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Prenez un quartier désaffecté, abandonné, malfamé, dangereux, oublié, livré à lui-même, en résumé, une petite jungle underground à la surface de la ville où personne n’ose aller volontairement sauf ceux qui y vivent et qui aimeraient probablement en partir s’ils le pouvaient. Conséquence de cette micro fiche d’identité qu’aucune agence immobilière ne mettrait en vitrine : s’y installer ne coûte rien. Ou si peu. Un argument de taille pour une population qui n’a peur de rien, et surtout, pas toujours le choix : les artistes. Les inconnus. Ceux en devenir, en quête de reconnaissance, ou de connaissance tout court. Voilà donc qu’en débarquent quelques uns, sans le sou, en quête d’espace et de liberté dans ces maisons aux vitres cassées ou ces immeubles chancelants. Ils créent en vivotant, se constituent en petits groupes… Le mot circule, et bientôt, d’autres artistes arrivent et s’installent dans ces lieux désertés par tout être sensé. Le temps passe et cette nouvelle population avant-gardiste, cool, visionnaire fait naître de nouveaux besoins : des bars, des cafés, des lieux où se retrouver… Alors, des bars, des cafés, des lieux où se retrouver sortent des décombres et viennent ressusciter des rez-de-chaussée murés… Les artistes s’y retrouvent, mais aussi leurs amis habitant d’autres quartiers et bravant héroïquement le danger…
Puis, les artistes produisant – de l’art -, un autre besoin émerge : celui de montrer ce qu’ils font. Des galeries, des théâtres, des espaces communautaires sortent de terre, avec leur cortège de restaurants, cafés et autres. On en parle dans la presse. Petit à petit, l’extérieur se déplace vers ce nouvel intérieur, ce nouveau quartier branché. Branché car en mouvement, dynamique, créatif. L’antre reprend des couleurs, du bleu, du rouge, du jaune, du vert et aussi celle de l’argent. Les vitres brisées sont remplacées, les portes sont repeintes, les murs sont ravalés, le quartier fait peau neuve. Peu à peu, les artistes ne sont plus les seuls à l’adopter. De nouveaux commerces ouvrent pour satisfaire ces nouveaux arrivants, la circulation reprend, l’obscurité ne fait plus peur. Des promoteurs immobiliers sentent le vent tourner, font des plans sur la comète… Et les comètes, ça fait toujours rêver. Quel qu’en soit le prix. En quelques années, grâce aux artistes pionniers, ce qui était un rebut de la ville s’est transformé en quartier bien plus qu’honorable. Un quartier où il fait bon vivre, légèrement bobo. C’est ainsi que Brooklyn ou SoHo à New York ont gagné leur chic actuel (et leurs prix bientôt inabordables), c’est ainsi que le quartier d’Alberta Street à Portland a totalement changé de visage en 5 ans. Il m’est d’avis qu’une prime devrait être reversée aux artistes pour leur rôle indéniable dans la réhabilitation de ces lieux. Evidemment, l’histoire ne dit pas vraiment ce qui est arrivé à leurs anciens locataires. Certains ont réussi à rester, ravivés par la nouvelle flamme animant les alentours, d’autres ont dû partir, poussés par la nouvelle pression immobilière… La place reste encore accessible, même pour des artistes…