tags: asperge, bonheur, brochette fromage, croque-madame, le meilleur pour la fin, nourriture, oeuf, restaurant japonais, temps, tradition
La scène, vous la connaissez, pour en avoir été témoin à moult reprises ou pour en être parfois vous-même l’acteur principal… Elle consiste, par exemple, à couper les têtes bien vertes et tendres des asperges, à les réserver dans un coin de votre assiette carrée, à lorgner dessus de temps à autre alors que vous mâchez péniblement le reste, puis, une fois ce rite de passage achevé, à les picorer une à une tout en les laissant fondre sous la langue et en vous demandant pourquoi ces curieux êtres ensablés ne sont-ils pas faits que de têtes…
Il y a aussi l’effet croque-madame et son oeuf délicatement posé au sommet. Avec un jaune que vous ne tolèreriez pas trop cuit, un jaune dans lequel vous rêvez, avant même de l’avoir sous les yeux, de tremper un petit morceau de baguette fraîche. Alors, quand il arrive, le croque-madame, voilà que vous l’abordez par la façade Est, en veillant bien à ne pas planter votre piolet dans son soleil bombé pour éviter que son fluide chaud et épais ne se disperse et vous sape votre bonheur anticipé… Après quelques minutes d’extrême attention, il ne vous reste plus que cet îlot solaire sur croute terrestre au milieu de votre assiette. L’oeil brillant, vous le fendez alors en deux avec un indicible plaisir…
Si vous êtes de ceux-là, « à garder le meilleur pour la fin » comme on dit trivialement, vous faites peut-être aussi partie de ces adeptes de la brochette boeuf-fromage croustillante et filante en dernière partie de repas. Pendant longtemps, j’ai adopté cette tradition un peu mécaniquement. Sans réfléchir. Jusqu’au jour où j’ai réalisé qu’à la fin, le meilleur ne l’était plus justement… Le fromage chaud et coulant initialement s’était transformé en barre de fromage à pâte dure, un changement d’état lui faisant perdre tout son attrait… Même révélation pour le jaune d’oeuf qui, en quelques minutes, se refroidissait et durcissait. Quant aux asperges, quel intérêt, finalement, à s’imposer de pénibles bouchées avant d’arriver à la tendresse ? Non, vraiment, garder le meilleur pour la fin, j’en suis revenue ! Autant le savourer au moment où il arrive et ne pas chercher à le préserver, comme un trésor à durée de vie illimitée qu’il n’est pas.