tags: Bodie, Californie, comportement, conversation, humour, message, portable, reflet, téléphone, texto, ville fantôme
D’abord, enfoncer quelques portes ouvertes. Aujourd’hui, tout le monde a un, voire deux, portables. Même les plus vieux – les constructeurs ont adapté le matériel -, même les plus jeunes – ils sont insolemment doués de naissance avec les technologies. Aujourd’hui, nombreux sont ceux à être équipés de smartphones ou à avoir opté pour des forfaits leur permettant d’échanger de façon illimitée par écrit, qu’il s’agisse de SMS ou de mails, avec leurs interlocuteurs. Or, et l’homme est ainsi fait, l’absence de contraintes – un quota de textos par mois, par exemple, au-dessus duquel tout envoi supplémentaire devient payant – ne favorise pas l’efficacité, en l’occurrence ici, la concision. De telle sorte que la simple mise en place d’un rendez-vous peut donner lieu à une avalanche d’échanges dont les trois-quarts, au moins, sont inutiles… D’où un agacement certain si l’un des deux protagonistes en est encore à l’âge de pierre, c’est-à-dire, dispose d’une formule raisonnable, donc limitée voire bloquée, et fait son possible pour limiter les aller-retour. Voilà ce que cela peut donner :
– Personne à formule illimitée (PAFIL) : On se voit toujours aujourd’hui ?
Deux minutes plus tard.
– Personne à formule limitée (PAFLI) : Oui ! Je serai libre vers 17h30-18h. On peut se retrouver chez moi ou au Café des étoiles.
La PAFLI, même si elle se veut efficace, entend quand même donner le choix à son rendez-vous. Elle veille malgré tout à la formulation claire devant conduire à une réponse précise.
A peine deux secondes plus tard.
– PAFIL : ça me va !
Echec total : la PAFIL ne choisit rien. La PAFLI reprend la machine et tapote, en réfléchissant bien à ses mots à nouveau.
– PAFLI : Parfait ! A quelle heure et où ?
La PAFLI est confiante cette fois-ci.
Tremblement de la bête.
– PAFIL : Comme tu veux !
Damned, cette réplique, la PAFLI ne l’avait pas du tout anticipée. Elle renvoie à son premier message et à sa volonté de ne pas imposer son choix. La PAFLI aurait dû avoir moins de scrupules. Mais ce n’est pas aussi simple, car la PAFIL aurait alors pensé qu’elle n’avait pas le choix et aurait peut-être proposé autre chose, histoire de. Bref.
– OK. Donc, chez moi.
La PAFLI déroule l’adresse, le code, enfin, tout ce qu’il faut pour arriver chez elle. Elle pose la machine à relier les hommes sur la table basse et poursuit ce qu’elle faisait en se satisfaisant de n’avoir passé que 8 minutes sur cette histoire. Cinq minutes avant de partir, la PAFLI reçoit un nouveau texto. C’est la PAFIL.
– PAFIL : Je vais être en retard. Retrouvons-nous directement au café.
La PAFLI intègre l’information. Quelques minutes passent. Et son téléphone se remet à se trémousser. C’est la PAFIL.
– PAFIL : Dis, tu as bien reçu mon message où je te dis que je suis en retard ?
Petit rictus de la PAFLI qui se sent obligée de répondre.
– PAFLI : Oui, oui, pas de problème. On se retrouve là-bas dans 25 minutes du coup.
Répit de quelques minutes avant que le jingle d’arrivée de message se fasse à nouveau entendre, et détester par la même occasion. C’est la PAFIL.
– PAFIL : Tu peux me redonner l’adresse s’il te plaît ? Je l’ai effacée par erreur…
Zut, zut et rezut. La PAFLI maudit la PAFIL, rumine dans sa barbe tout en lui renvoyant l’adresse du café.
Elle se chausse, enfile son manteau et quitte son appartement, passablement énervée et bien décidée à ne plus envoyer de textos pour le reste de la journée. Au bout de quelques minutes de marche, elle arrive à bon port. Entre dans ce café qu’elle connaît bien, trouve une petite table près de la fenêtre pour que la PAFIL la repère plus facilement, puis patiente. Cinq minutes, puis 10, puis 20. Là, ce n’est plus drôle du tout. La PAFIL n’est toujours pas là. La PAFLI ne tient plus, malgré sa promesse, et se résout à envoyer un message qu’elle tente le plus neutre possible.
– PAFLI : Bah, t’es où bordel ? Je t’attends au café.
Là, quasiment du tac au tac. C’est la PAFIL.
– PAFIL : Impossible ! J’y suis et je ne te vois pas.
Le sang de la PAFLI ne fait qu’un tour. Car elle connaît la suite.
– PAFLI : Tu es bien au 23 rue des Alouettes ?
– PAFIL : Ah non, tu m’as écrit avenue. Ce n’est pas loin mais ce n’est pas pareil. C’est quoi alors, « rue » ou « avenue » ? En même temps, je trouvais étrange que tu me donnes rendez-vous dans ce bar pourri…
La PAFLI fulmine d’autant qu’elle est certaine d’avoir envoyé la bonne adresse. Elle ouvre son dossier de messages envoyés et recherche celui dans lequel elle l’a donnée. Et constate avec effroi qu’elle s’est effectivement trompée ! Exaspérée, elle compose un nouveau message :
– PAFLI : C’est rue. Désolée. Je t’attends.
La PAFLI pas fière est au fond du trou, mais est sûre de voir le bout du tunnel.
– PAFIL : Ok, j’arrive.
Dix minutes plus tard, un nouveau texto s’annonce. C’est la PAFIL.
– PAFIL : J’ai rencontré un pote sur le trajet et on a commencé à discuter… Tu nous retrouves ? Il est sympa, tu verras. On s’est posés à La Peine perdue.
– PAFIL : Hey, tu as eu mon message ? Tu arrives ?
– PAFIL : Bon, t’es où ?
– PAFIL : On se retrouve ou pas, alors ?
– PAFIL : Bon, on s’appelle hein ?