La déclinaison magnétique de la Terre, ça vous parle ? Non ? Vous le sauriez si vous l’aviez déjà rencontrée car elle vous aurait probablement joué des tours. C’est en tout cas en me trompant que j’ai fait sa connaissance. Reprenons au début : une main d’humains en bottes, chargée de nourriture pour une semaine, s’apprête à lever l’ancre. Sa mission : compter, sur un territoire défini, les albatros qui couvent et le nombre d’œuf – soit 1 soit 2 – sous chacun d’eux. La zone à explorer, proche de l’océan, n’est qu’à 3h de marche de la base. Un terrain simple, sans relief ou si peu, et sans surprise. Une promenade de santé en quelque sorte.
La main est insouciante et marche d’un pas décidé vers l’objectif, guidée par l’usage combiné d’une carte IGN et d’une boussole. A l’ancienne donc. Mais au bout de 3h, point d’horizon en vue ; a fortiori, pas d’océan ; a double fortiori, pas de cabane ; a triple fortiori, pas d’albatros ; à quadruple fortiori, la poignée commence à s’interroger. Aurait-elle manqué un virage ? Non, c’est tout droit, un chemin sans aucun obstacle. Aurait-elle alors manqué un virage ? Non, toujours pas. La main poursuit sa route, convaincue que l’estimation des 3h était trop optimiste. Un crachin doublé d’une légère brume effaçant le peu de volume présent l’accompagne après 4h de marche, toujours pas d’horizon, mais une lassitude dans les jambes et puis, quand même, une petite angoisse qui grandit. La main serait-elle perdue ? Alors qu’elle a suivi scrupuleusement la route tracée sur la carte et respecté les ordres azimutés de la boussole ? La base est injoignable. Et il n’y a absolument aucun repère à 20 km à la ronde, aucun mont répertorié sur la grande feuille dépliée même s’il en existe un, en vrai, là, au bout. 5h. La main a perdu le sens de l’humour. Elle se demande déjà comment elle va bien pouvoir résister au froid de la nuit. La main se tait. De ce silence lourd et pesant qu’une mouche ne pourrait même pas briser puisqu’il n’y en a pas. Jusqu’à ce qu’un doigt se lève, timidement mais avec l’assurance de celui qui sait avoir raison : « On a oublié la déclinaison magnétique de la Terre ! ».
La revoilà donc. La déclinaison magnétique – rien à voir avec un cours de physique latine – est l’angle entre la direction du Nord magnétique – celui qu’indique la boussole – et celle du Nord géographique – celui des cartes. Et oui, il y a 2 « Nord ». Or, si le Nord géographique est relativement stable, le magnétique souffre, quant à lui, d’une bougeoïte aiguë. Il dépend en effet de l’endroit où l’on se trouve et de la date à laquelle on a besoin de savoir où il se trouve. Et là, sur cette île coincée entre l’Antarctique et La Réunion, elle avoisine les 18°. Peut-être un peu plus, peut-être un peu moins. Le doigt salvateur résume la situation : la main a, dès le départ et pendant 5h, marché avec une erreur de 18°… Dès lors, la main comprend plus facilement l’absence d’océan, de cabane, d’albatros. Et si elle comprend aussi rapidement qu’elle ne va pas les voir de si tôt, elle repart aussitôt d’un bon pas et plein d’optimisme. C’est que la nuit va bientôt tomber et que les repères visuels font toujours défaut. Après 3h de progression, la main tombe sur une grande étendue d’eau. Impossible, à cause de la brume, d’en voir la fin. Serait-ce enfin l’océan ? Un doigt, un autre, se baisse vers la surface et en extrait quelques gouttes, qu’il goutte : « Elle est douce ! ». Mazette ! Ce n’est donc pas l’océan. Chute de tension collective. Mais tout n’est pas perdu : le lac est sur la carte. Au cours de cette journée, la main n’a jamais su avec autant de précision où elle était véritablement… C’est-à-dire très proche de l’océan, de la cabane, des albatros…
En creusant ne serait-ce qu’un tout petit peu, nous devrions rapidement voir affleurer le reste du corps de ce cerf aux dimensions manifestement exceptionnelles statufié par le temps…
Je ne vais pas y aller par quatre chemins : cette trace m’interpelle. Son existence sur cette pelouse berlinoise printanière n’y est absolument pour rien. Je n’ai en effet aucun mal à concevoir que des promeneurs, par facilité ou par mimétisme, finissent par emprunter la même route que leurs prédécesseurs. Et a fortiori, que la répétition de ces piétinements cadencés marque à jamais le sol comme une cicatrice, la peau. Non, ce qui m’interpelle, et ce n’est pas la première fois – je me suis posée exactement la même question un hiver neigeux à Montréal, quand même bien la précision semble « pléonasmique » -, c’est la forme de cette trace. Le cheminement de ce parcours. Et la question, vitale comme toutes les questions : pourquoi, alors même que les marcheurs veulent manifestement aller légèrement à droite par rapport au point central où je me suis postée pour capter cette étrangeté – je vous laisse vous relever un peu sur votre siège pour constater, qu’en effet, le chemin converge vers l’arbre en haut à droite -, pourquoi donc commencent-ils tous par aller un peu vers la gauche avant de rétablir leur trajectoire à mi-parcours et de filer vers leur destination finale, le tout par l’entremise de douces courbes ?
Pourquoi n’y vont-ils pas directement, donc, tout droit : n’avons-nous pas appris au cours élémentaire que la ligne droite était le plus court chemin entre un point A et un point B dès lors qu’il n’y avait aucun obstacle entre eux ? Admettons que les premiers, les pionniers, ceux qui, tels des sherpas, ont créé la trace, aient un temps, et très sincèrement, hésité entre s’enfoncer dans la forêt apparente à gauche ou traverser la clairière à droite – ce qu’ils ont fait au final -, comment croire que tous ceux qui les ont suivis ont connu les mêmes indécisions exactement aux mêmes moments et n’ont pas été tentés de prendre la tangente pour couper court à ces tergiversations ? Hypothèse n°1 : les flâneurs avancent sans regarder où ils vont, ils se concentrent uniquement sur la façon d’y aller, pas après pas, indépendamment de toute logique d’économie de pas, et suivent tout naturellement la route déjà tracée. Il y a même de fortes chances qu’ils n’aient pas conscience de leurs errements. Hypothèse n°2 : ils ont bien vu que le chemin n’était pas optimal, mais, étant extrêmement respectueux de la nature, plutôt que de dégrader à nouveau le terrain, ils préfèrent faire un petit détour…
Ce qui m’inquiète le plus à dire vrai n’est pas que ce trio se soit engouffré dans ces sombres abysses terrestres aux abords accueillants, mais plutôt le fait que je ne l’ai jamais vu en ressortir…
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Share on FacebookComme une idée encore un peu vague, un peu légère, ballottée de ci de là au gré des courants, d’air, qui feint s’envoler mais qui ne fait que danser. Et s’accrocher un peu plus à chaque expiration du vent. Pour, au bout du conte, faire corps avec celle qui l’émet, jusqu’à l’accompagner. Dans son inextinguible […]
Share on Facebook« Sur une branche, perchée avec… » ou 3 questions posées à un membre de l’écho-munauté… Pour ouvrir la série, Laurence Serfaty. Quelle est la place de la photographie dans ta vie ? J’ai eu mon premier Instamatic Kodak à 12 ans, un cadeau de mon père pour mon anniversaire, je crois. Je n’avais pas du tout […]
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