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Il est tombé dans la soirée et au petit-matin, il est encore là. Le brouillard. Il faut y aller. Voir. Quitte à ne rien voir. En l’occurrence, en arrivant sur la digue, la mer a disparu, les maisons ont disparu, les rochers ont disparu, le monde a disparu. Je vais le chercher. Sur la plage. Mes pieds atteignent le sable. Il est encore là, je le vois. Il n’y a guère que lui que je voie d’ailleurs. Il est mouillé. Je file droit, vers le néant. Vers ce qui est censé être le bord de l’eau. Invisible. La plage est immense, je le sais car c’est marée basse, mais je n’en vois ni le début ni la fin. Je guette les aventuriers qui sortiraient de la brume sans prévenir. De simples silhouettes. Ce sont elles que je viens cueillir. Seules ou en groupe, au pas ou au galop, sur terre ou dans l’eau. Ces âmes faussement perdues qui, comme moi, viennent éprouver la perte de repère, le flou terrestre, la brume énigmatique. Je les enveloppe de cette immensité blanche faisant plisser les paupières, je les perds dans le décor. Les cale dans un coin ou tout en bas. L’homme, si petit dans l’univers, et pourtant là, unique. Fragile et puissant. Insignifiant et précieux.
J’atteins le bord de l’eau, le brouillard y est accroché. Je me retourne, laissant la mer gentiment chahuter dans mon dos, je ne vois rien, strictement rien. Il est rare de ne rien voir en plein jour. C’est magnifique. C’est paradoxal. Je me tourne à nouveau vers la mer, pour que mon regard puisse accrocher quelque chose, une vague, une algue, un amateur de longe côte. Je me tends et puis commence à remonter. Tranquillement, car je cueille toujours. J’arrive à un point où tout est vide autour de moi. Je ne vois plus la mer que j’entends à peine, je ne vois pas encore la digue et la rangée de maisons sur lesquelles tout le monde fantasme. Un peu plus et je serais prise de vertige. Pas celui qui peut nous saisir en altitude. Non, celui du flottement, impalpable, indéfinissable, insondable. Là, à perte de vue, rien. Une peur irrationnelle pourrait très bien s’infiltrer dans les gouttelettes d’eau qui bloquent le champ visuel. Je me dis d’ailleurs que je vais fermer les yeux, faire cinq tours sur moi-même et repartir tout droit. Je pourrais alors errer des heures sans retrouver mon chemin. Mais non, la Lune ferait son travail, l’eau remonterait et m’indiquerait la direction à ne pas suivre. De toute manière, je n’ai pas le temps de me perdre. Alors, je continue vers ce que j’estime être la bonne direction, celle de la terre ferme, des lampadaires et des maisons bien définis. Un gros rocher se découpe grossièrement à l’horizon. Une simple masse plus sombre. Je le reconnais, il sera mon guide. Je me retourne, une sylphide en maillot fend l’air. Et regagne le monde visible. Le rocher grandit, s’affirme, une mère et sa fille progressent d’un pas prudent, la petite trace une marque dans le sable avec son talon droit – la Petite Poucette -, la mère s’assure que le reste de la famille suit bien, je poursuis mon chemin, remonte la plage, atteins le rocher, puis la digue. L’air s’allège, on voit de plus en plus loin. Le rêve se dissipe. La réalité revient. C’est fou comme l’absence de tout peut rendre heureuse.
Cette nuit-là, j’ai cru que j’étais dans un rêve. Le mien qui plus est. Etaient réunis en une même unité de lieu une bonne partie des ingrédients qui captent mon regard et font chavirer mon âme à la fois instantanément et mystérieusement. Car on ne sait pas toujours pourquoi certains scènes nous attirent comme des aimants. Pour ma part, il y a donc la brume, les perspectives, la lumière diffuse, la silhouette – essentielle et même primordiale – qui, idéalement, s’éloigne de moi comme si j’assistais au départ de quelqu’un, sans réellement savoir si je connais cette personne ou pas. Cette nuit-là, à Jiufen, dans le nord de Taiwan, j’avais tout cela en même temps. Et j’aurais voulu que la nuit dure toujours…
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J’exposerai une quinzaine de photographies issues de cette série – « Dans la brume électrique » – avec mon collectif Les 4 Saisons, dans le cadre de l’édition 2018 de Photo Doc., la foire de la photographie documentaire, qui se tient du 4 au 6 mai à la Halle des Blancs Manteaux à Paris. Il s’agit d’une expo-vente, au cours de laquelle je proposerai également des livrets sur Hong Kong, sur Hoï An et sur Hiroshima (en plus de celui sur cette série là).
Jiufen, Taïwan. Repère escarpé et fastueux des chercheurs d’or du siècle dernier. La brume tombe sur la ville à flanc de montagne. Entre drame et rêverie, les âmes perdues errent dans ses ruelles, en quête d’une lumière aussi salvatrice que trompeuse.
Je vous invite à découvrir une nouvelle série de photographies réalisées en janvier 2017 en cliquant ici.
Quelque chose d’étrange se produit lorsque je regarde cette photographie pendant plus de 7 secondes. Des formes apparaissent. Humaines. Elles sont trois exactement. L’une d’elles se trouve sur le premier pont, à l’extrême droite, entre le premier poteau chapeauté de blanc et le bord du cadre. C’est un homme, en pardessus sombre. Il est de dos, massif, les mains dans ses poches, profondes, il est statique, impassible, comme s’il attendait que quelque chose se produise. Peut-être de voir si les deux personnes, de simples silhouettes à cette distance même si l’on distingue clairement une femme et un homme, arrivés en courant sur le second ponton, en arrière plan, alors même, se dit-il, que les planches doivent être humides et glissantes, vont vraiment jusqu’à ce petit bateau à moteur amarré au bout du quai. Et si oui, se demande-t-il encore, combien de temps leur faudra-t-il pour se faire absorber par cette brume épaisse et compacte accrochée à la surface de la rivière depuis les premières heures du jour et dans laquelle ils s’enfonceront sans crainte. 7 secondes à peine probablement. Suffisamment de temps pour s’effacer lui aussi.
Vous a-t-on déjà posé cette question ? Moi, oui, et je ne les compte plus d’ailleurs ! Bien évidemment, les personnes qui m’interrogeaient se moquaient totalement de savoir quel âge j’avais exactement. Notamment parce qu’elles le connaissaient déjà. Car cette question ne concerne absolument pas votre âge réel. Non, le sous-texte de cette interrogation généralement énoncée avec un ton moqueur mais tendre porte justement sur l’écart qui existe entre un comportement qu’une personne est sensée avoir à l’âge qu’elle a et le comportement qu’elle a effectivement. Il y a alors deux options : ledit comportement est plus conforme à celui d’une personne plus jeune – c’est mon cas – ou alors plus âgée. A un jeune trop sérieux, on lui lancera donc qu’il est déjà vieux. Tandis qu’à un adulte un peu trop joueur, on rappellera que ce n’est plus de son âge. Heureusement pour notre équilibre psychologique, tout s’explique…
Un peu dans l’esprit de ce jeu de cache-cache avec soi-même – ce que je suis vraiment n’est pas forcément ce que je crois être, ni ce que je montre, ni même ce que les autres pensent que je suis -, nous aurions trois âges : notre âge réel – celui de notre carte d’identité, de notre état civil -, notre âge social – celui que les autres nous donnent -, et enfin, notre âge ressenti, qui nous intéresse particulièrement ici vous vous en doutez puisqu’il s’agit de l’âge que nous avons l’impression d’avoir. Si ces trois âges étaient les mêmes, il n’en existerait qu’un. Nous pouvons donc logiquement en déduire qu’ils sont différents, et a fortiori, qu’il y a un écart entre l’âge réel et l’âge ressenti. Par exemple. La question est surtout de savoir combien. Paradoxalement, plus on vieillit – jusqu’à une certaine limite cependant -, plus on se sent jeune ! Ainsi, si jusqu’à 35 ans, on ne se rajeunit guère que de 1,5 ans en moyenne, à 65 ans, le décalage atteint quasiment 20 ans ! En somme, déjà une petite une vie ! Et, vous l’aurez deviné, c’est bel et bien l’âge ressenti qui conditionne nos choix et donc nos comportements. Bref, la prochaine fois que l’on vous taquinera sur votre âge avec un air condescendant, rappelez-vous bien de cela ! Na !
Chemin faisant, ils ont atteint le bord de l’eau, glaciale, et, plutôt que de faire demi-tour au pied de ce mastodonte basaltique, sans prononcer le moindre mot, sans s’échanger un quelconque regard, ils se sont enfoncés plus encore dans cette dense fumée de mer jusqu’à disparaître entièrement…
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Share on FacebookIl n’y a vraisemblablement pas que moi qui ai été perturbée par la conférence d’hier, quand bien même cette photo a été prise avant hier (ce qui vous donne une nouvelle opportunité de lire Réconfortante quantique). Ce banal écureuil, gardien officiel de terrains de tennis pendant l’hiver, en est tout retourné. Mais qui se cache […]
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