tags: boite de sardines, dialogue, distance, foule, gens, ligne 13, métro, Paris, personnes, sardines, sécurité, transport
– Dis, Lou, c’est quoi cette boîte de sardines ?
Lou (moi donc) ne lève même pas la tête et continue à chercher une photo.
L’autre, un peu plus insistant :
– Dis, Lou ! C’est qu-oi cet-te boî-te de sar-di-nes ?
Lou, toujours plongée dans ses fichiers…
L’autre, malin :
– Lou, comment on devient artiste ?
Lou lâche instantanément sa souris, se redresse et commence :
– Alors, cette boîte de sardines, c’est une métaphore…
Point d’interrogation en face…
– … une image, si tu préfères… une façon de parler de quelque chose en le comparant à autre chose…
Léger éclaircissement dans la mine.
– Comment sont les sardines dans cette boîte ? lui dis-je.
– A l’huile !
– Oui, mais encore ?
– Elles n’ont plus de têtes !
– Effectivement, mais quoi encore ? Regarde bien… Il n’y a pas quelque chose qui te saute aux yeux ?
Le petit, très concentré…
– Elles sont serrées ! lâche-t-il, persuadé d’avoir mis le doigt sur la réponse attendue.
– Oui, c’est ça ! D’où l’expression « être serré comme des sardines ». Donc, cette boîte de sardines, en fait, c’est ce à quoi me fait spontanément penser le métro que je dois prendre le matin pour aller au travail. Le métro, c’est la boîte ; les sardines, c’est nous… Et je peux t’assurer que la vie de sardine en boîte est loin d’être appréciable. Vois-tu, les retards récurrents, les problèmes techniques à répétition, l’alternance des rames entre les deux directions, font que ces rames sont systématiquement bondées, en particulier en heures de pointe (d’où leur nom d’ailleurs). Mais quand je dis « bondées », c’est presque trop gentil, elles sont surpeuplées. De vraies bétaillères ! Et encore, je suis sûre qu’il existe désormais des lois européennes pour interdire de mettre trop d’animaux dans une surface donnée ! Il faut vraiment le voir pour le croire… Imagine-toi sur le quai. Comme ça, de l’extérieur, le wagon semble plein. Les faces sont plaquées contre les vitres des portes, les mines sont totalement défaites, implorant la pitié : non, ne rentrez pas… De l’intérieur, il l’est, je te l’assure. Sauf que ceux qui attendent impatiemment sur le quai ne sont pas de cet avis, ils n’ont que faire de la compassion, il faut qu’ils pointent à leur poste ! Et là se trouve la magie du métro matinal : pour le voyageur qui a l’impression de revivre chaque jour le même cauchemar et qui n’espère plus avoir une réelle place dans la rame, l’objectif est d’y entrer coûte que coûte. En poussant un peu par ci, un peu par là, entraînant des micro-mouvements de foule à l’intérieur, en laissant à peine ceux qui veulent s’échapper du pressoir de sortir… Tout le monde peste, un peu dans sa barbe. C’est le dépit. C’est horrible ce dépit-là. C’est comme une visite chez le dentiste. Un mauvais moment à passer mais il faut bien le faire… Et puis, sans t’en rendre compte, tu as un pied à gauche, un autre de l’autre côté de la jambe droite de ton voisin que tu pourrais chatouiller sous les bras si tu étais bien disposé (et lui aussi) et le reste du corps vrillé vers le haut de la rame pour capter un peu d’air. Preuve de la plasticité à toute épreuve de notre corps… Heureusement, la densité humaine est telle qu’une position totalement déséquilibrée n’est pas synonyme de chute pour autant. Voilà donc que l’on se « repose » sur des bouts d’êtres, que nous sommes tous là, avec notre bulle de sécurité percée de toutes parts, à vivre une intimité non désirée avec de parfaits inconnus. Qu’un sorte et le mikado s’effondre… Parfois, il est difficile à certains de réfréner certaines poussées belliqueuses. Cela se comprend. Heureusement, les bras étant bloqués en position basse, les agressions sont majoritairement verbales. Le pire entendu : rame bondée, on pousse, on pousse, on pousse… Une jeune femme avec un paquet fragile entre les mains dans le sas principal. Quelle idée aussi, pourrait-on penser, de prendre le métro à cette heure-ci avec un paquet fragile ? Il y a aussi des gens qui partent en vacances avec leur grosse valise ou sac à dos qui prennent le volume de trois personnes, ou des poussettes dépliées avec marmaille inside – 4 personnes… On leur en veut et en même temps, faut bien continuer à vivre ! Bref, la donzelle avec sa boîte fragile… Voilà qu’elle lance un « Ta gueule ! » à une vieille dame qui avait dû manquer sa dernière séance de PNL et n’avait donc pas su capter les micro-signaux que lui envoyait la jeune femme bien sous tous rapports apparents depuis quelques secondes : « Pas le matin ! » « Pas le matin ! » « Pas le matin ! »… Comprendre : « Ne pas me prendre la tête dès le matin ! »… Et la dame, insistante, « Oui, mais, quand même vous pourriez faire attention… » « Ta gueule ! » donc. Effroi dans l’assemblée. Quand même… Oui, quand même… Cette ligne transporte des gens dans des conditions inacceptables, mais quand même, un peu de respect pour les aînés. Oui, moi, je suis comme ça. Bref. Elle finit par s’excuser… Non, pas d’excuse… par se justifier quelques minutes après… le métro est arrêté entre deux stations, ça laisse le temps de penser à ce que l’on vient de dire, à se rappeler du chapitre sur la maîtrise de soi parcouru la veille, à se convaincre que ce n’est pas grave… « Oui, quand même, ça ne se fait pas ! » finissent par dire les gens collés à la jeune-à-la-boîte-fragile-et-aux-joues-rouges… Ce qui ouvre une courte lamentation sur cette ligne maudite qui énerve tout le monde, les salariés, les employeurs, les recteurs d’université aussi, et en premier lieu les passagers, les sardines quoi… Evidemment, face à cette fatalité, je ne peux m’empêcher de me demander si les choses auraient été différentes si cette ligne ne s’était pas appelé 13 mais 15… La RATP aurait dû faire comme dans les compagnies aériennes américaines, supprimer la rangée 13 de leurs avions, forcément capteur de tous les dysfonctionnements connus sur les différentes lignes de son réseau !