Certains artistes aiment vous plonger dans l’inconnu. L’obscurité en est une des nombreuses formes. Il faut l’accepter et s’y tapir sans crainte pour, au bout de quelques instants, pouvoir y déceler la lumière résiduelle, et revoir, enfin. Pourtant, intimidés voire inquiets, certains visiteurs ne vont pas plus loin que le bord de cet autre monde, là où ils sont encore touchés par les photons, ceux-là même qui les guident au quotidien, éclairent leur chemin et, ce faisant, les rassurent. Ils tergiversent, ils scrutent, ils hésitent, ils s’interrogent… Forcément, en demeurant là, l’obscurité de ce cube gagne en profondeur et leurs doutes s’installent. Mais voilà que le jeu s’inverse : alors qu’ils voient de moins en moins ce qui se trame à l’intérieur, ils deviennent de plus en plus visibles pour ceux qui y sont déjà… et d’une certaine manière, leurs errements ainsi mis en lumière sont une oeuvre en soi.
Comme je l’ai déjà évoqué dans La croisée des chemins, j’aime aborder une ville en me laissant guider par le hasard et la surprise que me réserve le bout de chaque rue ou une perspective lointaine. Avec un plan, la route est déjà toute tracée. On suit le chemin optimal pour voir tel ou tel monument connu, bâtisse remarquable, musée incontournable. Choisir l’option hasardeuse impose, soit d’avoir du temps, soit de faire l’impasse sur ce qu’il y a « vraiment à voir » dans la ville visitée si le voyage est de courte durée. Même si cette notion de « vraiment à voir » mériterait d’être discutée.
Toujours est-il que cette option hasardeuse m’a un jour conduite face à ce mastodonte énigmatique. Au détour d’une rue donc, il n’y avait plus que lui pour occuper mon champ visuel. Tout, dans ce bloc, en impose. La hauteur d’abord, la largeur ensuite, puis l’architecture. Et puis, surtout, une chose intrigue rapidement : où sont les fenêtres ? Les gros blocs sombres situés à mi-hauteur et au sommet sont vraisemblablement destinés au système d’aération intérieur… Aucune ouverture sur le flanc Est. Je fais le tour, ce qui prend un temps certain, persuadée que les ouvertures – les fenêtres essentiellement – sont toutes de l’autre côté… Mais, après avoir bien observé les quatre faces du building, je dois me rendre à l’évidence : la lumière naturelle n’entre pas dans ce bâtiment. Sauf si elle est zénithale et dans ce cas, je préférerais ne pas travailler dans les bas étages. Seule ouverture notée : une double porte de taille normale avec deux petites caméras sur les côtés. Pas un nom, pas une enseigne. Un bâtiment neutre. Pas discret étant donné sa taille, mais ne laissant rien transparaître de ce qui s’y trame. Tout ce mystère fait naître une autre question : qu’hébergent donc ces murs apparemment impénétrables ? Le bâtiment de Men in black me revient à l’esprit. De la science-fiction ! Evidemment, m’étant laissée guider par le fameux hasard, je ne sais pas où je suis. Et lorsque je me retrouve face à un plan, je réussis à me persuader que ce bâtiment n’est pas indiqué sur la carte. Cela épaissit un peu plus le mystère, ce qui me va plutôt bien…
La catastrophe a été évitée de justesse cette fois-ci ! Un peu plus, et j’en écrasais bien deux ou trois ! Je ne sais pas ce que cela aurait donné, ceci dit, puisque je ne suis même pas capable d’en attraper une… En fait, j’avais fini par les oublier, après tout ce temps… Je ne sais d’ailleurs toujours pas ce que c’est. Je suis allée montrer mes photos à un chercheur du Muséum d’histoire naturelle. Il n’avait jamais rien vu de tel, mais a gardé une image pour la transmettre à un collègue entomologiste à Bali.
En zoomant sur les images, cette petite tête ressemblerait presque à des noix, même si elles ne s’ouvrent pas comme ça. Bref, ce simple écho avec quelque chose de connu m’a suffi à leur donner un nom : les Nutshead. Cela s’arrête là, n’ayant toujours pas trouvé le moyen de communiquer avec ces minuscules créatures ayant la fâcheuse tendance à apparaître là où on les attend le moins, et toujours de nuit donc. Cet élément éthologique se confirme avec cette troisième rencontre. Je pourrais faire une seconde hypothèse : les Nutshead se déplacent plus facilement en groupe. Bref, je sais désormais que je serai probablement conduite à les voir à nouveau. A moi donc de creuser pour découvrir leur nature d’ici là…
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