Yellowknife, Territoires du Nord-Ouest, Canada, sur le Grand Lac des Esclaves. « Sur » oui, pas « à côté » ou « près » ou « vers ». Marcher « sur » un lac ne peut, a priori, se faire qu’en hiver, à moins d’être doté de pouvoirs surhumains. Et l’hiver, à Yellowknife, il dure un temps certain. Suffisamment pour que l’eau qui emplit son immense lac se solidifie et qu’une couche de glace d’un mètre se forme. Suffisamment aussi pour que l’étendue d’eau gelée se mue en mythique route de glace de deux fois quatre voies…
A l’entrée de cette autoroute temporaire très spéciale, un panneau rappelle que le poids maximum autorisé est de 40 tonnes… De quoi rassurer durablement les poids plume que constituent les humains qui s’aventurent dessus, pour s’y promener, y faire du vélo, du chien de traîneau ou encore rallier le village situé de l’autre côté de la rive. Pour autant, cette surface n’en est pas moins vivante… Au passage de ce camion éructant sa fumée poisseuse, j’ai en effet senti l’épaisse couche de glace noire translucide déjà fendillée vibrer sous mes pieds et, malgré le vrombissement tonitruant de son moteur aux poumons sclérosés, j’ai entendu la glace craquer dans un grondement sourd inédit à mes oreilles. Un tonnerre glacial faussement effrayant et surtout, furieusement envoûtant…
Balade post-averse. A côté du tumulte de la large avenue passante où rugissent les chars, cette ruelle que l’on éviterait volontiers la nuit tombée, affiche un calme absolu. Je m’y avance de quelques mètres. J’ai cru voir quelque chose briller sur le macadam. Et, là, à l’abri des regards égarés, je cueille cette image urbaine avec autant de soin qu’une edelweiss dans les montagnes suisses. Rarement reflet aura été aussi pur…
… L’excitation préfigurant la découverte d’un ailleurs inconnu et plein de promesses. Je hais les départs en vacances ! Ce stress qui les précèdent malgré les planifications, les anticipations et les ablutions. J’adore les départs en vacances ! Regarder le temps qu’il fait là-bas, se réjouir des températures estivales qu’il y règne et faire remonter à la surface son maillot de bain ou ses chemises à manches courtes… Je déteste les départs en vacances ! Et cet enchaînement d’actions incontournables, tel un rite initiatique : clore les dossiers à la va-vite pour partir l’esprit libre, finir les restes dans le frigidaire pour ne pas gâcher, mettre un peu d’ordre chez soi pour une raison absurde puisque personne n’en profitera, vider les poubelles pour éviter l’asphyxie au retour, arroser les plantes pour qu’elles survivent à notre absence, prier pour les poissons rouges qui heureusement auront tout oublié dans 3 secondes et 42 centièmes. J’adore les départs en vacances ! Se plonger dans les guides, surligner les lieux à ne surtout pas omettre, s’imprégner de la culture, se programmer quelques journées précisément… Je déteste les départs en vacances ! Ces dernières minutes où l’on se repasse sa valise en accéléré en étant persuadé d’avoir oublié quelque chose d’important puis, le départ approchant, en relativisant : « t’as ton passeport, ton billet et une carte de crédit, c’est le principal ! »… Où l’on ferme la porte à clé que l’on range bien au fond du sac, où l’on court inutilement après un bus dont l’arrêt a été déplacé pour cause de travaux, que ce dernier se trouve immobilisé plusieurs minutes interminables car un chauffeur de camion a décidé, justement ce jour-là où l’on a un avion à prendre, d’essayer de passer sous un pont trop bas pour lui ! J’adore les départs en vacances ! Lorsque l’on arrive à l’aéroport, puis au comptoir de la compagnie aérienne, que l’on se déleste de nos sacs forcément trop remplis, que l’on nous délivre notre carte d’embarquement en nous souhaitant « bon voyage » et que l’on se pose enfin en attendant le décollage… La pression retombe, le présent s’efface, et si le corps est encore là, la tête est déjà ailleurs…
Je ne le sais pas encore, mais dans quelques minutes, au détour d’un virage à 90 degrés, je serai moi-même sur cette portion de route semblant jaillir de cette terre ocre pour mieux y retourner un peu plus loin, effrayée qu’elle est sûrement par ce ciel menaçant l’Atlas proche, et qu’actuellement je m’évertue à saisir. Je ne le sais pas encore mais il y aura de la neige sur les cols que je passerai à l’horizon montagneux. A ce moment, je ne sais pas encore non plus que, amusée par le contraste, je prendrai une photo d’une borne kilométrique indiquant la distance jusqu’à Marrakech recouverte d’une fine couche de cette neige inattendue après dix jours de marche dans un désert chaud, sec et aride. Comme s’il me fallait ramener une preuve. Et sans les images, prises il y a une bonne dizaine d’années, aujourd’hui, je ne saurais probablement plus rien de tout cela. Souveir du Maroc. Pardon, souvenir.
Cela nous arrive tous les jours. Tous les jours, nous faisons des hypothèses sur le monde qui nous entoure en fonction des signaux qu’il nous envoie, et surtout, de ceux que nous sélectionnons pour aboutir à ce que nous croyons être, des certitudes. N’ayant accès qu’à une infime portion de la réalité, nous savons pertinemment que, plus que des certitudes, ces conclusions sont des a priori. Des exemples ? Vous faites la queue à la caisse d’un supermarché. Il est tard. Disons, 21h33. Devant vous, un jeune homme en costume vide son panier sur le tapis roulant. Défilent devant vos yeux cinq boîtes de plats préparés, autant de soupes chinoises, des pizzas surgelées, un pack de bière et un paquet de yaourts. C’est facile, vous vous dites que ce type est célibataire et que, de toute manière, il n’a pas le temps de rencontrer qui que ce soit car il travaille trop. Un boulot sûrement intéressant mais qui le fait passer à côté de certains plaisirs de la vie.
Autre environnement. Vous patientez dans une salle d’attente d’hôpital. Service des maladies infectieuses. Ou alors, maternité. Il y a d’autres personnes dans la salle. Un peu nerveuses, comme vous. Dans un cas comme dans l’autre, et tout à fait logiquement, vous vous dites qu’elles sont sûrement malades (et espérez que ce n’est pas contagieux) ou potentiellement enceintes (si vous êtes une femme évidemment ; sinon, vous l’accompagnez, votre femme), sans même réaliser que vous vous trouvez dans la même pièce qu’elles sans être ni l’un ni l’autre…
Ou parfois, vous tombez sur deux photos relativement proches l’une de l’autre – mêmes couleurs, même ambiance, mêmes éléments, même lieu… – , présentées de la même façon, et vous vous dites naturellement qu’elles sont liées. Qu’elles font partie du même tableau, de la même série. Un peu comme ces camions jaunes et noirs perdus dans les hautes herbes et le sable, comme dans une casse un peu dépouillée. Leur proximité, réelle dans les faits, est un leurre. Une manière de vous induire en erreur. Car ces machines roulantes n’appartiennent pas au même monde. Quand la première fait bien 3 mètres de haut, 5 mètres de long, les autres ne dépassent en fait pas les 30 cm… De simples jouets, aussi vrais que nature…
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Share on FacebookEn fouillant dans mes archives argentiques en quête de rien en particulier si ce n’est d’un peu de mémoire des choses, je suis tombée sur une pochette de tirages de photos d’Istanbul prises dans les années 1990. C’était l’époque où on allait encore déposer ses pellicules chez le photographe en rentrant de vacances et où […]
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