquer d’autres nouveaux mots et néologismes – dans les faits, tous ne le sont pas, mais ils prenaient sérieusement la poussière en pages 264, 517 et 810, ou alors n’étaient utilisés que par une faible proportion de la population, une niche comme on dit – nés de l’imagination et de la créativité prolifique des confinés en temps de pandémie : comorbidité, Sars-coV-2, période d’incubation, gestes barrières, Whatsappero, clapping, coronabdos, lundimanche, confifi, confiner, covidéprimer, zoomer, covidiot, désinfox, cluster, quatorzaine, immunité collective, corona-sceptique… Je ne sais pas comment cela se passe dans le monde des mots, s’ils sont tous là, à vouloir se hisser sur la couverture solide du dictionnaire en levant la première lettre, car ils sont bien élevés : « Moi ! Moi ! Moi ! Je veux me rendre utile ! Je veux aider les humains à s’exprimer de façon juste en cette période si complexe ! » « Qui es-tu toi, j’ai du mal à te lire, tu es très grand ? » lui lance le Gardien des Mots, qui décide également des entrées et des sorties. « Asymptomatique Maître ! » « Ah ! Tu as bien raison, ils vont avoir besoin de toi ! Mais souviens-toi que tu rassureras autant que tu effraieras ! Bon, tu es prêt, je te déconfine ! Va, vis et deviens ! »… Quelques heures plus tard en lançant une recherche sur le mot libéré, rayon Actus. 22400 occurrences : « L’énigme des personnes asymptomatiques », « Environ 25% des personnes infectées seraient asymptomatiques », « Ces asymptomatiques qui vous entourent », « Les personnes asymptomatiques seraient aussi contagieuses que les autres », « Quatre infections sur 5 seraient asymptomatiques selon une étude »… Ce qui, je suis d’accord, n’est pas compatible avec un titre précédent tablant plutôt sur 1 cas sur 4. Mais sommes-nous réellement à une contradiction près ?
C’est étrange, l’optimisme. Quoi qu’il se passe, on trouve toujours un moyen d’y croire, de voir la lumière au fond du tunnel – même s’il est long, et haut, et large – et de chercher un moyen de la rejoindre – même s’il s’agrandit en chemin (hé bien, la route sera plus longue !), même si des esprits malins tentent de l’obstruer avec d’imposants rochers (hé bien, il faudra les escalader ou trouver une faille !)… Je me perçois donc comme une personne profondément optimiste. Entre autres. A tel point que j’arrive à penser certains jours que même les plus pessimistes d’entre nous sont, en fait, des optimistes en sommeil. Et que c’est cette trace d’optimisme tapie au fond d’eux qui, même si jamais ils ne l’admettront, les maintient en vie. Car comment vivre, comment vouloir continuer à vivre, surtout, en étant foncièrement persuadé que le jour prochain, la semaine prochaine, le mois prochain, l’année prochaine, la décennie prochaine, le siècle prochain sera pire qu’aujourd’hui ? A mes yeux, cela n’aurait pas de sens. Ce ne serait pas logique, pas cohérent. D’où mon raisonnement initial.
Bien sûr, notre regard est toujours biaisé par notre propre approche de la vie. Et me revient à l’esprit cette phrase, extraite du livre de Jérôme Ferrari, Le principe, que j’avais notée dans mon carnet du moment il y a quelques années : « On essaye de comprendre les choses à partir de sa propre expérience parce que c’est tout ce dont on dispose et c’est, bien sûr, très insuffisant ». Il parlait alors de physique, le principe du titre étant celui d’incertitude (ah ah !), ou d’indétermination, énoncé par Werner Heisenberg en 1927, qui stipule qu’il est impossible de connaître simultanément la position et la vitesse exactes d’une particule (quantique). Une vraie révolution scientifique par ailleurs. Mais, là encore, ce que je retiens de cette phrase sortie de son contexte tout à la fois fictionnel et épistémologique, est que pour être en mesure de comprendre les choses, il faut les vivre. Je choisis évidemment les citations qui résonnent et raisonnent en moi. Celle-ci m’invite, à sa manière, à avoir le plus d’expériences possibles si je veux comprendre le monde – même si j’ai récemment cité Patrick Viveret disant qu’il fallait accepter de ne pas tout vivre… et par conséquent, accepter de ne pas tout comprendre.
Ce qui tombe très bien car en ce moment, beaucoup de choses échappent à mon entendement, non pas dans les faits eux-mêmes – la pandémie, j’ai bien compris comment elle s’était propagée et c’est très logique – mais plutôt dans les processus de prises de décision à l’échelle des organisations qui en ont découlé pour la contenir, ou pas. Parfois, j’en viens d’ailleurs à penser que le covid-19 n’est pas responsable du chaos actuel et à venir, il en est simplement le détonateur, l’étincelle. Suivant cette logique, l’incendie qui a suivi dans de nombreux pays, et qui, parfois, n’est toujours pas éteint, serait, quant à lui, la conséquence des décisions prises, hier et aujourd’hui, par ce que l’on a pour habitude d’appeler « le sommet ». Volontairement, involontairement, je ne m’aventurerai pas sur ce terrain. Que des pays comme Taïwan, la Nouvelle Zélande, l’Islande, Singapour, la Finlande, l’Allemagne, le Danemark, la Norvège, Hong Kong – dont, soit dit en passant et comme cela a été relevé il y a quelques semaines, 7 sont dirigés par des femmes, même si concomitance n’est pas corrélation – aient été relativement épargnés par la crise, n’ayant, pour certains, même pas eu recours au confinement, en serait presque une preuve… En ce sens, accepter de ne pas tout comprendre me permet de garder mon calme, de ne pas perdre de temps à essayer de comprendre malgré tout car je ne suis pas câblée « comme il faut » et que l’irrationnel est aux commandes, et de concentrer mon énergie sur quelque chose dont je maîtrise les tenants et les aboutissants.
Les mots de Ferrari m’apprennent également qu’en tant qu’optimiste auto-proclamée, je ne peux pas me mettre dans la peau d’un pessimiste. Et donc, que mon raisonnement liminaire ne vaut rien. Parfois, je me dis que, par les temps qui courent, l’optimiste est indécent. Mais je me souviens alors que ce dernier n’a pas forcément chaussé des œillères pour le rester… Au contraire. Il sait, il s’informe, il voit, il intègre, il connecte, et pourtant, il croit en des jours meilleurs, il a confiance. Ne mélangeons pas tout, l’optimiste ne se dit pas forcément que tout va s’arranger. Non, non, non… Il a conscience que ce sera difficile, qu’il faudra revoir sa copie et que cela ne se fera pas sans lutte – car la résistance au changement est pire que le changement lui-même –, mais, il sent, qu’au final, cela ira. La vie sera la plus forte.
Je ne vous cache pas qu’il m’arrive de me demander d’où me vient cet optimisme inoxydable (teinté d’une indéniable mélancolie tout de même). Ces jours-là, je m’invective : « non, mais tu es sûre de vouloir rester optimiste ? Parce que là, ouvre les yeux, la situation est quand même assez catastrophique, désespérée même, je ne vois pas comment elle pourrait s’améliorer avec tout ce qui nous attend alors que tout s’est effondré, que l’imbécilité est au sommet, que la planète suffoque, que les êtres humains n’ont jamais été aussi discriminés et isolés… Tu veux vraiment la liste complète ? Elle est où ta lumière au bout du tunnel, hein ? Elle est où ? » « Oui, je sais, je sais tout cela, mais c’est plus fort que moi, j’y crois encore ! » Quand on y réfléchit un peu, c’est fou. Pour me l’expliquer, j’ose un raccourci comme je les affectionne – l’alternative m’amènerait à m’inscrire à une énième thèse, une par raccourci commis dans mes textes depuis des années –, l’optimisme vient du cœur, de l’âme, et non pas de la raison.
Il vient donc d’un endroit bien plus profond, bien plus intérieur, bien plus mystérieux, bien plus subtil, bien plus ancien que nos propres vies. Et évidemment, je lui fais confiance pour me montrer le chemin.
Je suis ici mais je suis aussi là-bas. Les onglets de mon navigateur web relatifs au covid-19 en Nouvelle Zélande sont toujours ouverts. Il y a notamment la page dédiée au virus sur le site du Ministère de la Santé qui relaie essentiellement les statistiques du jour – cette crise mondiale nous montre d’ailleurs à quel point elles sont un instrument de manipulation politique alors même que les chiffres sont sensés traduire des faits indiscutables : 5 cas aujourd’hui, dont 4 liés à un cluster ; plus que 7 personnes à l’hôpital ; 1118 personnes guéries sur les 1461 touchées ; 115 015 tests réalisés… Cela me réjouit de lire ça.
Je crois que j’aurais aimé être sur place le jour – prochain a priori – où, pour la première fois, la case des nouveaux cas des dernières 24h affichera un zéro pointé. J’en aurais eu des frissons, car je l’aurais vécu comme une victoire collective, celle d’une population unie et disciplinée (sans le côté péjoratif associé parfois à cet adjectif) et d’un gouvernement rationnel et empathique, sur une menace invisible à l’œil nu mais potentiellement ravageuse. J’utilise le conditionnel passé – soit dit en passant, un temps qui permet d’évoquer un fait dans le futur, donc pas encore passé, qui aurait pu avoir lieu si le présent, donc ni le passé ni le futur, avait été différent – mais je pourrai évidemment suivre tout cela à distance et en différé de 10h. Simplement, j’aurai moins la sensation – et satisfaction – d’en faire partie. Ce n’est pas grand chose mais j’avais fini par embrasser les slogans efficaces du gouvernement, qui a articulé sa communication autour de messages simples et forts, à l’instar de son « Stay home. Save lives » diffusé partout dès le début du confinement il y a un mois. Un message facile à comprendre et touchant droit au cœur : à contrainte exceptionnelle, effet exceptionnel. Voilà qui s’affiche presque comme une illustration de la 3eloi de Newton, celle d’action / réaction. Quand, dans notre vie, avons-nous réellement l’occasion de sauver d’autres vies aussi facilement ? Il y a une part de naïveté dans cette approche – la réalité est toujours plus complexe –, j’en ai conscience. Et en même temps, si l’on fait le raisonnement inverse, on se rend aussi compte que de nombreux décès sont imputables au non respect de cette précaution simple et, mais c’est lié, à cette croyance aussi étonnante que commune que cela ne peut pas nous toucher, enfin, me toucher personnellement, et qu’a fortiori, je ne peux être vecteur de la mort… C’est incroyablement compliqué…
Sinon, je parcours encore les messages du groupe FB des Français en NZ, un peu par embryo-nostalgie et aussi pour suivre la situation sur place. Certains se sont virtuellement réunis pour demander un nouveau vol à l’Ambassade alors qu’elle a annoncé que celui du 21, que nous avons pris donc, était le dernier. D’autres parlent de vols retour initialement prévus début juin qui commencent à être annulés par les compagnies aériennes et reportés automatiquement à juillet. Certains se projettent même à septembre, même si, pour l’heure, il n’y a rien d’officiel et que ce sont toujours des rumeurs. Elles sont terribles les rumeurs. D’où émergent-elles, les rumeurs ? Toutes ces informations nous confortent encore plus dans notre décision que, même sans elles, nous n’aurions pas regrettée.
Je suis ici mais je suis aussi là-bas. Dans mon lit, la nuit, au lieu de compter les moutons – en vrai, je tombe comme une masse à 22h depuis notre retour –, je refais mentalement le chemin de notre appartement à « mon » arbre dans la forêt derrière, celui au cœur duquel j’allais, chaque jour, méditer et papoter un peu. Gauche, gauche, gauche, ça monte sec, gauche, attention au tronc, attention aux racines, était-elle cassée cette branche hier ?, la toile d’araignée a disparu, que j’aime ce sol meuble, le voilà, plus que quelques mètres, j’en ai le cœur noué, je m’approche, je le regarde de bas en haut s’évader vers l’infini du ciel, contact, connexion, vibration. Il semblerait qu’ainsi accrochée, j’aie effrayé et intrigué plus d’une personne passant par là. Est-ce vraiment si étrange que cela de communier avec un arbre (en silence, je précise) ? Surtout, dans un pays où les éléments sont si présents et nous appellent autant ? Je ne sais combien de temps je conserverai une vision aussi fine et fidèle de cet univers-là… Aussi, pour retarder l’oubli, je l’ai mis dans ma boite à lumière. Il me suffit donc de l’ouvrir pour le retrouver. Au moins, visuellement.
Je suis ici mais je suis aussi là-bas. Surtout lorsque, comme aujourd’hui, je reçois plusieurs messages m’informant de la diffusion d’un documentaire sur la Nouvelle Zélande ce soir à la télévision. Je suis touchée de l’intention et me dis que, peut-être, certains vont pouvoir découvrir un pays sur lequel ils ne se seraient pas penchés sans ce lien amical entre nous. Ceci dit, je ne sais pas si je le regarderai… Sans doute un jour, pas tout de suite. Le temps de vraiment atterrir et d’être entièrement ici…
Mardi matin, à 8h40, en quittant le 55b Scarborough Terrace, Mount Victoria, j’ai la désagréable sensation d’être littéralement arrachée à la Nouvelle Zélande. Dans le fond, c’est assez irrationnel, car je ne suis dans le pays que depuis le 10 janvier 2020 – mais l’attachement à un lieu, à une personne est-il réellement proportionnel au temps passé à cet endroit ou avec elle ? – et j’attribue cette perception à la rapidité avec laquelle tout s’est enchaîné depuis vendredi dernier, jour où nous avons signifié à l’Ambassade notre intérêt pour le dernier vol de rapatriement et où nous avons appris, quelques heures après, que nous en serions. Dire que nous espérions presque une réponse négative ne serait pas entièrement loin de la vérité… Ce matin, jeudi 23 avril, alors que je peaufine, depuis mon bureau, chez moi, ce texte maladroitement griffonné dans l’avion, je peux néanmoins affirmer que c’était mieux ainsi.
Mais, minute papillon. Retournons à Wellington encore quelques instants… Le taxi collectif arrive avec les 5 minutes d’avance potentielles annoncées lors de la réservation en ligne. Nous avons beau avoir mis le réveil tôt pour avoir le temps de tout finaliser sans nous presser, les dernières minutes ressemblent toujours à un champ de bataille ! Tout se passe donc très vite, nous chargeons nous-mêmes nos sacs dans la remorque avec 5 minutes d’avance, nous nous engouffrons dans le minibus vide, nous partons. En deux secondes, la maison a disparu. Les ruptures les plus franches sont-elles moins douloureuses ? Alors que je suis dans le dernier round de ce vol quasi interminable qui nous ramène à la maison, je revois l’olivier, au fond, au coin de la cour, celui-là même dont les branches, agitées par un vent fort, nous avait réveillées en pleine nuit il y a quelques jours. Quelle drôle de place tout de même pour un olivier ! En même temps, quel bonheur de l’avoir eu à nos côtés ces quelques semaines.
Nous filons directement à l’aéroport sans récupérer qui que ce soit d’autre en chemin. Simplement parce qu’il n’y a plus de vol au départ de Wellington ou si peu. Le trajet dure moins de 15 minutes, 15 minutes aussi douloureuses qu’emplies de gratitude à l’égard de cette ville que nous avons tant aimée et qui nous a tant donné en un petit mois, même en y étant confinées. En particulier, une sérénité et un sentiment de sécurité extrêmement précieux dans le contexte chaotique dans lequel est actuellement plongé le monde. Forcément, cette situation exceptionnelle exacerbe les impressions. Le chauffeur nous dépose devant la porte des Départs. Le parking est complètement vide. Il n’y a personne. Quatre, cinq personnes, tout au plus, qui prennent certainement le même vol intérieur que nous. « Bon retour » nous lance-t-il, avant de disparaître. Pour entrer dans l’aéroport, il nous faut montrer patte blanche aux deux dames masquées-gantées postées juste derrière les portes et prouver qu’un vol international nous attend quelque part. « You are with the Embassy? » « Yes! » « You can go. » C’est étrange, un aéroport vide. Cela n’a pas de sens. Nous récupérons notre carte d’embarquement, déposons nos sacs et allons patienter dans le hall, sous ,la protection de deux immenses aigles tout droits sortis des studios WETA et de la mythologie du Seigneur des Anneaux (que nous n’aurons finalement pas regardée). Nous sommes 26 dans ce Bombardier Q300 à hélices pouvant en accueillir le double. Pour respecter la distance de sécurité interpersonnelle de 2 m imposée par le gouvernement, seuls les sièges côté hublot sont occupés. Autant dire que les places étaient chères et que nous avons été bien inspirées de prendre nos billets avant d’avoir la réponse de l’Ambassade. D’ailleurs, entre le matin et le soir, leur prix avait doublé… L’aéroport de Wellington se trouve dans un quartier périphérique de la ville. Il fait beau quand nous quittons la terre ferme. La baie et ses collines habitées s’offrent à notre regard une dernière fois alors que le pilote fait une boucle au dessus de la ville pour s’orienter dans la bonne direction. Quelques minutes seulement après le décollage, nous longeons déjà la côte Est de l’Île du Sud. Au loin, à l’horizon en regardant vers l’Ouest, les Alpes, qui traversent toute l’île dans le sens de la longueur, sont recouvertes d’un manteau neigeux. Quelle splendeur ! D’en haut, je refais une partie de la route parcourue en février en voiture. Là, la péninsule de Kaikoura, ici, l’embouchure du fleuve Hurunui, là, la péninsule de Banks où est tapie Akaroa, le pier de New Brighton et les rues en quadrillage de Christchurch, la ville plate… Je me souviens qu’à l’aller, en janvier, je n’avais pas été aussi impressionnée par ce relief de la côte Est ; je l’avais trouvé bien plus sec et aride que je ne le présumais. C’est étrange comme les perceptions changent selon le point de vue et l’expérience.
Récupération des bagages, l’aéroport de Christchurch est vide. Nous sommes invités à en sortir le temps d’être autorisés à y re-rentrer à 13h. Il est 11h30. Il y a déjà des grappes de Français dehors. Certains se connaissent. D’autres arrivent en taxi, en voiture, en van. Par chance, le soleil est au rendez-vous. Et finalement, nous nous mettons en rang dès 12h. Certains ont des masques, d’autres pas. Les 2m de sécurité ne sont globalement pas respectés. A nouveau, pour pouvoir entrer dans l’aéroport, nous devons présenter la lettre – non nominative – de l’Ambassade disant, à qui de droit, que nous sommes inscrites sur le vol de 5 pm pour Paris le 21 avril, puis nos passeports – « oh, you’ve got long hair now! » –, puis une autre attestation prouvant que nous sommes bien celles à qui sont destinées les deux places. « You can go. » Hormis un vol intérieur vers Auckland dans l’après-midi et un autre vers Chatham Island, l’aéroport ne semble être ouvert que pour nous. Heureusement car nous prenons beaucoup de place ! L’atmosphère est un peu particulière. Très calme cependant. Nous nous glissons dans la longue queue déjà formée des candidats au voyage. Trois personnes de l’Ambassade – reconnaissable grâce à leur gilet jaune fluo au dos duquel est agrafée une feuille siglée de l’Ambassade de France – passent dans les rangs pour distribuer divers documents à compléter avant de partir, puis vérifier qu’ils sont bien remplis, en particulier, que les adresses que nous donnons sont bien celles inscrites sur nos passeports. Nous ne savons pas si cela signifie, par exemple, qu’il est impossible d’aller confiner ailleurs que chez soi… Mais il semblerait que ce soit plus notre adresse fiscale qui les intéresse.
Au bout de ce premier circuit, nous nous arrêtons devant deux personnes assises derrière une table à côté de laquelle trône un drapeau français. Distance de sécurité oblige, nous tendons nos passeports au monsieur tandis que la dame raye nos noms sur la liste des passagers. Il y a a priori des personnes sur liste d’attente, attendant probablement à l’extérieur de l’aéroport en espérant des désistements de dernière minute. Quel stress ce doit être ! Puis nous donnons notre déclaration sur l’honneur attestant que nous paierons les 850 € du vol au Trésor Public avant le 1er juillet, sachant que le vol, affrété par Qatar Airways, est aussi subventionné par l’état français – à quelle hauteur, nous ne le savons pas. Dernière étape avant de pouvoir nous délester de nos bagages : quatre femmes travaillant à l’aéroport distribuent les précieux sésames, à savoir nos cartes d’embarquement. Nous en avons trois chacune, une pour le vol Christchurch – Perth, une pour le Perth – Doha et enfin une pour le Doha – Paris. Trois cartes mais nous allons bien rester dans le même avion, les deux arrêts prévus étant des escales techniques – ravitaillement en kérosène et en repas – et de changement d’équipage.
C’est à ce moment que nous découvrons que les placements ont été faits par ordre alphabétique et non par groupe de personnes voyageant ensemble, alors même que c’est une information dont disposait l’Ambassade. L’une est en tête de l’avion quand l’autre est en queue… Mais, il est hors de question de faire ce vol de 28h chacune de son côté. Tout le monde est dans le même cas, mêmes les familles avec enfants, placés à côté d’un des deux parents quand ils ne sont pas mariés. C’était sûrement plus pratique à organiser ainsi mais cela génère un petit pincement à l’heure où tout est déjà un peu noué et promet un beau jeu de chaises musicales à l’embarquement… Plus légères de 12 et 13 kg, nous passons la sécurité puis l’immigration. Il n’y aura finalement aucune trace de notre séjour en Nouvelle Zélande sur notre passeport… A l’aller, nous les avions juste scannés et à la sortie, si c’est bien une personne en chair et en os qui assure les vérifications, elle se contente de le scanner à nouveau. Quelle tristesse…
Maintenant, il n’y a plus qu’à attendre. Nous nous étalons sur les divers halls d’embarquement de l’aéroport. Ce qui, pour le Boeing 777 que nous allons investir, représente tout de même quasi 500 personnes. Il n’y aura donc pas de distanciation sociale dans cet avion là. Les partants ? A première vue, en grande majorité, de jeunes pvtistes, les aînés ayant sans doute été déjà rapatriés. Coralie en repère un arborant un T-Shirt estampillé « In tartiflette we trust ». « En voilà un qui annonce la couleur ! » Il est 16h30 passés quand débute l’embarquement zone par zone. Le fond de l’avion en premier. Coralie s’insère dans la queue déjà formée. Sa mission, négocier avec son / sa voisin/e un changement de place pour que nous puissions voyager ensemble. Elle se tourne vers le gars à côté d’elle, jette un œil à sa place ! Bingo, c’est son voisin théorique ! Quelle drôle de coïncidence ! Et qui plus est, c’est monsieur Tartiflette ! What a flair ! Il accepte volontiers d’autant qu’il voyage seul et se récupère une place avec plus d’espace, détail de taille quand on s’apprêter à passer 28h dans un espace aussi confiné qu’un avion. Tout le monde s’installe, les migrations se multiplient, très sagement. Il fait presque nuit quand l’avion décolle de Christchurch et file vers sa première destination intermédiaire, Perth, sur la côte Ouest de l’Australie. C’est parti pour retraverser la planète dans l’autre sens ! Alors que la moitié de la planète est confinée, que nous convergeons vers un pays – le nôtre accessoirement – où les habitants – bientôt nous – ne sont autorisés à se déplacer que dans un rayon d’un kilomètre une fois par jour, la perspective d’en parcourir 20 000 d’un coup est vertigineuse ! Dernier goodbye aux sommets enneigés des Alpes dépassant à peine de la couche nuageuse arrivée avec la nuit tombante. Vénus est déjà dans le ciel, telle un phare que nous ne cherchons pas à approcher, ou un trait d’union entre ce pays que nous quittons et celui que nous rejoignons. « C’est étrange d’être rapatrié dans un pays qui est moins sûr que celui que l’on quitte » relève Coralie. Très juste ! C’est en effet l’inverse en général. Mais nous ne nous attardons pas plus que cela sur cette étrangeté. Une de plus dans un océan de bizarreries.
L’avion est plein à craquer. Une personne sur deux porte un masque, fait à la main ou acheté, parfois un foulard. Ce qui n’empêche pas de l’enlever, de le glisser sur le menton, de se ronger les ongles, de le trifouiller… Bref, encore quelques heures pour s’y faire et le porter sans saborder ses efforts. Nous avons aussi des masques mais n’avons prévu de les mettre qu’en sortant de l’avion, arrivées à Paris. Notre raisonnement étant que le virus ne circulant pas en Nouvelle Zélande et que toute personne avec des symptômes du virus étant interdite de vol, il y a peu de chance que quelqu’un soit contaminé ci. Peu ne voulant pas dire pas, nous nous lavons et nous désinfectons les mains plus que de raison.
Nous arrivons à Perth en pleine nuit. Ravitaillement, changement d’équipage. Comme prévu, nous ne sommes pas autorisés à sortir. A peine pouvons-nous nous dégourdir les jambes. C’est amusant car les messages délivrés à l’arrivée en Australie ne sont pas adaptés au caractère exceptionnel de ce vol alors même qu’une vraie personne les transmet et sait pertinemment qu’il s’agit d’un vol de rapatriement. Température extérieure, météo du jour alors que cela n’a strictement aucune importance. Même chose à Doha avec un étonnant « Have a nice stay in Doha ! ». Le séjour le plus rapide de l’histoire du tourisme ! Depuis notre départ de Christchurch, en plus de remonter en latitude, nous remontons également le temps. Notre nuit semble éternelle, elle s’écoule depuis 20h quand le jour finit par se lever à Doha, à 4h du matin. La cité restera cependant dans la brume de chaleur matinale. Seule chose que nous voyons, comme à Christchurch, comme à Perth, les rangées d’avions des compagnies nationales alignés sur le tarmac et privés de vol jusqu’à nouvel ordre. C’est étrange, ce monde arrêté net. Dernière « ligne droite », plus que 6h45 de vol, après celui de 6h ou un peu plus, et l’autre de 11, ou un peu plus. Dire que c’est un long voyage est un euphémisme… Nous évitons de penser, je crois. Mais tout se passe bien, la filmothèque est bien fournie. Nous enchaînons les films, les repas, les interludes de sommeil, les bouts de discussion… Beaucoup ont un train à prendre dans la journée pour aller en province. Certains seront récupérés par un parent à qui il a fallu envoyer une copie des cartes d’embarquement avant de partir pour justifier le déplacement… Le marathon n’est pas encore terminé.
Le commandant de bord finit par annoncer que nous entamons la descente vers Paris Charles de Gaulle et que nous devrions atterrir dans 20 minutes. Voilà, c’est bientôt fini. Nous ne savons pas réellement où nous allons arriver – pas géographiquement bien sûr – mais nous arrivons. Je vois la Tour Eiffel, les tours de La Défense, le Palais de justice de Porte de Clichy, la Seine, les grandes avenues de la capitale. D’en haut, tout semble absolument normal. Dernières secondes en suspension. Touchdown ! Applaudissements nourris. Un gars se hasarde à lâcher « Dépression ! », provoquant l’hilarité dans la cabine… Il fait beau, il fait chaud, c’est toujours bon à prendre. Tout le monde rallume son téléphone pour annoncer à la Terre entière, que, ça y est, nous venons de nous poser. Nous sommes tous attendus. Les réponses affluent rapidement, c’est un moment, somme toute, plutôt heureux.
Allez hop, nous enfilons nos masques. En sortant de l’avion, de l’autre côté d’une vitre, patientent des gens en partance pour le Canada. Ils sont plusieurs à porter une sur-tenue de peintre ou de bricolage, et un masque. C’est assez impressionnant. Bienvenue au pays… Le passage de la douane se fait rapidement. Même masqués. On nous fournit une attestation de retour à domicile à remplir et à présenter, avec nos cartes d’embarquement, en cas de contrôle policier. Tout cela est finalement très administratif, factuel. Plus que les bagages à récupérer et nous pourrons y aller. Une dernière étape qui nécessite cependant la plus grande attention malgré les 36 heures de voyage que nous venons d’enchaîner car 85% des bagages sont des sacs à dos, et parmi ceux là, plus de la moitié sont des Quetchua, et au sein de cette moitié, nous sommes nombreux à avoir exactement les mêmes dans les mêmes couleurs ! Voilà, nous sommes sorties. Personne pour accueillir qui que ce soit, c’est vide, c’est un peu triste, c’est comme ça. Pour la première fois de notre vie de voyageuses, nous optons pour un taxi afin de rentrer plus rapidement chez nous. Sur le trajet, essentiellement de l’autoroute même si la fin se fait en ville et nous étonne presque car il y a finalement pas mal de personnes dehors, nous échangeons quelques mots sur la situation, l’impact sur son quotidien de chauffeur – peu de courses sur Paris, restent les rares vols arrivant, parfois vides, à Roissy -, les décisions prises par le gouvernement, la météo…, et nous voilà au pied de notre immeuble. Soulagement. Quand nous ouvrons la porte de notre appartement, les couleurs et le soleil nous accueillent. Nous sommes chez nous, nous sommes bien, nous sommes là où nous devions être. Nous penserons plus tard. Nous sortirons plus tard.
A 20h, les fenêtres ouvertes, nous entendons des gens applaudir, d’autres klaxonner en voiture. Il nous faut quelques secondes pour connecter les informations entre elles. Et quelques autres encore pour aller nous joindre au groupe, même si, nous n’étions pas là. C’est émouvant. La suite va pouvoir commencer…
avant le petit déjeuner, alors que le jour n’est pas encore là ici et que la nuit arrive en France, faire une dernière relance pour que la 6egénération d’Objectif3280 soit la plus joliment pleine possible, quasi du porte à porte électronique… j’ai toujours l’impression de déranger mais le projet est plus fort que ma gêne, alors, je le fais
petit déjeuner
se doucher
nettoyer la salle de bain (le reste a été fait hier)
poster mes deux échos et retrouver, sur google street view, en refaisant la route New Plymouth – Wellington, où j’ai pris cette photo de cimetière que j’ai choisie de déposer sur l’arbre ; je m’autorise à re-participer à Objectif3280 à partir de la G6
rassembler tout ce qui est dispersé dans l’appartement au même endroit, ou presque
sortir toutes les affaires des sacs
« Il est où mon couteau suisse ? Je ne retrouve pas mon couteau suisse ! » « Ne t’inquiète pas, il est forcément quelque part ! » « Oui, forcément, il est quelque part. Mais ici, ce serait bien ! » (…) « Ah, le voilà ! » « Tu vois ! » « Oui, je vois ! »
replier toutes nos affaires de façon optimale et faire correctement nos sacs
« Il te reste de la place ? » « Un peu… »
recompter les kilomètres, à vol d’oiseau
Wellington – Christchurch 306 km ; Christchurch – Perth 5055 km ; Perth – Doha 9335 km ; Doha – Paris 4971 km soit 19 667 km !
« Elle est à quelle altitude la station spatiale internationale déjà ? » « 406 km » « Tu imagines, ce n’est pas si loin finalement ! » « La prochaine fois, on ira dans l’espace ! » « Chiche ! »
faire le point de ce qui reste dans les placards pour imaginer les frichti du jour : c’est comme si tout avait été calculé pour un départ demain matin… parfait !
aller acheter des masques et des gants à la pharmacie
ouf, il y en a ! nous voilà équipées !
« zut, je suis sortie sans mon appareil ! C’est bien la première fois ! » « Et moi qui voulais faire des photos pour répondre à Muriel ! » « De toute manière, on va aller faire un dernier tour en forêt… On repasse à l’appartement, on prend l’appareil… Et j’aimerais bien retourner en ville aussi, pour faire un « carrefour » » « Tu te souviens que le soleil se couche dans un peu plus d’une heure ? » « Oui, oui, on aura le temps ! » (la valise temporelle est de retour !)
déposer les masques, prendre une bouteille d’eau, des barres de céréales, mon appareil photo… et la carte SD (heureusement que j’ai vérifié !)
s’arrêter en chemin pour que Coralie prenne quelques photos à poster sur Objectif3280
dire au-revoir à « mon » arbre, mon grand pin qui m’a accueillie, écoutée et faite vibrer tous les jours depuis le 25 mars. C’est comme si je quittais un ami… En fait, je quitte un ami ! Je ne m’étais jamais autant attachée à un arbre…
dire au-revoir à la forêt, sentir une dernière fois les effluves d’eucalyptus, écouter une dernière fois les tuis, emprunter une dernière fois les sentiers traversés par des racines-tentacules, s’écarter une dernière fois de 2m des autres marcheurs ou coureurs ou mountainbikers en lançant Hey’…
apprendre que le confinement est prolongé jusqu’à lundi prochain – 3 jours de plus que la date initialement prévue – et qu’il sera suivi de deux semaines au niveau d’alerte 3, un brin moins restrictif
dire au-revoir à Wellington, d’en haut
se serrer dans les bras
faire les clowns pour une photo avec nos ombres et des arbres
entamer la descente vers la ville
s’arrêter en chemin car il y a des lenticulaires roses dans le ciel : c’est magnifique les lenticulaires, même si ceux ci sont modestes…
admirer encore et encore
longer la baie, filer vers le centre
se demander si un jour, nous reviendrons
se dire que nous avons l’intuition que nous ne voyagerons plus de la même manière, après
se dire que, peut-être, nous ne reviendrons pas… nous allons rarement deux fois au même endroit, mais là, alors même que nous ne sommes pas encore de retour, nous avons déjà envie ou nous aurions eu envie, c’est sûr
sentir que cela nous serre la gorge et nous pique les yeux
trouver un carrefour, se mettre en plein milieu et prendre les 4 axes en photo : je fais ça partout où je vais, j’ai une belle petite collection, mais j’ai rarement eu l’occasion de pouvoir me mettre au cœur d’un carrefour de 3 voies de chaque côté…
prendre la ville en photo comme si j’allais y être encore demain et après-demain et après-après-demain
réaliser que non
prendre Coralie en photo, avec son bonnet bleu marine, le long d’un mur de briques rouges éclairé par un néon blanc sur fond de ciel bleu nuit et de feux tricolores orange
retourner calmement à l’appartement
éditer les photos de Coralie pour qu’elle puisse les poster
faire le point sur la 6egénération d’Objectif3280 ; reposter un message ; espérer un réveil en trombe ; saluer les derniers échos ; il ne manquait pas grand chose… 12 échos et elle était pleine, comme l’an passé ; ce n’est pas grave, 231 échos postés par 145 personnes vivant dans 16 pays, c’est déjà fabuleux ! Mais, ce n’est pas encore cette année que nous atteindrons l’objectif 3280. Ceci dit, j’ai toujours pensé que le chemin était plus intéressant, alors tout va bien ! Même mon nom le clame !
simultanément, préparer le dîner / répondre à des messages amicaux / refaire des visuels pour le lancement de la 7egénération
lancer la G7
dîner
attendre les premiers échos
écrire ce texte
finir ce texte
choisir la photo
poster l’ensemble
et faire tout le reste…
ah oui, dire « bonne journée les amis et à bientôt de l’autre côté du monde » !
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
Marguerite, alias 8511, à en croire le nom de code gravé sur sa belle boucle d’identification en polyuréthane (oui, oui, je crâne). En tout cas, belle vache, belle présence, malgré ce charmant strabisme. Ou peut-être même, grâce à ce charmant strabisme. « Une vache, quoi ! » me rétorquent certains en me narguant. C’est que la citadine […]