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Il me semble, mais je me trompe peut-être, qu’au 20è siècle, c’est-à-dire à une époque à la fois proche, dans le temps, et lointaine, dans les moeurs, et d’utilisation raisonnée et raisonnable de l’appareil photo, les enfants y étaient moins attentifs. Le numérique n’avait pas encore déferlé sur l’industrie photographique, révolution inattendue qui a irrévocablement fait sombrer au fin fond de la fosse des Mariannes ceux n’ayant pas su ou voulu prendre la vague avant qu’elle ne casse violemment, parmi lesquels les plus illustres, Kodak en tête. Chacun apportait encore ses pellicules de 12, 24, 36 poses – comment avons-nous pu passer aussi rapidement du très limité à l’illimité ? – au labo du coin et patientait quelques jours avant de pouvoir découvrir leur contenu – comment avons-nous pu changer de rapport au temps aussi vite ? Les téléphones portables – sans remonter au Motorola DynaTAC 8000 X pour autant – se contentaient d’être des téléphones et n’étaient pas encore devenus les couteaux Suisse addictifs de nos vies connectées et multi-modales qu’ils sont aujourd’hui.
En ces temps-là donc, les enfants étaient naturellement moins sensibles – car moins exposés – aux boites à images qui pouvaient graviter autour d’eux. Bien sûr, il y avait les photos de famille, celles des vacances et les photos de classe sur lesquelles il fallait être sérieux, mais en grande majorité, cela s’arrêtait là. De telle sorte qu’un photographe se glissant dans un espace peuplé d’enfants voire d’ados pouvait, après une phase normale d’apprivoisement réciproque, passer inaperçu et assurer le travail qui lui avait été commandé relativement facilement, hormis la difficulté intrinsèque de l’exercice lui-même. A vrai dire, il ne s’agit là que d’une hypothèse, étant moi-même sur le banc des grands écoliers en cette fin de siècle dernier.
Toujours est-il qu’aujourd’hui, la même mission relève de la gageure tant la jeunesse semble, et de façon irrésistible, aimantée par les objectifs, par l’image d’eux-mêmes, au même titre que la pomme de Newton par le centre de la Terre. Que l’un s’aperçoive qu’il est dans votre champ, et le voilà qui interrompt toute activité – celle-là même que vous désiriez capter ni vu ni connu, vous qui ne jurez que par la spontanéité, l’innocence et la vérité qu’elle confère aux êtres -, pour vous regarder, vous montrer son plus beau profil, vous adresser son plus beau sourire, ou, à défaut, son intime gravité. Et sans vous en rendre réellement compte, les rôles et les rapports s’inversent totalement : ce n’est plus le photographe qui prend, ce sont les photographiés qui offrent et s’offrent à lui magnifiquement, avec une maîtrise de leur image et de la composition qui paraît totalement innée, un don qui fait chavirer coeurs et pupilles, et oublier – voire joyeusement saborder – la mission première…