Photo-graphies et un peu plus…

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Le week-end dernier, dans un moment d’égarement dominical pour être plus précise, bien décidée à donner un souffle nouveau à certaines habitudes de ma vie quotidienne, je me suis penchée avec tendresse vers ma CDthèque. Oui, ce meuble en bois que j’ai imaginé, dessiné, monté, peint, donc créé entièrement avec mes petites mains lorsque j’ai emménagé dans mon appartement afin d’accueillir mes compacts discs. A vrai dire, cela faisait des années que je ne m’étais pas assise devant pour en extraire un album et l’écouter. Comme beaucoup, en musique, je suis passée au tout immatériel. Et j’ai notamment transféré l’essentiel de ma musique sur mon ordinateur, rendant ces disques aux reflets arc-en-ciel totalement obsolètes mais pas suffisamment inutiles pour m’en débarrasser ou les recycler en épouvantail à accrocher à ma fenêtre. Ceci dit, à l’instar de tout ce que nous voyons tous les jours, ils sont progressivement devenus invisibles à mes yeux.

Je ne sais à quel alignement de planètes je dois ce retournement de situation, mais dimanche donc, j’ai eu envie de les exhumer de ces étagères où ils prenaient une poussière à laquelle je ne suis malheureusement pas allergique. Pour tout vous avouer, j’ai un peu eu le sentiment d’entrer dans un site archéologique tant cette technologie, pourtant récente à l’échelle des inventions, me paraissait déjà dépassée. Nous sommes en effet les premières générations d’êtres humains à voir disparaître des outils que nous avons créés – Minitel, K7, VHS, magnétoscope, disquette, walkman … – tant le rythme de leur remplacement par des objets plus performants, plus petits, plus pratiques, plus complets, plus design, plus chers s’est accéléré. C’est donc avec une certaine fierté, angoisse et fébrilité, un peu comme si un copiste venait de me déposer un incunable entre les mains, que j’ai sorti un premier CD pour le glisser dans la fente de mon terminal. Détection, chargement – ça tourne -, proposition de transfert   – non, merci ! -, lecture… Et là, j’ai eu l’impression d’être à bord d’un Pipistrel Panthera ayant une avarie moteur. Le bruit de la rotation du CD couvrait désormais les délicates notes composées par Eléni Karaïndrou pour Le regard d’Ulysse. J’ai résisté quelques secondes – j’étais là pour cela, pour prouver que ces galettes de plastique avaient encore la vie devant elles – avant de me rendre à l’évidence, d’enregistrer l’album directement sur ma machine et de remiser la boîte à sa place dans ma CDthèque…

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Surfeur averti ou causeur au long cours, il vous est sûrement déjà arrivé de devoir joindre la hotline de votre fournisseur d’accès à internet ou de votre opérateur téléphonique pour une raison quelconque. Au terme d’un rapide et méthodique jeu de questions/réponses destiné à isoler l’objet de votre appel en vous faisant appuyer sur les touches 1, 2 ou 3, un être humain entre généralement en contact avec vous et souvent, de façon très cordiale. Il vous précise d’emblée que votre échange peut être enregistré avant de vérifier que vous êtes bien celle ou celui que vous prétendez être. Ceci étant fait, votre congénère absorbe vos jérémiades (on appelle souvent pour se plaindre, non ? ; personnellement, je n’ai jamais vu qui que ce soit contacter son opérateur pour lui dire : « C’est super, tout fonctionne à merveille, je tenais à vous le dire, merci beaucoup ! ») avant de dérouler machinalement mais toujours très poliment la procédure prévue dans ces circonstances. Tant pis si vos réponses ne rentrent pas dans les cases. Au bout de quelques minutes si vous avez de la chance, il résout votre problème. Vous l’embrasseriez presque (cette pulsion de communication constante bouscule complètement nos repères !). Vous le remerciez chaudement, lui souhaitez une bonne journée, vœu qu’il vous retourne dans la foulée. Vous y croyez un peu même si c’est sans doute là la dernière ligne de leur script. Vous êtes un client satisfait et c’est ce après quoi courent toutes les entreprises aujourd’hui car un client satisfait est client fidèle, un peu comme les chiens.

Le lendemain, voire le surlendemain, en tout cas jamais très longtemps après votre interaction d’être humain à être humain, on vous téléphone. Une voix de synthèse, féminine, vous rappelle que vous avez récemment contacté le service client et vous « demande » si vous accepteriez de répondre à quelques questions, ce qui ne prendra pas plus de 2 minutes (« on » sait que votre temps est compté). Evidemment, la notion de « demande » est un peu biaisée puisque personne ne vous parle vraiment et qu’il vous suffit de raccrocher pour refuser cette mini-enquête sans paraître impoli pour autant. De loin, tout semble normal. En se rapprochant un peu, il y a quand même quelque chose d’étrange… Cette mesure de satisfaction est entièrement mécanique. En d’autres termes, « on » demande à des robots de juger le travail réalisé par des êtres humains… N’est-ce pas curieux ? Et alors que les laboratoires de robotique s’escriment à rendre leurs machines les plus « humaines » possibles, en évitant soigneusement de tomber en panne sèche dans la Vallée de l’étrange (j’y reviendrai un jour) et en les dotant d’une sorte d’indépendance de « pensée », les êtres humains doivent, dans le même temps, suivre des schémas de plus en plus systématiques et prédéfinis face à des situations elles aussi anticipées. Un inversement de casting bien moins anodin qu’il n’y paraît, non ?

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Voilà une chose que je ne fais jamais : couper des coins d’immeubles alors que je suis si près du but, c’est-à-dire, que le cadrage a été suffisamment réfléchi pour que les éléments qui doivent y figurer soient, si ce n’est entiers, au moins coupés intelligemment – à supposer que cela ait un sens -, et en tous les cas, disposés avec une harmonie totalement subjective. Bref, dans mon viseur – argentique, je le précise, même si finalement, cela n’a pas réellement d’importance pour la suite, quoique si, mais ce serait aller trop loin que de l’expliquer -, cette impressionnante tour venait innocemment flirter avec le bord gauche du cadre, sans jamais le toucher… Une tour à fleur de peau donc, sur le fil du rasoir, prête à passer de l’autre côté, mais pas sérieusement. Pourtant, la machine à tirages de lecture, dans sa cadence industrielle la rendant insensible aux subtilités humaines et la transformant en guillotine photographique, en a décidé autrement, tronquant ce petit bout d’image ridicule, cette tête, qui, à mes yeux, fait toute la différence, conférant à cette image une impression d’instabilité alors qu’elle se voulait équilibriste maîtrisée.

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… mais il ne s’agit ni de météo ni de madeleine ! Contrairement à ce que j’affirmais dans La fin du temps il y a quelques semaines, Montréal a bien ses gardiens du temps officieux. Les sauveurs des sans montre, des sans portable, des anti-temps en titane et consorts ! A savoir, l’ancêtre du cellulaire (il est décidément beaucoup question de filiation ces temps-ci…), la cabine téléphonique. Qui n’est pas nécessairement une cabine. Elargissons donc : le téléphone public. Qui peut être dans une cabine donc, accroché à un mur de station de métro ou sur une simple borne au milieu du trottoir. Si, à Paris, des escadrons sauvagement organisés viennent régulièrement les arracher de leur poste en pleine nuit, Montréal les conserve. Sûrement une question de temps… L’éradication est en effet intimement liée à l’explosion démographique des portables – la question, par endroits, étant plutôt : « où est mon portable pro ? » « non, ça c’est mon perso ! » – qui semble ne pas avoir encore eu lieu ici.

Ces parallélépipèdes rectangles métallisés assez basiques sont dotés d’un petit écran sur lequel défilent informations et consignes : « Veuillez décrochez. » Puis « Appels locaux 50 c / Local calls 50 c » (parce que tout est traduit dans les deux langues, sauf les films) puis le jour et enfin l’heure. Chic ! Le cycle prend 8 secondes environ. Ce qui n’est pas négligeable quand vous êtes bien lancé, et qui peut pousser un observateur discret à s’interroger sur votre santé mentale. Vous êtes un sans-temps – mais on s’entend, vous avez quand même besoin de connaître l’heure par moments -, vous avez trouvé un téléphone accessible (pas derrière une grille que vous ne vous aviserez pas de franchir au risque de voir débouler trois bulldogs anglais mais canadiens), vous vous arrêtez net comme si une mouche vous avait piqué, mais c’est le début du cycle. Vous voilà donc posté devant la machine, à la regarder de façon insistante sans même ciller les yeux, de peur de manquer la ligne attendue, sans bouger, sans saisir le combiné, c’est inutile, vous ne voulez appeler personne. Vous êtes là, donc à attendre que les 8 secondes passent. Comme si la machine s’était arrêtée. La vôtre. Comme si vous aviez buggé, en quelque sorte. Un statu quo temporaire mais tout à fait perceptible par une personne passant à vos côtés à cet instant et qui vous lancerait alors un regard interrogateur, voire inquiet. Vous aimeriez alors lui dire que tout va bien, que vous ne planez pas et que vous attendez juste que les 8 secondes passent pour savoir enfin quelle heure il est, mais cela impliquerait certainement de tourner la tête, mouvement qui vous ferait inévitablement repartir pour un nouveau cycle. Et pendant ce temps, le temps passe. Evidemment, vous pourriez aussi saisir cet échange furtif de regards pour lui demander directement l’heure, ça marche très bien aussi !

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category: Actus
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Non pas à voyager dans le temps, mais à laver le temps… Quelle action de la machine à laver sur notre passé ? La chronologie des événements constituants notre vie est bouleversée. Programme long, linge sale : le passage du passé à la machine fait disparaître les mauvais souvenirs, ces tâches, parfois persistantes malgré les lavages de cerveau, incrustées dans notre parcours.

Le présent dans la machine à laver avance tambour battant ! On ne le voit pas filer, il rebondit partout, s’agite, balloté de gauche à droite par les événements. Vite, il est submergé. Programme express.

Pour le futur, le rythme change… Il faut y aller doucement, lentement mais sûrement comme on dit, il faut le ménager, le respecter, le préparer. C’est un peu la soie de la vie, que le temps tisse avec opiniâtreté. Un jeu d’endurance pour ne pas épuiser la matière trop rapidement. C’est sensible, le futur. Programme délicat, donc.

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Suite de l’absence de perspective des buildings san-franciscains à des milliers de kilomètres de là-bas, et donc, tout près d’ici… Tout va peut-être s’expliquer. Une tour en construction, le squelette déjà bien armé et ancré dans le sol, c’est à l’intérieur de se remplir de ses organes vitaux… L’intestin ? Non, plutôt les poumons. Ceux-là même qui permettront à ses futurs habitants de respirer. D’en bas, cette machine à recycler l’air ferait presque peur. Elle renvoie directement à ces peintures numériques auxquelles nous ont habitués certains films de science-fiction, Matrix notamment, nous montrant, à l’infini, des corps humains inertes et gluants reliés à des câbles sophistiqués les maintenant en vie et pompant leur énergie pour faire fonctionner les machines… Est-ce cela, l’avenir de l’homme ?

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