Il est des cimetières que l’on n’oublie pas. Celui de Bonifacio, arpenté pour la première fois il y a quasiment 20 ans et instantanément adopté, en fait partie. Grâce à son emplacement : posé sur un plateau à la pointe sud de la ville, il surplombe majestueusement la bleue Méditerranée dansant à ses pieds. Grâce à ses tombeaux mitoyens également : d’un blanc pur et joyeux qui font de ce cimetière marin un espace harmonieux gorgé de lumière où la tragédie de la mort semble presque accessoire. A l’issue de notre seconde rencontre, j’ajouterai désormais : grâce à ses sombres ombres. Qui, par l’entremise remarquée du soleil, viennent sublimement habiller et habiter ses bas fonds, et ainsi rendre l’invisible visible : une croix manque…
Conformément à cette vérité iconographique selon laquelle 1 + 1 = 3, la juxtaposition de ces quatre photographies prises en quatre lieux très éloignés les uns des autres – Berlin en Allemagne, Thuan An au Vietnam, Doha au Qatar et Quinault aux Etats-Unis – pourrait suggérer que je cherche à faire passer un message. Je vous laisserai pourtant seuls maîtres de vos propres associations d’idées pour me concentrer sur chaque image indépendamment des autres. Ce qui ne les empêche pas d’être toutes unies par une même réflexion, ou pensée, ou impression : celle, partagée, qu’il peut être difficile de faire de l’humour, ou tout simplement d’être léger, sur certains sujets dans le monde actuel, la capacité de distanciation de certains s’étant réduite comme peau de chagrin ces derniers temps. Ou encore celle que certaines images renvoient inévitablement à des événements passés dans l’inconscient collectif alors qu’elles ne s’en font absolument pas l’écho, notamment car elles ont été prises avant qu’ils ne se produisent.
« Le clou du spectacle ». C’est le titre que je serais tentée de donner à la première photographie prise au coeur de l’Eglise du Souvenir, reconstruite sur les ruines de l’ancienne, et devenue symbole de paix et de réconciliation post 2e guerre mondiale. Limite, limite, me soufflent certains.
Direction le cimetière de Thuan An coincé sur une langue de terre donnant sur la Mer de Chine, où les sépultures, posées de façon chaotique sur des dunes mouvantes, se fissurent, s’éventrent voire se font engloutir comme si elles étaient prises dans des sables mouvants. En errant entre les tombes, je découvre des bouts d’un mannequin en résine, démembré, d’abord une tête, et un peu plus loin, une jambe, et puis encore un peu plus loin, des bras, une poitrine. Et puis tout le reste dans un coin. Je recompose le corps en trois-quatre images dans ce lieu de culte où les corps se décomposent, mais différemment. Aujourd’hui, impossible de les regarder avec la neutralité voire l’amusement qui étaient miens en déclenchant : ce faux corps déchiqueté et immaculé me renvoie désormais, et certainement pour longtemps, au tragique vendredi 13 novembre.
« Pyjama party ». C’est le titre que je serais tentée de donner à cette procession blanche en dish-dash et keffieh déambulant sur le tarmac de l’aéroport de Doha le pas alerte et le coeur léger.
Et enfin, la bannière étoilée. Quiconque a déjà eu l’occasion de voyager aux Etats-Unis – à défaut, de visionner des films ou des séries américaines – sait à quel point elle est omniprésente – en toutes tailles et dans les moindres recoins du pays – et les Américains lui vouent un culte sans borne, que nous jugerions, nous Français peu friands de cette forme d’exhibition patriotique, excessif voire ringard. Oui, mais là encore, c’était avant… Car depuis quelques semaines, le drapeau tricolore, avec lequel la majorité des hexagonaux gardait une certaine distance de sécurité, n’a jamais été aussi présent – de mémoire de vivante – aux fenêtres, sur les murs (les vrais, en brique, les faux en 0 et 1), dans la rue, sur les bâtiments et partout… Un hommage, un symbole de rassemblement et d’unité certes, mais aujourd’hui, difficile de ne pas se demander, parmi ceux flottant encore au vent, combien sont ceux liés à un sentiment nationaliste et sclérosant légitimé par les dernières élections, plutôt que patriotique et ouvert sur les autres…
Ces quatre exemples me montrent à quel point l’interprétation que l’on peut faire d’une photographie est fluctuante, fugace, temporaire et varie en fonction des éléments contextuels survenus entre le temps de la prise de vue et celui du commentaire, qui, de fait, doit lui-même être idéalement daté. Ils me confirment aussi que, dans ce monde terriblement sérieux, il m’est primordial de cultiver et de partager, sans manquer de respect à qui que ce soit pour autant, ce décalage et cette dérision face aux choses de la vie, étranges ou pas…
Aimer les cimetières et déambuler dans leurs allées comme s’il s’agissait d’un endroit tout à fait neutre, a des vertus décomplexantes : on s’autorise à s’y amuser un peu ; parfois, on s’emploie à s’y faire peur aussi. Enfin, juste semblant…
Ce matin, comme beaucoup de transportés, j’attrape un gratuit au vol et plonge dans la lecture en diagonale des nouvelles du week-end que je connais déjà. S’y trouve un petit billet hommage à Daniel Balavoine, décédé un 14 janvier dans un stupide-accident-d’hélicoptère-mais-ça-arrive au Mali. Je m’en souviens et contrairement aux apparences, je tiens à préciser que je ne cherche pas à faire remonter tous les souvenirs de mon enfance à la surface… Je m’en souviens à cause de ma prof d’histoire géo de l’époque. Moi, Balavoine, je l’écoutais. Elle, elle le connaissait. Très bien même. Et quand nous étions entrés dans la classe, encore ignorants, ce sont ses yeux rougis et gonflés par les larmes et la tristesse de la perte d’un être cher qui nous avaient accueillis.
Dans ce billet, ils ont soigneusement évité une formulation que j’estime totalement absurde et que l’on trouve pourtant régulièrement dans la presse, qu’elle soit de papier ou de 0 et de 1, sérieuse ou légère. Vous allez vite comprendre… « Maria Callas aurait 88 ans aujourd’hui » (2010)… si elle n’avait été assassinée ou victime d’une embolie pulmonaire (ils ne sont pas certains). « Marguerite Yourcenar aurait eu 100 ans en 2003″… si elle n’était morte de vieillesse. « André Malraux aurait eu 100 ans » (2001)… s’il ne s’était éteint de mort naturelle. « Marlene Dietrich aurait 111 ans aujourd’hui » (2013)… si elle ne s’était pas suicidée. « Marie Curie aurait eu 144 ans aujourd’hui » (2011)… si elle n’était pas morte d’une leucémie. « Claude Debussy, Arthur Rimbaud, Sigmund Freud auraient 150 ans aujourd’hui » (2012, 2009, 2008)… si un cancer ne les avait pas emportés. « Charles Dickens aurait eu 200 ans aujourd’hui » (2012)… s’il n’était mort d’épuisement. « Charles Darwin aurait eu 200 ans aujourd’hui » (2009)… s’il n’avait cédé à une maladie du cœur. « Frédéric Chopin aurait 202 ans aujourd’hui »… s’il n’avait a priori pas succombé à une mucoviscidose (une hypothèse assez récente). « Robespierre aurait 250 ans aujourd’hui » (2008)… s’il n’avait été guillotiné ! « Marie-Antoinette aurait 257 ans aujourd’hui » (2012)… si elle n’avait été décapitée. « Jean-Jacques Rousseau aurait eu 300 ans aujourd’hui » (2012)… s’il n’avait vraisemblablement pas été victime d’un AVC (qui ne s’appelait pas comme ça à l’époque). « Corneille aurait 400 ans aujourd’hui » (2006)… s’il ne s’était pas éteint des suites d’une longue maladie. « Jeanne d’Arc aurait 600 ans » (2012)… si elle n’avait péri sur le bûcher…
Bref, je comprends de ces hommages que toutes ces illustres personnes seraient donc encore vivantes si elles n’étaient pas mortes (il faudra alors que quelqu’un se dévoue pour me dire si nous avons vraiment le choix) et/ou si l’homme avait une espérance de vie dépassant tout ce que nous avons connu jusqu’à présent (jusqu’à 600 ans donc). Quel sens alors donner à toutes ces phrases liminaires, quel sens donner à ces soustractions que ces calculateurs font pour quantifier ce qui n’aura jamais lieu, quel sens à mettre Paris en bouteille ? Car, comme le rappelle indirectement, mais ironiquement quand même, le panneau de ce superbe cimetière posté sur une colline de Big Island et faisant ainsi face aux vagues de l’océan pacifique, la vie ne va que dans un sens… Ce qui ne lui empêche pas d’en avoir plusieurs !
Face à cette image et ce qu’elle représente, la question à se poser n’est pas : « Mais que fait-elle avec un appareil photo aux toilettes ? » mais plutôt : « Pourquoi ces espaces intimes sont-ils à ce point ouverts ? ». C’est un des grands étonnements, pas des plus confortables il faut l’admettre, des européens venant rendre visite à leurs voisins nord-américains. Au-delà de ces parois commençant à 30 cm de hauteur, il y a aussi ces portes qui se ferment en laissant un interstice de plusieurs millimètres parfois, suffisamment large pour permettre à chaque partie d’entre-apercevoir ce qui se passe de l’autre côté. Evidemment, personne ne regarde vraiment, mais, pour le (« la » serait plus juste) novice, le doute s’installe rapidement. Et tétanise. Les yeux rivés sur les pieds d’à côté, la voilà qui regrette tout aussi vite les toilettes bien fermées de l’ancien monde, où les cloisons vont du sol au plafond, les portes sont lourdes et se ferment derrière elle en la nous coupant du monde extérieur. Etrangement, cette différence culturelle – motivée par des contraintes de sécurité peut-être ? – me renvoie à la question de la mort et aux cimetières d’ici et d’ailleurs, en particulier nord-américains. Ouverts sur le monde, sans tabou, sans barrière, comme s’il n’y avait rien à cacher car, au final, rien n’est plus naturel que mourir ou … ! Est-ce vraiment comparable ?
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Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
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