Et bien oui, la trêve n’aura pas été bien longue… Mais ne nous méprenons pas sur ce qui suit pour autant…
Imaginez un peu la patience qu’il a fallu à ces gouttes d’eau pour réussir à squatter durablement ces rochers et poteaux posés là comme une digue embryonnaire, et bâtir cette épaisse couche de glace boursouflée de partout, à la fois totalement inhospitalière et véritablement subjuguante. Il a d’abord fallu que la température extérieure baisse sensiblement, non pas pendant un jour comme ça au hasard, mais durant plusieurs jours, collés les uns aux autres. Puis que celle du lac suive la même tendance descendante. En parallèle, il a fallu que ce dernier continue à danser et à donner de petites impulsions propres à créer quelques vagues, au moins, vaguelettes, et que celles-ci soient suffisamment motivées pour passer par dessus les dits rochers et poteaux, ou au moins, les éclabousser.
Cette submersion peut être très rapide. Aussi a-t-il fallu, pour arriver à ce résultat saisissant, qu’à chaque allée et venue, des gouttes résistent à l’appel du fond et du large, et réussissent à s’accrocher de toutes leurs forces aux aspérités de la roche. Et que, de son côté, complice, l’air fonde aussi vite sur elles pour les figer sur place. Et ainsi, de vaguelette en vaguelette, de dixième de millimètres en dixième de millimètres, les rochers ont finalement disparu sous un manteau glacé qui leur a apporté tout sauf de la chaleur. Un acharnement quasi pathologique, quand on y pense. Mais qui peut bien avoir eu la patience d’achever une telle œuvre ? Le temps, comme d’habitude…
Un matin neigeux. Aucun arc en ciel à l’horizon et pourtant, une mélodie sort de moi encore et encore. Et je n’ai même pas vu LeMagicien d’Oz. Pour tout dire, je ne sais pas vraiment d’où elle sort. Over the rainbow donc. C’est donc cette histoire d’espoir d’un monde coloré, de peines perdues au loin derrière les nuages, de soucis qui fondent comme des boules de glace au citron (si, si), de rêves qui deviennent réalité qui passe en boucle dans ma bouche. Bien sûr, je ne fais que fredonner l’air multicolore et ne découvre que maintenant les paroles de cette chanson créée en 1939 pour Judy Garland. Pour rompre le fil – je ne peux décemment pas rester avec cette chanson accrochée à moi toute la journée -, je décide de tenter l’overdose en l’écoutant en boucle. Direction le site du requin qui groove. Je tapote les quelques lettres du titre et là, s’ouvre devant moi, une liste d’interprétations que j’étais à mille lieues de soupçonner. Un véritable exercice de style ou un bizutage de chanteur ?
Le désir de se défaire de l’arc en ciel se mue en expérience musicale : écouter toutes les interprétations proposées. Une petite cinquantaine au bas mot, Ray Charles, Jewel, Tom Jones, Aretha Franklin, Cosmic Gate, Israël Kamakawiwo’ole, Rufus Rainwright, Barbra Streisand, Beyoncé, Nina Hagen, Jimmy Hendrix, Elvis Presley, Tom Waits, Melody Gardot et j’en passe donc. Il y en a pour tous les goûts, de toutes les époques – jusqu’à 2010 avec Jeff Beck -, de tous les styles musicaux – jazz, techno, électronique, instrumental, ukulele, soul, lyrique, folk… -, des fidèles à l’originale, des déjantées, des inspirées, des amusantes (involontaires je présume), des passionnées, des traduites, des perchées… A chaque fois, la structure et les paroles sont respectées, mais tout le décorum change. Réinventer un classique n’est pas aisé et certains se donnent du mal pour se démarquer. Ecouter ces différentes versions, c’est aussi un peu parcourir l’histoire des courants musicaux de ces 70 dernières années… Cela n’est pas sans me rappeler le couple formé par le négatif et le tirage en photo. Si le négatif est unique – les paroles, la structure -, les tirages – l’interprétation – eux, faits ou pas par la même personne, peuvent se multiplier à l’infini, offrant ainsi des approches totalement différentes d’une même image. Le passage au numérique ne fait qu’étendre le champ des possibles. Mais, d’un certain point de vue, il est aussi réconfortant de constater qu’un tel appel à un monde idéal empli d’amour et de joie – ça a quand même un petit goût de sucre d’orge non ? – a pu être le point de convergence et de ralliement de personnes a priori si opposées les unes des autres…
Cette échelle, à un autre moment si engageante, passera l’hiver en solitaire. Deux pieds scellés dans la glace bleu iceberg, deux bras plantés dans le macadam torturé. C’est toujours pour mieux s’en éloigner que les plus curieux s’en approchent. En attendant le redoux, l’explosion des bourgeons et le retour des promeneurs, quand elle est fatiguée de tant de beauté et de silence, elle se repasse les cris de joie des enfants qu’elle a enregistrés, l’été dernier, en prévision de ces moments-là, et qui rebondissent, comme des boules de billard, dans les entrailles creuses de ses membres qui se font cathédrale…
Ou le pouce préhenseur et l’index glisseur. C’est l’agitation la plus totale dans le landernau très fermé des doigts de la main. Si, jusqu’à encore très récemment, le pouce était la grande star de nos mains, il est en passe d’être détrôné par son voisin l’index. Le premier, que d’aucuns qualifient parfois de « préhenseur », a en effet permis à l’homme de se sortir, par certains aspects, définitivement, du règne animal et de devenir un homme moderne, avec des outils, des voitures, des ordinateurs, tout un tas de choses rendues possibles par la seule existence de cette petite pince de précision. Le pouce est encore très utilisé aujourd’hui, notamment pour dire que l’on aime quelque chose ! Dans ce cas, on le lève vers le haut. Un peu trop fier, il n’a toutefois pas vu l’ascension de l’index, qui, longtemps considéré comme le doigt dénonciateur ou celui à brandir pour demander la parole dans une assemblée (on aurait d’ailleurs dû se douter de ce revirement de situation : rappelez-vous, quand vous étiez enfant, votre maître(sse) vous rappelait que pour poser une question, il fallait lever le doigt… Le doigt, pas l’index ! Cette assimilation du doigt à l’index alors que nous en avons cinq différents aurait dû nous alerter.) est aujourd’hui celui qui fait faire un nouveau saut paradigmatique à l’homme. L’index ou le révélateur de l’homo numericus ! Car, celui qui, de nos jours, ne passe pas des heures à faire glisser son index sur un écran pour organiser sa vie est déjà un dinosaure !
Les voyages forment la jeunesse, entend-on souvent dans la bouche des adultes. Ils aiguisent le regard aussi, la curiosité. Font ressortir certaines dissemblances et similitudes d’un pays à l’autre. Ainsi, pour une raison que je ne m’explique pas encore, les bourses d’ici et d’ailleurs sont souvent hébergées dans des bâtiments assez similaires. En l’occurrence, des palais à colonnes, au style corinthien. Une architecture historiquement vouée aux dieux. Enfin, ceux qui pensent l’être. Encore aujourd’hui. Voyez le Palais Brongniart à Paris, absent du triptyque, ce qui ne fait que confirmer la règle sus-dite. Napoléon 1er en est l’initiateur au début du 19e siècle et en parle alors comme du « thermomètre de la confiance publique »… Deux siècles plus tard, je ne sais qui oserait encore prononcer ces mots face à ce temple de la finance et hôte de certains des plus vils vices humains.
La vision de Wall Street date de 2005, avant la crise, époque flamboyante. Une immense bannière étoilée proclame une fierté indécente occultant ces colonnes corinthiennes. A l’extrême droite, La Borsa de La Valette, prise il y a quelques mois, fait profil bas. Pas de drapeau flottant au vent. Et des colonnes se démarquant bien de la force obscure prête à les engloutir. Entre temps, les bourses se sont effondrées et les étoiles se sont repliées sur elles-mêmes. Et l’on comprend alors peut-être pourquoi elles sont ainsi conçues. Ces piliers ne jouent ni plus ni moins que le rôle de ces colonnes métalliques installées, en dernier recours, dans une maison dont le plafond, et le reste, menace de s’écrouler… Des béquilles. Et l’image centrale alors ? La statue ? Elle (il s’agit ici d’une reproduction) trône au sommet de la Chicago Board of Trade, un magnifique bâtiment Art Déco, où l’entrée en colonnade est réinterprétée de façon plus rectiligne. Il y a quelque chose d’étonnant dans cette sculpture de Cérès (près de 10 mètres de haut en vrai). Son visage n’est qu’une boule de métal sans nez, yeux, bouche, oreille, qui ne sent rien, ne voit rien, n’entend rien, ne dit rien, et de fait, n’a pas d’identité. La raison invoquée par son créateur croyant à l’époque qu’il n’y aurait pas bâtiment plus élevé dans la cité d’Al Capone ? Personne n’en verrait les détails à cette hauteur. Omission symbolique a posteriori et faisant de ces places indéchiffrables des endroits désincarnés où l’équilibre du monde est menacé…
De ce point de vue, on dirait un circuit imprimé. Une de ces petites plaques magiques dont regorgent nos équipements électroniques toujours plus nombreux, et que l’on retrouve parfois abandonnées sur les trottoirs, victime de la rapidité des progrès technologiques. Cette régularité des lignes, ces nœuds symboliques où se rencontrent certaines d’entre elles, ce découpage millimétré, cette absence apparente d’espace laissé au hasard, c’est bien cela… Evidemment, cela pourrait être autre chose. Nous sommes au bord de la fosse des Caïmans, à quelques centaines de mètres de profondeur. Nous sommes les yeux de Virgile et Lindsey découvrant le monde perdu mais incroyablement beau, lumineux et organique des abysses. Une colonne vertébrale luminescente où circule la sève d’une vie différente sans frontières. La vérité est ailleurs, comme le répétait le californicateur dans une vie antérieure, et aucun scaphandre n’est nécessaire pour assister à ce spectacle céleste à la fois fascinant et effrayant. Tout au plus un peu de hauteur. Beaucoup de hauteur même pour pouvoir admirer cette portion de ville qui semble se déplier à l’infini tel une figure fractale et dont l’organisation méthodique quadrillée fait ressortir des perspectives auxquelles les européens ne sont pas familiers. A l’école, on nous apprend que les parallèles ne se croisent jamais… Je rajouterai : c’est pour cette raison que les perpendiculaires existent !
Osons une lapalissade liminaire : la découverte d’une ville est multi-sensorielle. Enfin, pas nécessairement une ville. La découverte d’un lieu en général, qu’il s’agisse d’une ville, d’une maison, d’une forêt ou de tout autre chose. Mais arrêtons nous sur la ville. La vue et l’ouïe sont les premiers sens a priori sollicités, dans de telles circonstances. Ceux qui sont en éveil car ils sont en terre inconnue. Le toucher l’est aussi, d’une certaine manière dans la mesure où nous avons les pieds sur terre. Mais, de façon totalement réductrice, j’associe plutôt le toucher aux mains… Une ville peut aussi se goûter, mais cela me semble plus relever de la métaphore.
Enfin, il y a l’odorat. Une ville se sent. Une ville sent. On a d’ailleurs facilement tendance à dire que la ville « sent mauvais »… La pollution, les pots d’échappement, les déjections canines, l’urine humaine, les détritus… C’est, bien heureusement, une impression totalement exagérée. Et une ville peut sentir tout à fait autre chose. Montréal, par exemple, sent la cuisine à partir de 16h30 – 17h. C’est en tout cas la sensation que j’ai eue les premières semaines lorsque je me trouvais dehors à ces heures-ci. Un mélange de steak frit et de muffin venant chatouiller les narines quelle que soit la rue où l’on se trouve, donnant l’impression que les agents de la ville ont été missionnés pour diffuser cette mixture détonante histoire d’aiguiser les appétits. Résultat diamétralement opposé pour moi : j’ai l’impression que l’on me sert goûter et dîner dans la même assiette alors que je n’ai pas faim.
Deuxième expérience olfactive citadine, pour le moins étonnante. Limite hors sujet. Direction New York. Une odeur me réveille en pleine nuit. Il est 4h. Quelque chose de fort, de piquant… D’habitude, c’est plutôt le bruit qui est susceptible de nous extraire des bras de Morphée. Là, non. C’est une odeur de feu, d’incendie, de cramé, de plastique brûlé. L’odeur est si prégnante que je vérifie que ce n’est pas la maison qui brûle. Non. Mais l’odeur est bien réelle, émanation d’un feu qui s’est déclaré un bloc à l’est dans une bodega familiale. Ce réveil est-il une manifestation de l’instinct de survie ? En tout cas, une preuve par l’exemple que les sens n’attendent pas la conscience pour s’exercer.
Enfin, Chicago, ville d’une beauté architecturale saisissante où les yeux et les oreilles sont sur-sollicités. Là, bizarrement, une odeur totalement incongrue vient titiller le nez. Une odeur de chocolat. Ici, puis là, et encore là. En plein cœur de la skyline, en pleine nuit. On ne peut pas faire plus ville. J’ai l’impression que cette odeur me poursuit quelle que soit la route empruntée. Certes, c’est mieux qu’un gangster ! Et puis, il fait froid et un chocolat chaud ne serait pas superflu, mais de là à avoir des hallucinations olfactives, il y a un pas que je ne souhaite pas encore franchir. Evidemment, au premier stimulus, la recherche d’un café commence. Tout est fermé. En dernier recours, j’ouvre le guide, avec l’espoir d’y trouver l’explication. Bingo ! Une chocolaterie, sans Charlie, est située à quelques miles de là, dans la ville même, et joue les ensorceleuses masquées ! Un détail. Mais voilà, désormais, à mes « yeux », Chicago aura l’odeur de cacao…
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Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
Les mécanismes « réflexe » de notre corps ont toujours quelque chose d’un peu bouleversant car, d’une certaine manière, ils outrepassent notre conscience. Même si, a posteriori, on peut comprendre les raisons pour lesquelles ils se sont déclenchés, à l’instant t, ils demeurent inattendus. Ainsi en est-il de la très classe « chair de poule », réaction – réflexe […]