Photo-graphies et un peu plus…

Vagamonder

Premier néophotologisme commençant par un V a priori, mais il faudrait que je m’en assure. Et celui-ci me concerne directement – mais pas exclusivement ! – puisque vagamonder consiste tout simplement à vagabonder à la surface du monde par tous les moyens possibles et sans autre but que de se nourrir et de s’émerveiller de l’altérité, qu’elle soit philosophique, géographique, ethnologique ou anthropologique. Ainsi, je vagamonde avec un bonheur sans cesse renouvelé qui appelle au départ constant.

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Rouler, traverser la campagne tunisienne en voiture, admirer le paysage fleuri, vert et printanier, se dire que ce pays est beau, et tout d’un coup, retomber sur ces deux yeux noirs encadrés de terre qui me regardent passer et se dire qu’ils l’ont déjà fait, dans le passé, 547 jours auparavant pour être précise. Je n’aurais jamais oublié ce regard. Exiger de s’arrêter pour en avoir le coeur net, s’extraire de la caisse métallique, faire 56 pas en arrière, 57 en fait, prendre une photo, recourir vers la voiture et se dire qu’on cherchera la première en arrivant… La retrouver. Louer sa mémoire. Automne Printemps. La vie défile…

547 jours

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Le pont des soupirs

Stupéfaction et tremolo à l’heure du café matinal et de la consultation frénétique index à l’appui, mais glissant, des nouvelles du jour ! J’ai souvent les yeux clos quand je les consulte depuis que je me suis autogreffé une appli censurant les mauvaises nouvelles et les fermant automatiquement (à la fois les yeux et les nouvelles). Il y en avait trop, ça n’était plus vivable, et je n’ai pas l’impression de fermer les yeux sur ce qui se passe dans le monde pour autant ! Enfin, si, mais il existe différentes manières de voir. Bref, là, ils sont restés ouverts, non que la nouvelle soit bonne – car le contraire de la mauvaise nouvelle n’est pas forcément la bonne nouvelle, ce serait trop simple -, elle serait plutôt ébouriffante, invraisemblable, renversante !

J’ai d’ailleurs d’abord cru à un canular, un hoax, un fait alternatif. Ce qui m’a incitée à vérifier, avant toute chose, si elle était présente sur d’autres supports, même si ça n’est plus forcément une garantie de véracité (où va le monde ?). Et maintenant que j’ai écrit toutes ces lignes sur cette info sans la partager encore, c’est un peu comme lorsque des amis vous disent que tel film ou telle pièce de théâtre ou tel livre ou tel concert est vraiment hyper-méga-génial-e et qu’il faut absolument-franchement-essentiellement aller le ou la voir ou le lire ou l’entendre, vous vous projetez naturellement sur ce qui vous hisse généralement à l’apogée de votre propre échelle émotionnelle, tout en modulant ce calcul à l’aune de votre fine connaissance de vos amis, vous vous imaginez des choses, et souvent, vous êtes déçus. Oui, déçus. Du coup (si si, j’ai écrit « du coup »), je ne sais plus si ça vaut vraiment la peine que je vous dise… Oui, parce que clairement, vous allez vous dire : « Quoi, tout ça pour ça ? Franchement, t’exagères Lou hein ! » Non ? Alors, vous allez re-regarder la photo choisie pour y puiser quelque indice alors qu’en réalité, tout se passe à 8614 km de là, le là étant le centre de Madagascar qui n’est pas littéralement l’endroit d’où j’ai pris cette photo, mais c’est plus simple pour le calcul, mes souvenirs d’il y a 20 ans n’étant plus aussi clairs. Je vous invite donc maintenant à prendre un compas géant et à tracer un cercle de 8614 km de rayon – j’en conviens, ça n’est pas très pratique – pour identifier la zone géographique en question et à vous balader sereinement sur la circonférence de ce cercle dans l’espoir de voir poindre l’illumination.

Ou bien, j’arrête là le supplice et vous dis tout de go ce qui m’a ébahie ce matin-là : l’inauguration, ou presque, d’un pont reliant Hong Kong à Macao ! Evidemment, avant avril 2017, ça ne me parlait pas vraiment ne sachant pas précisément quelle distance séparait les deux RAS de la Chine, mais voyez-vous, en avril 2017, j’ai justement pris le ferry – ultra rapide – depuis le port de Hong Kong pour rallier l’ancienne colonie portugaise et il mettait déjà une heure ! Je vois bien que vous vous attendiez à autre chose ! Mais pour que vous preniez bien la mesure de ce qui m’a fait tressaillir, dites vous que ce pont, qui devient automatiquement le plus long ouvrage maritime au monde, fait 55 km ! Vous vous imaginez, vous, rouler pendant 55 km au dessus de la mer ?

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La déviation

Ce n’est qu’au bout de cinq jours qu’ils avaient tous eu le fin mot de l’histoire. La pagaille généralisée qui s’était propagée comme une épidémie fulgurante partout dans le monde ce jour-là, un jour qui ne dépassait pas plus qu’un autre, était encore très vive dans les esprits, tout comme la colère qui en avait découlé. Et surtout, personne n’avait réellement compris ce qui s’était passé. Enfin, si, tout le monde avait compris qu’il avait été mené en bateau, mais personne n’avait réussi à identifier l’origine de la panne qui avait indistinctement touché automobilistes et marcheurs…

Cela faisait ainsi des heures qu’ils tournaient en rond au volant de leur voiture de location. La nuit était tombée vite, et ce n’est pas la lueur de la pleine lune, estompée par la brume, qui allait pouvoir les sauver. Il n’y avait clairement rien autour, rien de plus que cette route récente fendant le néant, éclairée mètre après mètre par les phares mobiles, personne à qui demander son chemin, juste ce fichu GPS auquel il fallait faire confiance. L’hymne à la joie qui résonnait dans la cage métallique n’était pas à la hauteur de l’angoisse qui n’en finissait plus de monter. Comment étaient-ils arrivés là ? En commençant à ne se fier qu’à lui justement. En lui donnant les clés de la voiture pour ainsi dire. En se laissant guider. Porter. Nonchalamment. Et petit à petit diriger. A tel point que, alors qu’ils avaient enfin pris conscience du problème – la voix féminine sur laquelle était réglée l’assistant de navigation personnel donnait des ordres de plus en plus contradictoires auxquels ils n’avaient prêté attention qu’en réalisant être passés à trois reprises et à chaque fois par des chemins différents devant la même maison en ruine en bord de route -, ils n’étaient plus en mesure de reprendre la main sur la direction à suivre.

Au coeur de l’obscurité, incapables de savoir où ils étaient précisément – même une carte, alors, ne leur aurait servi à rien -, ils avaient décidé de se garer sur le côté et d’attendre le retour du jour. Heureusement, on pouvait encore compter sur lui et sur sa ponctualité, à quelques minutes près ceci dit. Au petit matin, un homme avait tapé à la fenêtre, les réveillant en sursaut d’une nuit hachée et glacée. Ils leur avaient dit s’être perdus, ce qui ne l’avait pas étonné : « Tout le monde s’est perdu » avait-il répondu, mystérieux. D’un simple mouvement de bras, il leur alors avait expliqué comment atteindre leur objectif. Ils étaient juste à côté… Après une poignée de minutes, ils poussaient la porte de la maison où ils comptaient se reposer quelques jours. Après deux poignées de minutes, ils absorbaient un café bouillant mais ça n’était pas grave. Après trois poignées de minutes, ils revitalisaient leurs portables, en sommeil depuis la veille, recevant d’un coup, des dizaines de notifications et de messages inquiets. Après quatre poignées de minutes, ils allumaient la radio. L’homme avait dit vrai : comme eux, des centaines de millions de personnes s’étaient perdues la veille, toutes usurpées par les machines auxquelles elles avaient confié leurs choix et dont les repères avaient été intentionnellement brouillé – c’est ce que l’on avait appris cinq jours plus tard donc – par un groupe de jeunes hacktivistes, voulant rappeler à chacun, à travers un exemple simple, qu’il était primordial de continuer à penser par soi-même pour être sûrs de savoir où on allait et comment on y allait…

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Far

Il y a ce phare permanent tout proche qui brille comme une étoile mais sans ciller, au bord de ce bassin où grandissent les poissons tant bien que mal, un phare au ras des herbes hautes occupé par deux hommes nus de torse finissant leur éreintante et chaleureuse journée en écoutant une musique libérée de leur radio à piles et en se grillant une poignée de cigarettes. Et puis il y a ce phare lointain, intempestif, imprévisible, éclatant, spectaculaire, circonscrit aux stratocumulus dans lesquels il se débat sans pouvoir en sortir, en envoyant ses décharges électriques, petites et grandes, qui viennent éclairer la nuit par intermittence. La lumière n’est-elle pas faite pour irradier ? Un phare étrangement silencieux par ailleurs alors que l’on espérerait un tonnerre d’applaudissements, des craquements tonitruants, de graves grondements… Un orage sans son donc, qui a préféré squatter les hautes sphères plutôt que flirter avec la terre, trop basse. Pas de coup de foudre ce soir. A la place, un concert de basse-cour fébrile et magnétique imperceptible à l’oeil nu mais audible juste ici

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L'impasse

Après avoir scrupuleusement suivi ces traces de pas sur très précisément 3 427 mètres, j’en suis arrivée à l’incontestable conclusion que ce chemin ne menait nulle part. Ne voulant pas me laisser abattre par un obstacle de pacotille, j’ai enjambé la maigre végétation et ai poursuivi mon chemin sur une route non balisée.

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A l'ombre

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J’ai pris ce coquelicot esseulé en photo pour une raison simple : le rouge vif de ses pétales se détachant nettement du dégradé de vert à jaune de l’herbe à la paille, le tout sur fond de ciel bleu. Un véritable arc-en-ciel ! Ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas devenu achromate (à ne pas confondre avec acrobate) pendant la nuit : cette photo telle que vous la voyez est bien en noir et blanc.

J’ai préféré les lui ôter. Ses couleurs. Non sans une certaine hésitation je dois l’admettre car c’est bien leur cohabitation qui m’a poussée à déclencher et donc à faire que cette image existe. C’est un peu comme si vous commandiez une boule de glace à la fraise parce que c’est votre parfum préféré, et qu’une fois le cornet entre vos mains, vous vous disiez : « finalement, j’aurais préféré la vanille ». A un détail près : vous aurez beau faire appel à Oudini, votre glace à la fraise ne pourra pas se muer en une glace à la vanille. En revanche, un banal logiciel de retouche photo fait basculer votre image d’un monde à l’autre et même inversement (preuve qu’aujourd’hui, la magie est ailleurs…).

Et voilà que dépouillée de ses rouge, vert, jaune, blanc, bleu, la photo perd la légère allégresse qu’elle dégageait, son âme bucolique, son côté gnangnan aussi, elle se fait plus grave, gagnant à la fois en mystère et en étrangeté. Tout d’un coup, on se met à douter de son authenticité, on imagine un trucage, un montage, un effet de post-production… Quelle autre raison en effet à rendre flou le sujet principal de sa composition, état de fait qui s’impose d’autant plus qu’il n’y a pas de couleurs pour détourner l’attention ? Une remise en perspective, qui, à mes yeux, vaut bien quelques couleurs…

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