Vous aurez peut-être un peu de mal à me croire mais figurez-vous que cet homme là, caché derrière des blocs de pierre en quasi tenue de camouflage si ce n’était ce T-Shirt rouge, est le premier, au monde, à utiliser un péricamérascope. Cet appareil ultra-moderne et relativement discret permet de prendre une photographie, à distance, sans être vu et surtout – et c’est là que réside la grande nouveauté par rapport au banal zoom – à un angle de vue compris entre 45° et 90° (le tout se règle avec une petite molette à côté du déclencheur). Ainsi, tel que vous le voyez cadrer, il est en réalité en train de prendre une photographie des quatre-cinq personnes en bord de mer (en effet, il y a une légère incertitude sur le nombre, l’une d’entre elles étant dans le parfait prolongement de l’autre). D’ailleurs, le petit gars en vert a l’air de se douter de quelque chose, ce qui pourrait laisser entendre qu’il y a encore quelques améliorations à apporter à cette belle innovation…
J’aimerais savoir si quelqu’un a pris une photo de moi en train de prendre une photo de cette femme en train de prendre une photo de son ami dans cette position on ne peut plus naturelle qui m’inspire une pensée profonde : ne sommes-nous pas tous devenus des professionnels de la mise en scène de nous-mêmes ?
Cela m’a sauté aux yeux il y a 6h32 de cela… Au même titre que le musicien accorde et ajuste son instrument à l’atmosphère, au volume, à la température de la salle où il s’apprête à jouer, le photographe – moi dans le cas présent – procède à l’identique avec sa boîte à images. Il repère l’espace, sonde la lumière, jauge les angles, interroge sa balance, ajuste sa sensibilité, capte les couleurs… Ainsi se met-il au diapason lui aussi pour être fin prêt une fois le la donné.
La démocratisation du voyage, que la diversification des modes de transport, leur efficacité (assimilée à leur rapidité pour notre époque) et la baisse des prix de l’aérien ont favorisé, a du bon : nous sommes plus nombreux à pouvoir découvrir des ailleurs, qu’ils soient proches ou lointains, et c’est une véritable chance car ces sorties hors de nos frontières habituelles nous enrichissent et les souvenirs accumulés au fil de ces évasions sont sans conteste ceux que nous emporterons avec nous, plus que la commode en marbre. La démocratisation de la photographie, à laquelle l’apparition du numérique et la métamorphose des téléphones portables en boîte à images hyper-perfectionnées ont massivement contribué, est aussi une bonne chose : nous sommes plus nombreux à déployer nos talents créatifs, quels qu’ils soient, et c’est toujours un moment agréable que de pouvoir partager ses impressions avec d’autres ou se de replonger dans ses errances passées, images à l’appui.
La combinaison des deux – il y a de plus en plus de voyageurs, ou touristes, et ils prennent de plus en plus de photos – n’est pas une très bonne nouvelle pour autant car elle a fait naître une tendance voire un besoin assez déconcertant : celui de toucher, tâter, palper ce que l’on est venu voir et immortaliser cet instant avec autant de fierté que si l’on avait été le premier homme à marcher sur la Lune. De telle sorte que la ville, le monument, la sculpture ou le parc pour lequel nous avons fait tous ces kilomètres en espérant pouvoir profiter de chacun dans de bonnes conditions, c’est-à-dire, un peu naïvement, dans l’intimité d’une relation à deux, disparaît progressivement et inéluctablement derrière des essaims d’humains se remplaçant les uns les autres dans un cycle continu ne s’interrompant qu’à la nuit tombée et encore… Essaims qui s’agglutinent donc à nos souvenirs et à nos cartes mémoire comme des éléments constitutifs, inattendus et un brin incongrus du voyage.
A l’origine, si je me suis approchée de ces anciennes Halles reimoises, c’est pour leur architecture étonnante me rappelant vaguement celle du CNIT à La Défense, ainsi que pour leur désespérant – et en même temps, attirant – état de délabrement et d’abandon. Pour une raison qui m’est encore obscure, j’aime ces bâtiments, maisons, immeubles qui semblent être passés à deux doigts de l’apocalypse. Ce n’est pourtant pas cet aspect-là qui me revient à l’esprit aujourd’hui dans ce face-à-face avec cette image. Ce jour-là, presque lointain, une autre catastrophe a en effet été évitée de justesse et c’est à elle que cette photo fera désormais écho.
A l’époque, j’avais pour habitude de tenir un peu mollement mon nouvel appareil numérique, ce qui m’avait déjà valu plusieurs frayeurs suite à des cadrages un peu tarabiscotés. Un peu trop confiante en mon équilibre, je snobais insolemment les divers avertissements que l’on me lançait. Bizarrement, ce dimanche-là, me retrouvant en émoi au pied de ces Halles désertées à l’accès bloqué par de grandes grilles métalliques, j’ai, pour la première fois, obéi à l’injonction : j’ai passé la petite cordelette de mon appareil autour de mon poignet droit. Pressée de capter ce qui ne bougeait pourtant plus depuis des années déjà probablement, j’ai levé le pied pour le poser juste devant la grille. Sans faire attention à ce qu’il y avait au sol… J’aurais dû. Une belle plaque de mousse mouillée ! Mon pied a dérapé, mon bras droit s’est affolé pour rétablir l’équilibre, ma main droite – tenant la boîte à images – s’est instinctivement ouverte pour attraper quelque chose de fixe… En 1 seconde 32 centièmes – la durée du fâcheux épisode -, j’ai vu sa courte vie défiler et toutes les images faites avec lui projetées en grand dans l’immense marché parabolique. Je l’ai vu s’envoler au beau milieu des Halles du Boulingrin et exploser avec fracas sur ses dalles de béton. Je me suis vue dépitée, abattue, énervée d’avoir causé la fin prématurée d’une amitié naissante… Heureusement, rien de tout cela n’est arrivé puisque je l’avais accroché à mon poignet ! La cordelette s’est tendue… Au bout, l’appareil, vacillant, titubant, sonné mais sain et sauf ! Voilà ce dont je me souviens en regardant cette photo. En revanche, je ne sais toujours pas pourquoi, comme toutes les fois précédentes, je n’ai pas envoyé valser le conseil que l’on me donnait…
… désolée, j’ai été coupée ! On m’a perquisitionné mon appareil… « Madame ? » La première fois, je n’entends pas… Bien que, en toute logique, le fait d’écrire que je n’entends pas la première fois prouve que j’ai, au contraire, bien entendu… Sinon, je ne saurais pas qu’il y a eu une première fois. Je n’ai simplement pas fait la corrélation entre le « Madame ? » vaguement perçu et ma petite personne. Donc, très bien, j’ai entendu. Vous êtes durs en affaire ! Bref. « Madame ? » pour la deuxième fois. Je me tourne. C’est un type de la sécurité. C’est marqué en gros sur son T-Shirt. Il me parle avec les mains, me désigne mon appareil photo et me fait signe de venir le voir. Je suis coincée dans les gradins mais réussis à me faufiler. Je sais ce qui m’attend.
« C’est interdit les appareils photos. Vous devez le déposer », me dit-il calmement. Et moi, naïvement, voire bêtement, « Ok, j’arrête de faire des photos, je le range ! » Pas convaincu une nanoseconde… « Non, non, suivez-moi ! » Je le suis. Dans l’intervalle, tous ceux qui, dans les parages, avaient encore leur appareil photo en bandoulière le rangent discrètement. Je suis déjà en train d’imaginer toutes les photos que je ne pourrai pas faire… Je souffre en silence. « C’est considéré comme un appareil pro » me dit-il, laconique. « Ah bon ! » dis-je un peu en riant, sachant pertinemment que ce n’est pas le cas, sans vouloir te mettre en boite mon cher compère. Je passe sur les petits appareils si perfectionnés qu’ils font des merveilles ainsi que sur tous ces portables utilisés comme caméra… J’attends simplement mon tour. Trois personnes sont devant moi. Jugées pour le même crime. Derrière des barreaux, un gentil type bedonnant a pour mission de collecter les objets du délit – comme s’il s’agissait de véritables armes -, de les étiqueter soigneusement, de les poser sur une étagère de fortune les uns à côté des autres, et de nous dire : « Surtout, ne perdez pas votre petit papier ; sans lui, vous ne pourrez pas le récupérer ! » en montrant notre précieux prisonnier. Je retourne à mon siège avec l’étrange sensation de me retrouver sur une plage nudiste. Il me manque quelque chose autour du cou, dans mes mains, sur mon œil… mais ça passe, je m’en passe… je repasse en revue les images que j’ai eu le temps de faire, et cela me satisfait. Des images qui, a priori, n’auraient pas inquiété les équipes promotionnelles… Comme si j’allais prendre ce qui se passait sur scène ! Quelle idée !
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Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
Les premiers pas dans une ville inconnue sont décisifs. Ils sont un peu comme les premières impressions lorsque l’on fait la connaissance d’une personne. Elles s’ancrent durablement en nous. Et tout ce qui suit ne semble avoir d’autre but que de les confirmer ou de les infirmer. Souvent, de les confirmer d’ailleurs. Je vous laisse […]