Je me souviens parfaitement de ma réaction en débarquant sur cette plage de Waikiki : une étrange sensation d’être entrée dans une affiche publicitaire sans m’en rendre compte… Vous savez, de celles qui, en hiver voire aux prémices d’un été nommé désir, vous narguent dans les couloirs parfois suintants et glauques du métro parisien, tel un idéal inaccessible.
Tout relève tellement du cliché – les cocotiers et leurs ombres marbrant le sable blanc et fin, l’eau turquoise où l’on s’imagine déjà voir jusqu’à ses orteils posés sur un sol vierge, le ciel bleu ponctué de nuages dessinés au pinceau, les touristes nonchalants sur leurs transats, les parasols aux couleurs vives, la blanche colombe posée sur le rocher au premier plan… – que la supercherie paraît inéluctable. Où est le directeur de la photographie, la cantine des figurants, où sont les spots lumineux, les décorateurs et filtres de couleurs ? Où est la preuve que tout ce décorum n’a été créé qu’à des fins mercantiles ? Pour vendre des bikinis, des alcools forts ou des vacances de rêve… Nulle part. Aussi artificiel qu’elle semble l’être, cette image n’est que le fruit d’une lointaine réalité. Je suis dans le rêve de quelqu’un d’autre. Et je le saurai bien assez vite…
Il y avait déjà cette colline, aux herbes folles, se hissant rapidement vers les hauteurs pour surplomber cette petite mais néanmoins impériale cité de Nara et offrant une vue inégalable sur toute la vallée. Il y avait aussi ce ciel, ténébreux à souhait, charbonneux comme une mine de crayon, que venait percer aléatoirement un soleil têtu, accentuant encore plus le contraste avec la verte forêt primaire. C’était déjà trop… Trop de beauté, trop d’émotions et cette sensation d’être à un endroit particulier à un moment lui-même singulier… Une conjonction d’événements exceptionnels, une chance qui se goûte chaque seconde qui passe. Et puis, quelques notes de musique sont arrivées. Difficilement à cause du vent d’est. Mais persistantes. Un homme, une femme, de dos. Amarrés aux herbes hautes. Face à la forêt touffue vêtue d’un camaïeu de vert caméléon. Battus par les bourrasques. Une flûte à la bouche. Parallèles. En chœur, ils lancent quelques notes au vent, jouent pour Dame Nature, pour et contre les éléments. Est-ce une illusion d’optique ? La matérialisation de cette sensation à la fois déroutante et délicieuse de fouler le sol d’un autre monde, qui ne tourne décidément pas comme le nôtre ? L’image est réellement étonnante, quasi magique, mais, d’une certaine manière, c’est comme si elle faisait écho à cette imagerie poétique que l’on se crée, brique par brique, sur le pays du soleil levant…
Parfois, j’ai du mal à choisir entre des images à la fois similaires et totalement différentes. Ainsi en est-il avec ces volatiles avec ou sans moteur. La pureté du ciel et des nuages, le parallélisme des trajectoires, versus le même type d’équipée sauvage un peu plus massive relevé d’une pointe d’urbanisme et d’un clin d’œil à la lumière, celle intense du soleil couchant répondant à celle, éteinte, du lampadaire debout.
Cette photo a fait un bout de chemin avec moi, non que je l’aie imprimée pour une raison x ou y – on n’imprime plus ses photos de nos jours ! -, puis rangée précieusement dans mon agenda, que je n’ai pas, afin d’être en mesure de la regarder à toute heure de la journée, non, cette photo a fait un bout de chemin avec moi car, chaque semaine depuis des mois, elle figure, avec d’autres vétérans, dans le dossier que j’alimente en prévision de ces duos. Ainsi, chaque jour, comme un colonel, je passe en revue ces images et les nouvelles au garde-à-vous, en me demandant si c’est aujourd’hui son tour d’entrer en scène, pour la première et a priori, dernière fois. Jusqu’à présent, la place a toujours été dérobée par une camarade de pixels.
Que s’est-il passé alors ? Pas grand chose à vrai dire, juste une chanson, peu ou prou écoutée en boucle, parlant d’un homme qui marche, qui marche, qui marche, qui marche, et qui résonne, résonne, résonne, résonne dans mon subconscient. Quelques notes de musique qui offrent sa place à mon solitaire pensif déambulant sur cette passerelle de métal sur fond de fin de journée orageuse. Oui, dans mon imaginaire, le solitaire qui marche pense toujours. A ce même endroit, mon imaginaire donc, le chemin parcouru compte autant, si ce n’est plus, que l’objectif à atteindre. Mais peut-être n’est-ce qu’un leurre…
J-1, c’est ce moment, effroyable évidemment, où l’on réalise que l’exposition, le spectacle, le festival que l’on avait repéré(e) alors qu’elle (ou il) venait tout juste de commencer et que l’on voulait absolument voir va s’achever ou fermer ses portes dans les tous prochains jours. Voilà que tout d’un coup, il faut courir musées et […]
Share on Facebook8 Share on Facebook
Share on Facebook8 Share on Facebook
Share on Facebook