En arrivant là, après avoir été secouée quelques jours dans un bateau traînant une mauvaise réputation de bouchon, au sommet de cette colline au bout du bout du monde, peut-être au bord de la Baie de Londres ou de celle de Recques au Nord de l’Ile de la Désolation, Kerguelen pour les intimes, je me suis dit que les extraterrestres existaient, et qu’un jour de grand ennui comme il en survenait souvent dans le vide intersidéral, ils s’étaient posés sur Terre, échouant malencontreusement sur cette île déserte à cause des mauvais calculs d’un pilote stagiaire sans pouvoir s’en échapper avant 72 heures, et vexés, s’étaient mis à casser des pierres et des pierres, plates, dans le sens de la longueur puis à les lancer le plus loin possible de telle sorte que l’installation finale, recouvrant la verte colline initiale, apparaisse à la fois chaotique et organisée, se disant, assez fiers d’eux-mêmes que le jour où les habitants de cette planète tomberaient dessus, ils n’en croiraient pas leurs semelles, échafaudant aussitôt et pour quelques années encore mille théories pour tenter de déflorer cet insondable mystère de la nature…
L’autre matin, écrasée de toutes parts dans la rame des sardines par des gens poussés par d’autres amassés sur un quai bondé et n’arrivant pas à se faire à l’idée d’attendre le prochain métro, j’ai eu un flash. Là, au cœur de ce sas à la densité humaine digne d’intégrer la page 469 du livre des records, j’ai pensé aux manchots. Vous avez déjà sûrement observé cette scène, en vrai ou sur écran : en hiver, alors qu’il fait très froid sur la banquise (voire plus au nord comme ici) balayée par des vents glacés et forts, les colonies de manchots se regroupent. Les manchots se collent les uns aux autres pour avoir le plus chaud possible. Ceux en périphérie jouent alors le rôle de bouclier et protègent les cercles inférieurs des agressions météorologiques jusqu’à ce qu’une savante rotation soit déclenchée permettant ainsi aux manchots frigorifiés de réintégrer l’intérieur et d’être remplacés par des manchots réchauffés. Et ainsi de suite… C’est un spectacle assez étonnant à observer et si parfaitement orchestré que l’on croirait presque qu’ils font de la télépathie… « Vas-y, c’est à ton tour ! » « Bien reçu, Roger, j’arrive ! » Vous visualisez ?
Bon, et bien, c’est exactement cette séquence qui m’est revenue dans mon sas… Car c’est exactement comme cela que nous, pauvres êtres humains même pas soumis aux vents catabatiques, procédons pour nous déplacer ou nous extraire d’une rame bondée quand l’heure est venue. Nous sommes comme des manchots serrés les uns contre les autres, bras le long du corps, incapables de nous mouvoir autrement que par des pas minuscules et de façon légèrement circulaire : une personne sort, cela crée un vide dans le sas que la masse humaine s’attache instantanément à remplir tout en absorbant une, deux voire trois nouvelles personnes. A l’échelle de l’individu, au bout de 4, 5 stations, on réalise que l’on a fait un tour sur nous-même, que nos voisins ne sont plus du tout les mêmes qu’au départ et que l’on fait désormais partie du bouclier protecteur. Celui qui va sauvagement être expulsé à la prochaine station ! Car, malheureusement, l’homme transporté n’est pas aussi civilisé que les manchots !
Une fois n’est pas coutume, je commence par le texte car ce qui suit devrait être un joyeux bazar. Tout comme le sont certains étals de vide-grenier amateur, où l’on trouve tout et souvent, n’importe quoi, parmi lesquels des objets dont nous voudrions nous-même nous débarrasser s’ils nous appartenaient. Et que nous sommes pourtant prêts à acquérir car à 1 €, le « n’importe quoi » prend du galon et peut encore faire des heureux… On se dit : « A ce prix-là, ce n’est pas grave si cela ne fonctionne pas, si cela casse dans dix jours, si je ne le mets pas, si je le perds, si on me le vole, si… Au pire, je le revends au prochain vide-grenier ! ».
Du coup, j’ai loué mon mètre linéaire car, comme avant un déménagement hâtif, j’ai besoin de faire un peu de vide dans mon dossier hebdomadaire où j’accumule les photos envisagées pour ces duos quotidiens. Il y en a quelques unes que je ne peux plus voir en peinture, certaines prennent la poussière, et de nouvelles idées s’accumulent dans les carnets avec d’autres photos… Et puis, ce sont les vacances, cette coupure tant attendue où, comme au 1er janvier de chaque année, nous tentons de prendre de bonnes résolutions (soit dit en passant, c’est simplement car nous avons enfin le temps de nous poser, de sortir la tête hors de l’eau, et donc de penser, que nous essayons de reprendre la main sur notre quotidien pour les mois à venir ; ce que nous appelons communément des résolutions donc). Bref, trêve de bavardage, il est faussement 6h du matin, l’heure de tout déballer sur mon stand et d’essayer de lier ces images, dans l’ordre où elles se présentent à moi alors qu’elles n’ont rien en commun.
C’est parti :
Il faut toujours un point de départ. Une gare aux ombres énigmatiques et un sombre passager fuyant feront amplement l’affaire…
Oublions la gare de la ville où on y danse on y danse et prenons la vedette ! Cet îlot qui, de la crête de Crater Lake, a des allures de vaisseau fantôme (comprenez, on ne le voit pas tout le temps), ressemble, depuis le niveau de l’eau, à un trou noir, une sorte de grotte inversée dans un décor de rêve…
Qui nous ferait ressortir directement dans les ruelles de Kyoto où, un peu avant la tombée de la nuit, les geishas défilent en silence et sous le crépitement des flashs de badauds les attendant au tournant…
Je me suis alors demandé où pouvaient les conduire leurs pensées à cet instant précis où elles n’étaient plus qu’un personnage au visage figé, qu’une icône aux yeux des autres dont ils voulaient rapporter une image à tout prix… Peut-être sur cette plage Quileute de La Push, de l’autre côté de l’océan Pacifique, où reposent ces trois rochers majestueux…
Et où, paradoxalement, on traverse les paysages à vive allure…
Au risque de se heurter à un mur étrangement colonisé par du lichen déshydraté… Heureusement, une manœuvre réflexe permet d’éviter le choc frontal mais elle nous projette directement à l’embouchure de ce nouvel abysse, de cette sombre porte carrée sans fond apparent.
A l’autre bout de laquelle se trouve une plage normande éclairée sporadiquement par des pétards de fête nationale. C’est là que ça se gâte, que je perds le fil et que tout s’enchaîne sans transition ni autre explication que de courtes légendes lapidaires…
Paris, Nuit Blanche… Succès démesuré. Approcher l’installation de Vincent Ganivet relève du parcours du combattant. Lassés, les gens passent à côté sans lui jeter un œil.
Sagrada Familia. La lumière, dont je force volontairement le trait, inonde ce lieu d’une beauté sans pareille provoquant un séisme émotionnel de 9 sur l’échelle de Richter…
Pour le cliché, tout simplement. Impossible de se trouver à un tel endroit sans penser à un calendrier. Cela a quelque chose d’un peu ringard et en même temps, la ringardise a parfois ses avantages…
Sous les poursuites roses, une montagne humaine se lève et fait une hola aussi difficile à saisir que magique à voir… S’ensuit une avalanche d’images non légendées, un mélange de chaud et de froid, d’ici et d’ailleurs, de réalité et de faux-semblant, de proche et de lointain… Des images qui s’enchaînent sans d’autre raison que celle imposée par leurs noms qui s’enchaînent.
Voilà, en un coup d’ailes, c’est fini. Le stand est quasi vide. Je me sens légère tout d’un coup…
Les promenades dominicales à vélocipède peuvent conduire à une conclusion heureuse : il existe bel et bien un Paris bucolique. Le gris et le crème sont remplacés par le vert et le bleu, les saules viennent pleurer à la surface de l’eau d’où émergent des algues sans fin, les chemins de terre conduisent à des jardins faussement abandonnés, les péniches bien ancrées au rivage sont bercés par le soleil, le ronronnement des moteurs cède sa place au pépiement des oiseaux, les maisons de bois occupent les rives assorties de hamacs. Inspiration. Expiration.
Enfin, Paris. Rectifions. Sa petite couronne. Il n’empêche, de vrais îlots de fraîcheur. D’ailleurs, ce sont des îles… Ile de la Jatte, Ile Saint Germain… Pas les plus modestes ni les plus accessibles, financièrement parlant, car pour le reste, les ponts jouent très bien leur rôle. On traverse d’ailleurs souvent ces bouts de terre entourés d’eau sans se rendre compte de leurs trésors, partiellement cachés ; et donc, sans prendre le temps de s’y arrêter. Car, ces îles-là sont, par définition, de parfaites zones de transit pour les travailleurs motorisés. Sûrement salutaire pour leurs habitants privilégiés. Je me souviens d’un exercice d’école mené sur l’île Saint Louis, autre île inaccessible, mais vraie parisienne pour le coup. L’idée, très facilement concrétisée ? Interroger quelques iliens et les amener à dire que lorsqu’ils franchissaient l’un des six ponts rattachés à leur île, ils allaient textuellement « sur le continent », comme si l’île Saint Louis était perdue en plein milieu de l’océan, comme s’ils vivaient sur… Belle Ile en Mer.
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
A priori, l’œil extérieur est d’abord attiré par les deux silhouettes fantomatiques errant sur le quai du métro, à la fois présentes et déjà dans un après lui-même enregistré. C’est un leurre. L’objet même de cette photographie se trouve ailleurs. Au niveau de ces simples sièges piqués dans le marbre. Juste au-dessus. D’autres formes apparaissent. […]