J’arrive après le drame. Il en est un qui a en effet dû passer un mauvais moment même si le forfait ne semble pas avoir été sanglant. Une pauvre bête a probablement été attrapée par surprise par l’un des grands corbeaux se chamaillant le ciel canadien. Elle goûtait tranquillement à la poudreuse quand une masse noire aux ailes déployées s’est abattue sur elle, s’approchant si près et si vigoureusement de la surface du sol qu’elle y a laissé l’empreinte de ses plumes.
Et au cœur, une percée dans la neige légère. Une ombre. Presque une tombe. On le voit d’ici, ce sombre volatile arriver en trombe, poussant son cri rauque à l’instant fatal, les serres en avant pour agripper sa proie dès le premier passage. Un corbeau, de mauvaise augure dans certaines parties de l’ancien monde, à la symbolique autrement plus positive pour les peuples des premières nations puisque certains mythes en font le créateur du monde et de l’homme. Autant dire que ce dernier n’a qu’à bien se tenir…
Quand deux photographes se croisent, c’est un peu comme deux motards qui se retrouvent au feu. Ils jaugent la bécane de l’autre, entament, souvent, une conversation, et lorsque le feu passe au vert, celui qui possède la moto à la cylindrée la plus élevée donne, en général, un bon coup d’accélérateur pour montrer que c’est bien lui qui a la plus grosse. C’est vrai, cette sympathie spontanée entre motards, cet échange verbal anodin m’ont toujours fascinée. Imaginez si les automobilistes commençaient à s’apostropher – aimablement, j’entends – à l’arrêt, ou si ceux marchant en Nike tapaient la causette sur le trottoir, cela n’en finirait pas !
Mais, c’est faux. Deux photographes qui se croisent ne se parlent pas forcément. En revanche, le regard vers l’appareil est un vrai constat. Parfois du coin de l’œil seulement. Le plus amusant est, bien sûr, de se prendre en flagrant-délit de coup d’œil indiscret sur la marque, le modèle, le type et son porteur… Ceci dit, un autre télescopage l’est peut-être encore plus. Amusant. Et se produit lorsque deux photographes se retrouvent au même endroit avec cette sensation délicieuse d’avoir trouvé un paysage, une perspective, une scène correspondant à leur quête, leur thème, leur goût, et avec lequel ils savent qu’ils pourraient passer des heures sans se lasser. Sauf que deux photographes ne peuvent décemment pas avoir les mêmes envies au même moment. Donc, la première conséquence de cette simultanéité inopportune est qu’ils évitent très soigneusement de se regarder. Cela briserait le moment de communion qu’ils croient ou essaient d’avoir avec l’espace. Par chance, quand deux photographes se retrouvent au même endroit, leurs différences intrinsèques sont suffisantes pour qu’ils soient, en fait, attirés par des éléments distincts.
C’est exactement ce qui s’est produit dans ce sombre couloir… Si mon camarade d’appareil s’est révélé totalement subjugué par un puits de lumière aux formes très géométriques, tournant autour comme un lion avec sa proie, j’ai instantanément préféré ce qui se passait de l’autre côté, sur ce plafond de lattes couleur ivoire, plastifiées et, de fait, réfléchissantes. Des silhouettes de marcheurs disciplinés valsant, aux mouvements saccadés, découpés, décomposés. Du Muybridge tronqué ! Rien ne dit, toutefois, que je ne me serais pas attardée sous la lumière aussi s’il n’avait été là…
Avec l’hiver, les buissons ardents séparant le chemin du fleuve se sont mus en de frêles brindilles. Des petites tiges caduques et figées s’extrayant tant bien que mal d’une neige légère mais envahissante, et signalant, par leur présence, tel un acte de bienveillante résistance, une frontière désormais invisible et impalpable entre la terre et l’eau claire.
Totalement prise de court, c’est le moins que l’on puisse dire… Elle voletait, nonchalamment, au dessus d’une flaque quand, sans crier gare, une vague l’a saisie d’effroi. En quelques minutes, la glace s’est agglutinée autour d’elle, créant un épais pays-sage dont elle n’allait, malheureusement, pas réussir à s’échapper. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. Une bulle d’air a, en effet, bien plus de ressources que l’on ne le suppose. Comprenant malgré tout rapidement ce qui lui arrivait, elle a pris une grande respiration pour pouvoir rester en apnée un maximum de temps. Au fur et à mesure que l’atmosphère se durcissait autour d’elle, elle exerçait une pression inverse de toutes parts, pensant être suffisamment puissante pour repousser les assauts du gel, bombant le torse, se créant des jambes pour mieux courir et des bras pour battre l’air… La riposte du funambule. Celle-là même qu’elle avait apprise étant petite et qu’elle n’avait jamais eu, fort heureusement, la nécessité d’essayer. Cela n’a pas suffi. Reste un mince espoir… Dans quelques jours, quand les glaces fondront, si elle a pris suffisamment d’air, la métamorphose pourra s’opérer dans l’autre sens et la bulle reprendra son chemin dans les airs, comme si cette hibernation forcée n’avait pas existé…
Il n’y a pas si longtemps, j’ai appris que, depuis quelques années, les écoles de piratage informatique poussaient comme des grains de riz en Chine. Cette institutionnalisation de la violation de territoire, même virtuel, m’a laissée un peu pantoise, mais m’a aussi arraché un large sourire. Quel monde étrange que celui dans lequel nous vivons. Cela pourrait donner lieu à une nouvelle version de l’Ecole des fans : « Et tu veux faire quoi quand tu seras grand ? », « Hacker » répond le petit en regardant l’invité du jour, Robert Morris, celui qui a créé, avec de bonnes intentions précisons-le, le premier ver sur Internet en 1988, paralysant plusieurs milliers d’ordinateurs, et qui, depuis, porte son nom. « Cela tombe bien » répondrait une version geek de Jacques Martin, « Robert Morris vient d’ouvrir une école de pirates ! ».
C’est comme les langues, plus tôt on commence à les apprendre, plus vite on les maîtrise… Si à 5 ans, le piratage consiste surtout à accrocher un drapeau noir avec une tête de mort à l’arbre du jardin, à se fabriquer un crochet, à mettre un bandeau sur l’œil, un faux perroquet sur l’épaule et à crier « A l’abordage ! » à chaque fois que quelqu’un passe la porte d’entrée, à sept ans, le grand jeu est de changer le mot de passe d’accès à la messagerie pro de papa pour le voir s’énerver sur sa machine en marmonnant dans sa barbe : « Mais je suis sûr que c’est ça ce pu!?x!?? de mot de passe ! Je ne vais pas oublier la date de naissance de mon fils, quand même ! ». Les chères têtes blondes ont bien changé… Ce qui se vérifie aussi aisément en lisant les journaux. Un jeune de 15 ans arrêté. Il aurait participé à la cyberattaque mondiale liée à Wikileaks et il est français. C’est presque une fierté. Aujourd’hui, un autre titre attire mon attention : « Des hackers veulent imposer la démocratie ». L’accroche m’intrigue, je clique.
L’article évoque un mouvement, qui se fait subtilement appeler « Anonymous » et annonce défendre les libertés sur Internet. Composé d’internautes (15-25 ans) disséminés un peu partout dans le monde, le groupe part à l’assaut de certains sites Internet ciblés contre lesquels ils lancent une attaque toute simple : le déni de service. Autrement dit, provoquer de nombreuses connexions simultanées sur un site ciblé, ce qui le rend temporairement inaccessible, un statu quo ayant de réels impacts. L’Eglise de scientologie fut leur première victime il y a 3 ans. Une blague. Mais, depuis quelques mois, leurs actions prennent un tour plus politique : blocage de sites gouvernementaux au Zimbabwe, en Tunisie et maintenant en Egypte… La fiction toujours un peu à l’esprit, je ne peux m’empêcher de penser à deux trois films au fil de ma lecture. Le fait que ces anonymes se présentent avec le masque de V (personnage principal du comic adapté au cinéma, V for Vendetta), même si c’est symbolique, vient appuyer le statut un peu ambigu de ce groupe : la fiction comme repère ? Les films ? 8th Wonderland de Nicolas Alberny et Jean Mach (2010 mais réalisé en 2008) ou encore le film d’animation Summer Wars de Mamoru Hosoda (2009). Les similitudes avec le premier sont particulièrement étonnantes et mériteraient quelque approfondissement. Evidemment, ceux qui se frottent déjà les mains, ce sont les éditeurs de logiciel de sécurité au sein desquels opère une nouvelle espèce de chercheur, le « chercheur de menace »… Presque aussi beau, mais nettement moins poétique, que le casteur d’arbre. Bref, du pain béni pour eux puisque cette nouvelle forme de guerre des étoiles justifiera, à l’avenir, le développement de solutions de sécurité toujours plus coûteuses… De quoi entretenir la machine encore longtemps !
30°C d’amplitude thermique entre l’intérieur et l’extérieur. Le choc. Les métaux transpirent. Les verres s’embuent, jusqu’à s’opacifier. Le temps de la réconciliation, le monde disparaît dans un flou massif gommant les moindres détails et nous rendant temporairement aveugles. Sensation de flottement, d’errance entre deux mondes. Réveil post-anesthésie. On progresse à tâtons dans cet univers éphémère où les êtres croisés ne sont plus que de grossières formes sans finesse, à peine l’ombre d’eux-mêmes. Dans ce couloir que l’on devine étroit, la lumière vive nous guide alors jusqu’au miracle : on voit à nouveau !
Sournoise, la lumière, tapie dans l’ombre et affamée, les grignotait tous, les uns après les autres, en de parfaites bouchées rondes, sans qu’ils ne s’en rendent vraiment compte et ne s’en effraient…
Il semblerait que regarder chez « les gens » soit une spécificité française. Je précise : ce n’est pas regarder les gens, et donc faire preuve de voyeurisme, qui importe mais plutôt voir comment ils ont décoré leur bien ! Avec goût ou pas. Tout cela étant bien évidemment très subjectif ! Cette curiosité vis-à-vis de l’aménagement intérieur serait donc culturelle. Et une activité exclusivement nocturne, les habitations devant être rétro-éclairées pour être visitables, comme dans La métamorphose, la mienne, loin d’être kafkaïenne.
Ceci dit, cette manie ne s’applique pas uniquement aux antres des particuliers, mais à toute fenêtre donnant sur un monde nouveau et se donnant à voir. Ainsi en est-il de cette fenêtre de bureau moderne au faux plafond banal blanc tacheté de gris, aux néons aveuglants et grésillants et où l’on imagine sans peine des dizaines de personnes retranchées derrière des petites cases-bureaux ne se distinguant que par le numéro qui est plaqué dessus. Face à cet a priori négatif, voir ces ballons de baudruche colorés accrochés à la vitre grâce à du bolduc et à la porte d’une armoire métallique, preuve d’une fête passée voire en cours, donne instantanément une note d’humanité au lieu. On entend alors les éclats de rire, les chœurs de « Joyeux Anniversaire », la musique d’ambiance mise par l’un des membres de l’équipe sur son PC en fête, les échanges de potins sur le gars du 6e qui s’est enfermé avec… Bref… Tout d’un coup, en un clin d’œil, tout cela prend vie… Et on se dit que cette manie, d’où qu’elle vienne, n’est pas forcément un défaut !
Tomber par hasard sur un feu d’artifice hivernal est un luxe, qui justifie cette petite redondance d’éclats de lumières multicolores zébrant un ciel d’un noir profond en ce jour marqué d’une croix par les petits et les grands. Au-delà du spectacle céleste concocté avec minutie par les artificiers, c’est la musique composée par les explosions répétées des fusées, bouquets et autres cascades, et la vibration concomitante qui se propage dans nos corps fébriles qui rendent ces embrasements si magiques. Quand les uns ont les yeux éblouis rivés au plafond stroboscopique, l’amateur de photo à 5 pattes les a derrière l’œilleton, convaincu qu’il réussira, cette fois-ci, à maîtriser le chemin de la lumière. Une illusion, bien entendu ! Alors, autant laisser ces fines particules d’oxyde métallique en combustion parader librement devant les capteurs photoniques !
« Attention à la fermeture automatique des portes ! » Des doubles portes même ! Il y a toujours une légère angoisse à voir quelqu’un faire fi de cet augure qui se vérifie à chaque fois, et se jeter à corps perdu, comme si sa vie en dépendait, dans le train ambulant alors même que la sonnerie retentit… Surtout sur cette ligne 14 ! Elles en ont piégé des jambes, des sacs, des manteaux, des écharpes, ces pinces de Météor… Mais une fois installé en sa queue, les yeux rivés vers le passé, ce serpent de lumière offre un voyage galactique dans les entrailles de la Capitale.
« Attention à la fermeture automatique des portes ! » est une phrase que nous n’entendons jamais dans le métro montréalais. Non pas parce que le métro ne s’arrête pas en station comme celui en direction de Shell Beach dans Dark City, mais tout simplement, car ses portes se ferment sans crier gare ! Il n’y a pas ce cri strident ricochant de rame en rame pour inviter ceux qui veulent entrer et ceux qui veulent sortir à se presser, quitte à ce que soudainement transformés en rugbymen métropolitains, ils éjectent quelques transportés au passage. Le métro arrive, s’allonge sur le quai, les portes ouvrent leurs bras, à peine quelques secondes et les referment lentement derrière leurs nouvelles proies. Est-ce à dire qu’il règne ici une sorte de sérénité rendant totalement ridicule toute course vers une porte en train de se fermer ? Ou que l’on n’est pas à 5 minutes près ? En tout cas, cela apprend à attendre.
Musique originale de MétéoRythme : Coralie Vincent
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
Longer la plage dans un sens, puis, arrivés au ponton, là où l’on ne peut plus avancer, marquer un bref temps d’arrêt, se retourner, et l’arpenter dans l’autre sens, avec la même concentration, la même tête baissée, jetant parfois des regards absents d’un côté vers la ville, de l’autre vers l’horizon, jusqu’à ce que la […]