Comme il est parfois difficile de savoir si certaines découvertes scientifiques sont réellement des progrès pour l’homme ou pas. L’information circule, il serait « bientôt » possible, via une technique bien particulière, de détecter un cancer grâce à la simple analyse d’une goutte de sang ou d’urine qui renfermerait de l’ADN tumoral… Evidemment, c’est une excellente nouvelle car cela permettrait, notamment, d’initier des traitements de façon plus précoce, d’augmenter les chances de succès des thérapies et donc de sauver de nombreuses vies.
Mais une partie de moi ne peut s’empêcher de penser aux dérives que pourrait engendrer cette petite révolution. Une partie de moi est immédiatement propulsée dans une salle obscure, bercée par une lancinante et répétitive composition de Michael Nyman, et totalement absorbée par des peaux mortes, des cheveux, des cils venant s’échouer avec fracas sur le sol carrelé de la maison du « dégénéré » Vincent Freeman. Bienvenue à Gattaca ou bienvenue dans un monde eugénique, où l’analyse d’une simple goutte de sang donc détermine votre avenir… Fiction, fiction… Pas si sûre quand on sait, par exemple, que plusieurs sociétés proposent déjà des tests ADN, bien sûr controversés et mis en doute, « prédisant » l’espérance de vie de ceux qui s’y prêtent. Et si, dans un futur proche, avant toute embauche ou toute souscription à une assurance, on nous demandait de passer par l’infirmerie pour faire une anodine petite prise de sang ? Question indépendante d’une autre, qui touche à la définition même de l’homme : comment vivre en sachant quand on va mourir ?
– Super, je vais enfin pouvoir avancer sur mes projets ! (vraie motivation là !)
– Ok, mais d’abord, je fais des pancakes ! (ça commence comme ça…)
Autour des pancakes…
– Tu pourrais créer une bibliothèque là, et puis enlever ce canapé qui ne sert à rien, ça ferait de l’air… Ah oui, et des poufs ! Il te faut des poufs ! (mais de quoi tu te mêles ?)
Plusieurs poignées de minutes plus tard…
– Bon, il serait temps de s’y mettre ! (c’est ça, on y croit…)
Sur la liste, pour me donner bonne conscience, je raye quelques lignes.
– ça, c’est fait ; ça, c’est fait ; ça, c’est fait ! (pas trop quand même, ce ne sera pas crédible)
Zut, le téléphone sonne.
– Bla bla bla, bla bla bla, oh c’est super !, bla bla bla, bla bla bla, j’attends de voir les photos ! Bon, allez, j’ai des choses à faire… (ah ah ah ah… elle est drôle !)
Hop, on s’y remet…
– Mais, j’y pense, je ne me suis pas encore douchée ! Bon, allez, vite fait, une douche de 5 minutes top chrono et j’y retourne. J’ai encore le temps de boucler ça avant la fin de la matinée… (l’espoir fait vivre !)
Propre et prête. Ouverture des fichiers. On y est presque…
Et rezut, le téléphone sonne. Ils se sont donnés le mot oubien ?
– Et voilà, maintenant, c’est l’heure de préparer le déjeuner. Les carottes, c’est long à cuire ! (la bonne excuse ! personne ne t’oblige à les regarder non plus !)
Bon, cette fois-ci, plus de distraction.
– C’est fou cette météo ici quand même, un jour il fait beau, le lendemain il pleut… (et c’est reparti !)
Un nombre non négligeable de fichiers ouverts.
Et Internet. Damned.
– Oh, elle est pas mal cette conférence… C’est quand ? Demain, 13h… Hum, qu’est-ce que je fais demain à 13h ? Bon, il faudrait que j’avance sur cette histoire, mais je pourrai le faire plus tard… et puis, je vais apprendre plein de choses ! Ok, let’s go. (plus tard, plus tard, paroles, paroles, paroles…)
Les carottes sont cuites.
– Allez, traduction. Ah oui, et j’y vais ou pas, ce soir à cette expo d’étudiants ? Je ne sais pas… C’est pas sérieux… (si encore, il n’y avait que ça…)
Quelques pieds et mains de minutes plus tard.
– Traduction finie ! Corrections aussi ! Deux bonnes choses de faites. Bon, maintenant, quoi ? Voyons la liste… Hum, non, ça je ne vais pas avoir le temps (il n’est que 17h…) et puis, il faut que j’aille faire des courses. Ce serait bien de marcher un peu quand même…
A la croisée des chemins…
– L’expo ? Je ne sais pas… C’est loin, et puis le ciel est bien gris (n’importe quoi !). Ah, je sais, je vais aller voir pourquoi ils ont installé cette immense tente dans le parc !
Je ne sais toujours pas.
La mer est calme. Les kayakistes en profitent. Il se ruent par dizaines dans l’eau. La ville est enveloppée dans un silence de soir de match de hockey. Elle tourne au ralenti. Elle aussi.
– Mais pourquoi ce pain est-il aussi cher ? Bon, je vais ailleurs ! Il est quelle heure ?
– Il fait déjà nuit ? Je n’ai pas vu passer la journée ! Pfff, et puis, je n’ai pas eu le temps d’avancer sur cette histoire de liens ! Bon, demain, sans faute !
Je procrastine, tu procrastines, nous procrastinons… Ou l’art de remettre au lendemain, ou pire, au surlendemain, ce que l’on peut faire le jour même. Procrastination. 8 870 000 occurrences, un groupe de recherche au département Psychologie de l’université Carleton à Ottawa (leurs recherches n’avancent pas très vite… ah ah ah), 11 étapes qui conduisent à entrer dans ce cercle vicieux extrêmement énervant, quelques raisons probables pour l’expliquer (dont des processus biologiques, ce qui ôte toute responsabilité face à cette non-action ; la peur du succès, de l’échec…), et même une journée mondiale (bon, il y en aussi une pour l’ingénierie de l’avenir et les écrivains en prison !)… C’est rassurant de se dire que tout le monde, un jour,
– Ah tiens, il faudrait que je réponde à ce mail et que je pense à mon duo du jour…
Il est des questions que l’on se pose chaque jour – hum, quelle cravate pourrait bien aller avec cette chemise ? (même si, soit dit en passant, ni l’une ni l’autre n’est nouvelle) – et d’autres que l’on ne se pose jamais (et qui, par principe, n’ont pas de réponse au moment où on se la pose). Si je donnais un exemple, je me contredirais puisque j’évoque cette famille de questions que l’on ne se pose jamais… Et le mot s’arrêterait là. Trop facile. Donc, un exemple. Prenons ce beau poisson aux reflets argentés. Raide mort sur une couche de glace que l’on devine épaisse, qui a aussi capturé quelques bulles alors même qu’elles tentaient désespérément de remonter à la surface. De l’air ! Il y a même un sac en papier ! La glace est impitoyable. On ne le voit pas ici, mais il faut me faire confiance : cette portion de glace fait partie du lac Michigan. Il est là, tout autour, partiellement gelé.
Et sur les bords du lac, près de la marina, quelques poissons, surgelés, jonchent mystérieusement le sol. Comme surpris par la glace alors qu’ils faisaient un triple salto arrière. Le temps d’imiter leur ami Flipper (ils ont vu la série dans le bocal), la surface de l’eau gelait et les voilà qui tombaient à pic (à glace, ah ah ah) sur une masse fraîchement solidifiée, incapables alors de regagner les eaux encore liquides du lac. Congélation lente et sans douleur (poisson assommé au moment de sa chute) pour ces vertébrés aquatiques dont ne veulent même pas les mouettes. Elles savent bien qu’il ne faut pas consommer de produits déjà congelés… D’où la question que l’on ne se pose jamais : comment font les poissons pour (sur)vivre sous une épaisse couche de glace, sans eau (en tout cas, moins), sans chauffage (aucun échange avec l’extérieur), sans électricité (le soleil ne peut plus passer à travers) et forcément moins de vivres ? Car c’est sûr, ils peuplent toujours le fond des lacs figés puisque certains les pêchent… Alors ? Des idées ?
De quoi a-t-on réellement besoin pour vivre ? D’un toit au-dessus de la tête qui saura nous rassurer dans les moments de doute, d’une fenêtre sur l’océan qui ouvrira à l’infini le champ des possibles ? Faut-il vraiment choisir entre l’un ou l’autre ?
A l’heure où beaucoup sont à dénicher des cœurs dans des choux-fleurs, des nuages de lait ou même des miches de pain, c’est une tête de mort qui me saute aux yeux au cœur de ce tronc scié de dépit… N’est-ce pas là un fait bien étrange, qu’un arbre, qui n’est plus, fasse ainsi apparaître la tête d’un humain, qu’il n’a jamais été, mais a fait qu’il n’est plus, sur ses plus jeunes cernes ? Peut-être un clin d’arbre pour nous rappeler que, quoi qu’il en soit, nous finirons tous entre quatre planches de son bois…
… cet endroit est fascinant ! N’allons pas pour autant dire qu’il est perdu au milieu du désert, même si c’est un peu le cas ; ni qu’il n’est pas très connu, même si Kolmanskop remporte certainement moins d’écho que Tataouine… Ce village fantôme est situé à quelques encablures ensablées de Lüderitz. Le point d’interrogation est toujours là ? Windhoek est la capitale de ce pays où, autrefois, on allait à la pêche au diamant. Certains mineurs croient d’ailleurs toujours au miracle à Kolmanskop, officiellement abandonnée au mitan des années 50 après 42 ans de vie plus ou moins intense, ou plus précisément, après 10 ans de rêve éveillé et 32 années de désenchantement continu. A l’époque faste, la ville a même été la première de l’hémisphère sud à équiper son hôpital d’une machine à rayon X et la première d’Afrique à se doter d’un tram.
Passé ultra moderne. Solitude présente. Entre les deux, le Namib a fait son chemin. Et quand le désert avance, c’est la vie qui s’en va. (!) Et qui revient, parfois, des années après, sous une autre forme, avec d’autres rêves. Non pas celui de trouver une de ces précieuses pierres mais de pouvoir découvrir avec ses propres pieds, avec ses propres yeux, avec son propre cœur curieux cet univers qui s’effrite, s’effondre, se craquelle de tous côtés, se fait engloutir, avaler par le sable, et même transpercer par les rayons du soleil, qui, lui, comme demain, ne meurt jamais. Contrairement aux diamants, faussement éternels…
Il est étonnant de voir à quel point cette image de rail attaqué par la rouille avec ses traverses bien parallèles, paraissant à peine posé sur le sable ocre et allant se fondre dans un horizon blanc énigmatique ressemble à la vue aérienne nocturne et électrifiée d’Impression soleil levant. Pourtant, rien de plus opposées que ces deux représentations de la vie.
Si la photographie d’hier incarnait l’urbanisme dans toute sa démesure et laissait deviner une forte activité humaine, celle-ci ne montre rien. Cette voie de chemin de fer est perdue au milieu du désert du Namib. Il n’y a tellement rien autour que si l’on regarde à gauche et à droite avant de s’en approcher, ce n’est pas pour s’enquérir de l’arrivée éventuelle d’un train mais plutôt pour tenter de voir où disparaissent ces lignes. Tout au plus, trouve-t-on des poteaux et un câble électrique courant en parallèle, ainsi qu’une route, rectiligne, suivant le mouvement. Trois camarades d’errance, trois traits d’union silencieux entre quelque chose et quelque chose. Un vide, un trou noir, un néant qui aspire, inspire et fascine autant que la ville grouillante, bruyante et saturée. Et au final, ce sont ces bouts de métal et de macadam ardemment chauffés par les rayons d’un soleil capricorne filant droit comme l’honnêteté qui (trans)portent une vie qui ne fait que passer…
Il semblerait que regarder chez « les gens » soit une spécificité française. Je précise : ce n’est pas regarder les gens, et donc faire preuve de voyeurisme, qui importe mais plutôt voir comment ils ont décoré leur bien ! Avec goût ou pas. Tout cela étant bien évidemment très subjectif ! Cette curiosité vis-à-vis de l’aménagement intérieur serait donc culturelle. Et une activité exclusivement nocturne, les habitations devant être rétro-éclairées pour être visitables, comme dans La métamorphose, la mienne, loin d’être kafkaïenne.
Ceci dit, cette manie ne s’applique pas uniquement aux antres des particuliers, mais à toute fenêtre donnant sur un monde nouveau et se donnant à voir. Ainsi en est-il de cette fenêtre de bureau moderne au faux plafond banal blanc tacheté de gris, aux néons aveuglants et grésillants et où l’on imagine sans peine des dizaines de personnes retranchées derrière des petites cases-bureaux ne se distinguant que par le numéro qui est plaqué dessus. Face à cet a priori négatif, voir ces ballons de baudruche colorés accrochés à la vitre grâce à du bolduc et à la porte d’une armoire métallique, preuve d’une fête passée voire en cours, donne instantanément une note d’humanité au lieu. On entend alors les éclats de rire, les chœurs de « Joyeux Anniversaire », la musique d’ambiance mise par l’un des membres de l’équipe sur son PC en fête, les échanges de potins sur le gars du 6e qui s’est enfermé avec… Bref… Tout d’un coup, en un clin d’œil, tout cela prend vie… Et on se dit que cette manie, d’où qu’elle vienne, n’est pas forcément un défaut !
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
Il y a toujours une crainte, à revenir en des lieux déjà foulés, de se répéter et donc, à mon sens, de s’ennuyer. Plutôt que de creuser un même sillon, de perfectionner une voie, je préfère en imaginer et en explorer une autre. Et, de fait, être constante dans mon inconstance… ce qui est tout […]