A l’heure où les tapis rouges du Festival de Cannes sont remisés au placard – 60 mètres quand même -, où les polémiques post-palmarès fleurissent – ce serait trop simple d’accepter le verdict d’un jury de 9 personnes -, où il va donc bientôt pleuvoir sur le court central prochainement recouvert de Roland Garros – comme chaque année depuis toujours malgré le dérèglement climatique -, j’avais envie, non pas de m’attarder sur ces vies qui défilent sur les toiles, mais plutôt sur les lieux au sein desquels ces toiles se dévoilent. Les cinémas donc. Dans la grande majorité des cas, les salles se ressemblent toutes : des sièges – souvent rouges -, tournés vers un écran – plus ou moins grand -, dans un écrin sombre – et volontiers feutré. Parfois, mais c’est de fait extrêmement rare, elles ne ressemblent à rien d’autre qu’à elles-mêmes. Ainsi en est-il du Tuschinski, à Amsterdam, considéré comme l’un des plus beaux au monde.
Avant d’aller plus loin, répondons déjà à ces deux questions qui vous brûlent les lèvres :
– C’est vrai ça, pourquoi les sièges de cinéma sont-ils toujours rouges ?
– Tout simplement parce qu’à l’origine du cinéma, qui n’est pas si vieux, les films étaient diffusés dans des salles de théâtre réaménagées où les sièges étaient déjà rouges, le bleu étant la couleur royale par excellence, et le vert, au même titre que les lapins sur les bateaux, étant proscrit pour au moins une raison – la toxicité de la teinture verte des costumes aurait eu la peau de plusieurs comédiens, et peut-être même de celle de Molière. (Message personnel : le fait que de nombreux films à effets spéciaux soient tournés aujourd’hui devant des écrans verts en est d’autant plus cocasse.)
– J’avais une autre question !
– J’en étais sûre…
– Où se trouve le plus beau cinéma au monde si ce n’est pas celui-ci ?
– Indépendamment du fait que c’est totalement subjectif, je n’en sais fichtre rien ! Mais les top 10, top 15, top 27 se trouvent en 0,34 s via un classique moteur de recherche, et mélangent allègrement des cinémas à l’architecture pérenne remarquable – dont celui-ci – à des aménagements exceptionnels temporaires – voir L’Odyssée de Pi dans une barque dans une piscine…
Retour au Tuschinski, du nom de son créateur, Abraham Tuschinski. Ce Juif Polonais arrivé à Rotterdam au début du 20e siècle, tailleur autodidacte en partance pour les Amériques stoppé net sur le Vieux Continent, était si féru de cinéma qu’il en a ouvert quatre à Rotterdam avant de se lancer dans le projet pharaonique Amsteldamois. Fin tragique pour ce rêveur et sa famille déportés puis assassinés au camp de concentration d’Auschwitz en 1942. Dans l’intervalle, son cinéma avait été rebaptisé Tivoli et servait à diffuser des films de propagande nazie… Mais cela, je l’apprends en même temps que vous. Car c’est évidemment la singularité architecturale du lieu à la façade remarquable qui m’a fait pousser ses portes et rendue béate d’admiration dès que mon corps s’est retrouvé dans le hall d’accueil. Le Tuschinski, qui fêtera son siècle d’existence dans 6 ans, est en effet une merveille architecturale mêlant subtilement Art Nouveau, Art Déco et Ecole d’Amsterdam. Balcons, dorures, vitraux, lustres, peintures, marqueteries, éclairages tamisés, tapis tissés à la main, marbres… tout, absolument tout, accroche le regard, fascine, subjugue ! Et qu’importe s’il a fallu aller voir un film adapté d’un roman français justement sur cette funeste période tourné en anglais et allemand, sous-titré en néerlandais avec des comédiens anglais, américains, français et belges (Je suis, je suis ??) pour pouvoir l’approcher de près, fût-ce dans le noir. Qu’importe également s’il a fallu passer une partie du film les jambes en l’air suite à un cri strident de ma voisine de gauche persuadée d’avoir été effleurée par un rat ou une souris ou je ne sais quoi d’autre de totalement inoffensif puisqu’elle parlait en néerlandais… Rien de tout cela ne m’a empêchée d’être totalement retournée et sidérée par l’incroyable beauté de ce monde à part et sublimement hors du temps…
Les voyages forment la jeunesse, entend-on souvent dans la bouche des adultes. Ils aiguisent le regard aussi, la curiosité. Font ressortir certaines dissemblances et similitudes d’un pays à l’autre. Ainsi, pour une raison que je ne m’explique pas encore, les bourses d’ici et d’ailleurs sont souvent hébergées dans des bâtiments assez similaires. En l’occurrence, des palais à colonnes, au style corinthien. Une architecture historiquement vouée aux dieux. Enfin, ceux qui pensent l’être. Encore aujourd’hui. Voyez le Palais Brongniart à Paris, absent du triptyque, ce qui ne fait que confirmer la règle sus-dite. Napoléon 1er en est l’initiateur au début du 19e siècle et en parle alors comme du « thermomètre de la confiance publique »… Deux siècles plus tard, je ne sais qui oserait encore prononcer ces mots face à ce temple de la finance et hôte de certains des plus vils vices humains.
La vision de Wall Street date de 2005, avant la crise, époque flamboyante. Une immense bannière étoilée proclame une fierté indécente occultant ces colonnes corinthiennes. A l’extrême droite, La Borsa de La Valette, prise il y a quelques mois, fait profil bas. Pas de drapeau flottant au vent. Et des colonnes se démarquant bien de la force obscure prête à les engloutir. Entre temps, les bourses se sont effondrées et les étoiles se sont repliées sur elles-mêmes. Et l’on comprend alors peut-être pourquoi elles sont ainsi conçues. Ces piliers ne jouent ni plus ni moins que le rôle de ces colonnes métalliques installées, en dernier recours, dans une maison dont le plafond, et le reste, menace de s’écrouler… Des béquilles. Et l’image centrale alors ? La statue ? Elle (il s’agit ici d’une reproduction) trône au sommet de la Chicago Board of Trade, un magnifique bâtiment Art Déco, où l’entrée en colonnade est réinterprétée de façon plus rectiligne. Il y a quelque chose d’étonnant dans cette sculpture de Cérès (près de 10 mètres de haut en vrai). Son visage n’est qu’une boule de métal sans nez, yeux, bouche, oreille, qui ne sent rien, ne voit rien, n’entend rien, ne dit rien, et de fait, n’a pas d’identité. La raison invoquée par son créateur croyant à l’époque qu’il n’y aurait pas bâtiment plus élevé dans la cité d’Al Capone ? Personne n’en verrait les détails à cette hauteur. Omission symbolique a posteriori et faisant de ces places indéchiffrables des endroits désincarnés où l’équilibre du monde est menacé…
Un fond pas très profond en apparence, mais très lointain, pour une forme un peu difforme à première vue, mais très jolie… A une rotation de 33° près dans le sens anti-trigonométrique, j’ai bien failli la manquer, cette rencontre élémentaire, obnubilée comme je l’étais par ce parterre – doit-on dire « pareau » ou « sureau » dans des […]
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Share on FacebookLa composition d’une photo doit-elle s’expliquer, ou faut-il laisser le doute et les interrogations monter dans l’esprit du regardant ? Là, à Ground Zero, j’ai passé plusieurs minutes à jouer avec cette frontière invisible, ce parallélépipède métallique aux airs de miroir… Surface réfléchissante et donc, fondamentalement, déroutante. Et encore plus quand l’objectif est de faire […]
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