Cela procède exactement du même réflexe. Du même réflexe que quoi ? Que celui que vous avez lorsque vous marchez tranquillement dans la rue et que vous apercevez le bras tendu d’une personne, pointant une zone très précise. Le bras n’est pas une condition sine qua none et il suffit parfois d’un regard simple mais insistant dans une direction inattendue – en l’air, par terre – pour que vous soyez distrait. Instinctivement, même si vous êtes accompagné, absorbé, pressé, même si donc, votre mouvement est furtif, vous interprétez ce geste comme un appel et tournez la tête vers la direction indiquée tout en continuant à être accompagné, absorbé, pressé. Pour y découvrir quoi ? Une étoile filante déjà consumée, une petite fille saluant sa mère depuis la fenêtre du 4e, une limace orange perdue sur le macadam, un pigeon sans pattes accroché à un fil électrique par la seule force de son bec, une tête de mort sur la façade sculpturale d’une université, un magasin que, comme c’est étrange, vous cherchiez vous aussi, un pot de fleur emporté par un violent coup de vent, un arc-en-ciel entre deux immeubles…
Je vous laisse imaginer à quel point peut intriguer un couple penché au dessus d’un pont déserté (sauf par soi) reliant deux morceaux de forêt enveloppée dans une épaisse brume alors même que l’on est en plein mois d’août. Ont-ils vu passer quelque chose de suffisamment intriguant depuis leur voiture pour qu’ils décident de s’arrêter et de s’en extraire ? Forte de mon expérience du bras tendu ou du regard insistant – rarement pour rien -, cela semblerait plutôt logique… Pour en avoir le cœur net, je me suis donc à mon tour approchée de la rambarde avec l’appréhension d’une personne progressant à tâtons dans le noir. Je me suis penchée à l’endroit même où ils l’avaient fait quelques secondes plus tôt et j’ai regardé. Pour découvrir quoi ? Le lit évanescent, en grande partie asséché et rocailleux d’une rivière à l’eau glacée provenant d’une neige persistante ne consentant toujours pas à fondre massivement dans les hauteurs. Une curiosité toute saine finalement…
Non, non, je ne suis pas prise d’une soudaine fascination aviaire ! Tout cela n’est que conjoncturel (cf la cigogne malheureuse d’hier). D’ailleurs, je me souviens parfaitement m’être dit, en mettant cet oiseau dans ma cage photographique, que je ne prenais que très rarement ce genre d’images… J’entends, des piafs sur des branches. Mais, là, je ne sais pas, la tige sans vie brûlée par le froid, les herbes floues en arrière plan et dans un état similaire, la neige pas encore foulée, cette boule de poils… Je me suis laissée emportée par le lyrisme hivernal. Et les prouesses physiques de ce petit, de ce petit… j’aimerais pouvoir le qualifier, lui donner son vrai nom, mais je suis une fille de la ville plus familière des pigeons boiteux et des corneilles tempétueuses… Si un ornithologue passe par là, je veux bien m’instruire ! Bref, regardez-le, cet oiseau… On l’imagine frêle et fragile. C’est une erreur, une vue de l’esprit. En réalité, c’est une force de la nature : comment expliquer, sinon, qu’il puisse tenir sur cette tige chétive sans basculer en avant ou en arrière comme s’il faisait du trapèze et même qu’un si gros corps puisse être, toutes proportions gardées, porté par de si insignifiantes pattes ?
Cela m’a fait l’effet d’un puissant flash de lumière blanche, aveuglant et soudain qui, en une fraction de seconde, a fait disparaître ces scènes vaporeuses qui s’enchaînaient naturellement en moi, que j’observais inconsciemment avec bienveillance et dont j’attendais la suite avec une impatience incroyablement réelle : j’allais enfin savoir si c’était vraiment une baleine qui […]
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