La ville est un corps. Aussi, lorsque, lassée des clignotements artificiellement séducteurs des néons des façades impeccables exhibant fièrement leur bien portance, j’ai bifurqué dans cette venelle sombre, peu reluisante, exposant à l’air moite sa machinerie alambiquée et d’ordinaire invisible, j’ai eu l’étrange sensation d’avoir trouvé le chemin vers les entrailles de cette fascinante Hong Kong et de la goûter, de l’intérieur.
Avec l’hiver, les buissons ardents séparant le chemin du fleuve se sont mus en de frêles brindilles. Des petites tiges caduques et figées s’extrayant tant bien que mal d’une neige légère mais envahissante, et signalant, par leur présence, tel un acte de bienveillante résistance, une frontière désormais invisible et impalpable entre la terre et l’eau claire.
Je suis passée sous cet immeuble parisien sans prétention des jours, des mois, des années avant de le photographier enfin. Cette avancée pointue sur le trottoir, légèrement agressive, me fascine. L’idée de vivre dans le vide, d’une certaine manière, tout autant. Même si tout est relatif. Comme à mon habitude, le cadrage me prend un certain temps. Ce qui m’a valu quelques ratés mémorables… Cette fois-ci, aucun problème de ce genre. En revanche, une fois la photo faite et déjà sur mon chemin, une petite phrase arrive lentement mais sûrement à mes oreilles. Très courte.
« T’es moche ! »
Cela vient de l’ombre de l’immeuble, d’une petite fenêtre ouverte que je distingue à peine dans les bas étages. Des jeunes. Qui se marrent de leur coup. Je poursuis ma route, pas vexée pour un sou, et vingt mètres plus loin, une réplique me vient (c’est donc que ça me tracasse quand même un petit peu) : « Tu ne dois pas être très beau toi non plus si tu as besoin de te cacher pour me parler ! » Mais pourquoi n’est-ce pas arrivé deux minutes plus tôt ? Parfois, les phrases que l’on voudrait être capables d’émettre à l’instant t, pour une raison ou pour une autre, face à une personne aimée, méprisée, fraîchement rencontrée…, arrivent avec un métro de retard. Donc, trop tard…
Ces phrases que l’on finit par se répéter à l’envi une fois qu’on les a trouvées – elles commencent toutes par : « j’aurais dû dire » – deviennent totalement obsolètes, inutiles dès lors que le moment est passé. On ne le sait que trop bien, ce qui ne nous empêche pas d’imaginer la suite de chaque scène manquée, avec des changements primordiaux dans le script… Coupez ! On la refait ! Mais non, ça ne marche pas comme ça, dans la vraie vie… Cela s’apprend, la répartie ?
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