Photo-graphies et un peu plus…

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Mes yeux me disent qu’ils sont fatigués de trop d’écran, je vais les écouter et m’en éloigner un peu. Entre l’écriture quotidienne de ces textes, le suivi d’Objectif3280 – dont la 6e édition se termine demain en fin de journée –, le travail sur mes photos, la lecture des infos et des petites séances ciné, j’y passe le plus clair de mes journées. Pour une heure dehors au mieux donc. Les proportions se sont littéralement inversées par rapport à mes trois premiers mois de cette année 2020. Il est grand temps de rééquilibrer tout ça !

Ce matin, en découvrant la liste des 44 stations du métro parisien qui resteront fermées lundi, à l’heure du déconfinement, je lis que c’est le cas de République. Cela me semble presque ironique, voire cynique que République soit interdite d’accès pour un temps indéfini encore, parce que des personnes venant de divers horizons (les autres lignes de métro) y convergent… Dans les faits, et pour limiter les flux et les croisements de voyageurs, toutes les stations avec correspondances, hormis les gares, sont closes. Cela peut s’entendre et en même temps, à une autre échelle, rompre les connexions possibles est tellement symbolique…

Au rayon « nouvelles du monde », il y a celle-ci aussi, en direct de Singapour (1) avec les images de Spot, un chien robot tout droit sorti des laboratoires américains de Boston Dynamics –l’un des plus avancés en la matière et dont on voit régulièrement les créations accomplir des exploits, ce qui fait naître un double sentiment de frayeur et de fascination car on perçoit derrière le mignon petit saut réussi tout le potentiel pour les armées et divers services d’ordre d’ici et là. Spot patrouille nonchalamment dans un parc de la ville-pays pour rappeler aux badauds qu’ils doivent respecter les distances de sécurité entre eux. Un chien qui parle donc. Ce n’est pas un Disney pourtant ! Ce serait même plutôt (ah ah !) un de ces épisodes visionnaires de la série Black Mirror… « Ils » lui ont d’ailleurs attribué une voix de femme. Outre le fait que c’est le genre privilégié par les sociétés technologiques pour des raisons historiques et sociologiques (2), on peut aussi y voir la volonté de compenser le caractère agressif lié à sa nature métallique – ces robots-là, nous y sommes habitués dans les films, pas dans la réalité ! La voix d’une femme et non d’un homme – les robots devraient-ils avoir un genre ? – pour associer le message véhiculé à la douceur, au prendre soin, à l’attention de la mère de « famille » et non à l’autorité… Rien n’est évidemment laissé au hasard. Pour l’heure, les caméras qui équipent Spot « ne pourront pas suivre ou reconnaître des individus spécifiques, ni collecter de données personnelles » (1). Mais pour combien de temps encore ? J’évoque Singapour mais à Nice, donc tout près d’ici, les drones redresseurs de torts sont déjà dehors – avec une voix d’homme d’ailleurs –, à sillonner la ville avec leur bzzzz de gros moustique parasite, répètent les règles du confinement et, si besoin, envoient des policiers sur place pour vérifier les attestations dérogatoires des dangereux individus suspectés de vouloir se baigner, marcher sur la plage ou restant un peu trop statiques (3)… « Je n’ai pas envie de cette société là » se désole un père auquel le droneur a envoyé des policiers en chair et en os, à qui il a dû expliquer qu’il restait au même endroit pour permettre à ses filles de faire du vélo sur la place (cela n’était pas clair sur la vidéo ?). Qui veut de cette société-là en fait ? Oui, je sais, sans doute plus de monde que je ne l’imagine.

Ainsi, si nous avons été surpris par la vitesse à laquelle notre monde s’est arrêté, paralysant les économies de centaines de pays en un temps record, nous intimant l’ordre de ralentir également, nous pouvons l’être tout autant par le coup d’accélérateur donné aux méthodes de surveillance organisées des populations qui n’en demandaient pas tant. J’ai hâte de voir débarquer les petites araignées mouchard de Minority Report pour vérifier que je suis bien qui je suis ! C’est incroyable à quel point un unique événement peut concentrer autant de questionnements et de perspectives, pour certains vertigineux ! Reste que cela a quand même des allures de boîte de Pandore… J’ai longtemps eu une idée édulcorée de cette expression, croyant naïvement qu’elle ne contenait que des surprises, qu’elles soient bonnes ou mauvaises… Déjà, la boîte est en réalité une jarre, mais la « Jarre de Pandore » sonnait moins bien. Pour que les choses soient claires, je me permets donc de rappeler qu’en ouvrant la boîte-jarre, Pandore, première femme terrestre déjà bien trop curieuse, libéra tous les maux de l’humanité – maladie, vieillesse, guerre, vice, folie, passion (un mal ??)… –, l’espérance, un peu plus lente, ne réussissant à s’échapper que dans un second temps (ou pas, selon certains). L’ouvrir, c’est donc s’exposer aux pires catastrophes…

Si je voulais être schématique, je dirais, sans que cela soit totalement grossier pour autant, que les différentes routes que j’ai empruntées jusqu’à présent – scientifique, journalistique, sociologique, artistique, « voyagique » – n’avaient (et n’ont) qu’un seul objectif : me permettre de comprendre un peu mieux – et sous différents prismes donc – le monde dans lequel nous vivons. Depuis la soupe primordiale à la naissance d’une émotion forte en passant par les raisons qui poussent telle ou telle personne à agir de telle ou telle sorte. Bien sûr, je ne comprends pas tout. Je devrais même dire qu’il y a beaucoup de choses qui m’échappent. Malheureusement. Et heureusement, car cette incompréhension face à certains événements de la vie, loin de me rendre fataliste, m’invite à chercher encore plus, à rester éveillée et alerte, prête à cueillir des réponses, même infimes, même instables, le tout, sans perdre de vue mon optimisme. Optimisme que je garde intact à l’échelle personnelle car j’ai mes solutions en tête, mais, qui, à une échelle plus collective, me paraît un peu égratigné ces derniers jours, au fur et à mesure que nous nous rapprochons du monde d’après, qui, pour le moment, concrètement, malgré les manifestes et appels à une (r)évolution radicale dans nos façons de penser le monde, n’est décidé que par les instances gouvernementales ! Ce serait presque là un aveu de dissonance cognitive. En outre, j’avais précédemment écrit qu’il ne fallait pas chercher à comprendre les enchaînements de décisions pris en ce moment. La posture est in(sou)tenable à long terme !
Bref, c’est le moment d’écouter France Gall ! « Si on t’organise une vie bien dirigée – Où tu t’oublieras vite – Si on te fait danser sur une musique sans âme – Comme un amour qu’on quitte – Si tu réalises que la vie n’est pas là – Que le matin tu te lèves sans savoir où tu vas – Résiste – Prouve que tu existes – Cherche ton bonheur partout, va – Refuse ce monde égoïste – Yeah, yeah, yeah, résiste – Suis ton cœur qui insiste ». J’aime beaucoup l’idée de citer Edgar Morin et Michel Berger dans un même exercice de pensées et d’écriture… L’un et l’autre ne s’adressant pas au même endroit du corps et de l’esprit, ils sont également utiles pour préserver notre équilibre (en tout cas, le mien ; je vous laisse évidemment libres de trouver vos références) ! Or, l’équilibre, c’est la vie !

  1. https://www.courrierinternational.com/article/deconfinement-dans-un-parc-de-singapour-un-chien-robot-pour-faire-respecter-la-distanciation
  2. https://www.franceculture.fr/emissions/la-vie-numerique/pourquoi-faudrait-il-que-les-machines-aient-des-voix-dhomme-ou-de-femme
  3. Sur la page Facebook de l’émission 7 à 8 https://www.facebook.com/watch/?v=2651048311806337

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Double face

Le cliché, plus que séduisant, était à tenter : des faux de face et de façade face à des vrais, de dos et bas relief. Des anonymes en jean-basket face à des personnalités publiques, sous verre et intouchables, vivantes ou décédées, populaires ou contestées, politiques ou artistiques, réduites à une simple tête aux yeux percés, pour mieux y glisser les nôtres. Comme si cela suffisait à voir le monde comme eux, ou à se sentir étoile d’un jour et ainsi éprouver, de l’intérieur, une célébrité éphémère et mystifiée par les regards démultipliés des autres sur soi, enfin sur un soi d’emprunt. Ainsi ai-je déjà pu rencontrer la famille royale à Londres. Le sextuor, prenant son rôle très à cœur et très proche des petites gens, était objectivement drôle. Au même titre que peut l’être ladite famille. Je rirais nettement moins si j’étais amenée à partager la route de Vladimir Poutine ou celle de Kim Jong-un, fussent-ils en carton-pâte, et j’irais même jusqu’à me demander, presque pour les excuser, si leurs porteurs ne se sont pas lancé un défi artistico-sociologique : capturer les expressions faciales des personnes croisées au moment où elles prennent conscience de qui les regarde…

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Avant de commencer, j’appelle un ami : Robert. Il est petit, Robert, mais un peu gros et plutôt lourd quand même. Javel, pas assez loin, longueur, pas assez loin non plus, nystagmus, il est drôle ce mot, préconiser, trop loin maintenant, peucédan, première fois que je le lis celui-là, c’est quoi ? une plante vivace, peur ! Voilà, peur, c’est le mot que je cherchais. Oulala… Robert consacre une colonne entière à la peur. Les premières lignes en dressent un portrait suffisamment clair que je vous livre : « Phénomène psychologique à caractère affectif marqué, qui accompagne la prise de conscience d’un danger réel ou imaginé, d’une menace ». Viennent les synonymes : affolement, alarme, alerte, angoisse, appréhension, crainte, effroi, épouvante, frayeur, inquiétude, panique, terreur, frousse, trouille… Force est de constater qu’il y a des privilégiés dans la langue française : il est des mots pour lesquels nous disposons de bien moins d’alternatives… Viennent ensuite des citations d’illustres auteurs : « Notre faiblesse principale à nous Français : la peur de s’emballer, la peur d’être dupe, la peur de prendre les choses au sérieux, la peur du ridicule » (Romain Rolland) ou encore « Chez beaucoup de gens l’absence de peur n’est qu’une absence d’imagination » (Théodule Ribot). Théodule Ribot, philosophe, père-fondateur de la psychologie française…

C’est sûrement pour cette raison que la plupart des gens ont peur de se jeter à l’eau au beau milieu de l’océan, tout du moins, là où ils n’ont plus pieds, là où la mer se transforme en une encre noire au fond invisible… Pourtant, à y regarder de plus près, les premières dizaines de centimètres, d’une extrême pureté, sont accueillantes et même très tentantes. Malheureusement, le regard va sonder plus loin, plus en profondeur, et moins il trouve de prise où s’accoster plus il se monte des films, plus il imagine cette obscurité inquiétante remplie de créatures gluantes, vicieuses et carnivores qui s’empresseront d’abord de remonter à la surface pour frôler, puis goûter son propriétaire dès qu’il sera entièrement dans l’eau, hors de portée du bateau, totalement seul au monde, flottant maladroitement dans cette immensité qu’il sera à peine capable de concevoir… Il est vrai que, la plupart du temps, nous – êtres humains – vivons « au bord » et même « sur » quelque chose : le sol. Du sable, du carrelage, du bitume, de la moquette, de l’herbe, de la caillasse, du parquet, du métal, de la terre… Ainsi, nos pieds, alternativement en contact avec ces éléments compacts, nous assurent-ils un rapport au monde emprunt d’une sérénité toute inconsciente. Là, dans l’eau, sans repère, sans prise, sans rebord où les poser, c’est comme faire un saut dans le vide, à la différence près que ce vide-là est plein… Ce qui explique probablement pourquoi ce nageur, certes pourvu d’imagination mais aussi de suite dans les idées, s’est doté d’un masque et d’un tuba afin de voguer là où il n’avait pas pied et ainsi vérifier que ce plein était bien vide malgré tout, pour finalement couper court à toute fantasmagorie, donc peur, et profiter sans crainte de ce retour aux sources…

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