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Qu’ont en commun Total Recall, Strange Days, The Game, Dark City, The Truman Show, Passé virtuel, Pleasantville, Matrix, eXistenZ et Dans la peau de John Malkovich ? Ce sont tous des films américains oui et ils datent tous du 20e siècle oui aussi mais surtout, ils placent leurs personnages dans a minima deux mondes, a fortiori deux « réalités », qu’ils en aient conscience ou pas, qu’ils vivent donc dans l’illusion ou pas. Cette situation les amène à douter rapidement de la nature de leur monde, et, pour certains, à douter du réel lui-même. Et face à un réel souvent désenchanté, laissant peu de place à l’espoir, obscur, chaotique, violent, décadent ou déjà simulacre de lui-même, le salut des personnages vient alors de l’ailleurs, des réalités alternatives, des mondes parallèles voire virtuels dans lesquels ils plongent ou sont plongés, rendant plus complexe leur retour à un réel, d’autant qu’il n’est pas toujours celui qu’ils croient.
J’évoque ces films aujourd’hui parce que récemment, je me suis assise sur le siège H10 de mon cinéma habituel pour absorber le dernier Spielberg en 3D, Ready Player One. Au-delà des multiples références et auto-références au cinéma des années 80 et 90 ravissant les quarantenaires mais laissant sur le tapis une partie des millenials et de la génération Z – « je n’ai pas vu The Shining… » lance un personnage mi-figue mi-raisin -, son film, qui nous envoie en 2044, pose un certain nombre de questions sur notre perception de la réalité et notre interaction avec elle, sur notre rapport aux mondes virtuels, sur l’omniscience des réseaux sociaux, sur la place du jeu dans notre vie – et donc de l’évasion voire de la fuite -, sur notre identité flottante et flexible – ce que nous sommes « en vrai », ce que nous sommes « en faux » sur les réseaux -, sur les valeurs virtuellement humaines ou humainement virtuelles de part et d’autre de cette frontière ici bien délimitée entre monde réel et monde virtuel.
J’évoque ces films aujourd’hui car, il y a 20 ans, ils constituaient le corpus d’étude d’un essai que j’ai consacré aux mondes virtuels au cinéma et à leur interrelation avec la réalité. Et il y a 20 ans déjà, le réel l’emportait après un premier round pourtant accablant où le virtuel le mettait KO en quelques scènes. A tel point que ce passage au virtuel ne semblait, finalement, être là que pour affirmer la toute puissance du réel. Il ne s’agissait alors plus de l’effacer ou de l’oublier, mais de lui redonner du corps, de la substance, de l’intérêt pour y vivre mieux. Spielberg, sans condamner les technologies d’immersion – l’enjeu n’est pas du tout là – ne fait ainsi que répéter ce message envoyé il y a plus de 20 ans déjà, sachant que lui-même nous projette peu ou prou dans 20 ans. D’une certaine manière, cet écho ravive l’un des rôles clés du film d’anticipation et/ou de science-fiction : alerter en amont sur des dérives perceptibles dès aujourd’hui pour réorienter le cours de l’Histoire à venir à temps et réajuster des comportements, tant individuels que collectifs… Il semblerait donc, à la lumière de son film, que nous n’ayons pas réellement compris les messages jadis transmis par les réalisateurs. Bien au contraire, en matière de virtuel, le rythme s’est même grandement accéléré ! En 1927, André Breton écrivait dans Le Manifeste du surréalisme : « Viendra un jour où ce ne seront plus les hommes qui feront les choses ; ce seront les images qui les feront sans eux. Ce jour-là, on sera assis devant un écran, on ne sera plus des vivants mais des voyants ». 89 ans après, la prophétie se réalise. Or dans la vie, tout est une question d’équilibre. Il faut donc espoir garder !