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Avant même de prendre cette photo, je savais pertinemment qu’il y avait 99,9 % de chance qu’elle soit floue. Doublement floue même. Du fait du mouvement respectif et asynchrone de ces deux femmes d’une part, et de ma précipitation à déclencher d’autre part, en partie liée à ma surprise. Pas de surprise en revanche sur mon petit écran, l’image était bien floue. Or, le sort réservé à une photo floue est loin d’être une science exacte. Il existe une marge de tolérance, un seuil, une frontière qui dicte la marche à suivre. Effacer, conserver. Frontière qui n’est d’ailleurs pas réellement une ligne comme pourraient le laisser penser nos atlas, planisphères et autres globes terrestres, mais bien « un espace d’épaisseur variable ». Entre 5 et 30 mètres paraît-il. C’est dans cette intervalle, dans ce territoire non revendiqué, dans cette zone de non-choix pacifique que tout se joue. De part et d’autre, nous sommes ailleurs, avec des règles strictes. Mais là, dans cet interstice, s’ouvre le champ des possibles…
C’est un peu comme avec le flou. Un flou acceptable n’est ni « trop flou » – car on ne comprendrait rien à l’image – ni « pas assez flou » – le flou serait alors perçu comme la manifestation d’une photo ratée. Un flou acceptable est, en quelque sorte, un flou « juste ». C’est totalement subjectif évidemment et intimement lié à notre degré d’acceptation – et d’appréciation – de l’incertitude. Qui lui-même évolue dans le temps, au fil des saisons et de nos histoires personnelles. Cette image aurait donc disparu sans l’existence de cet équilibre aussi subtil que précaire, et de fait logiquement vaporeux, entre ces deux silhouettes définies et indéfinies à la fois, et que tout oppose, l’une bringuebalante et banale, l’autre droite, distinguée et tout en retenue… Cette image aurait disparu si je n’avais décidé, au moment où je l’ai vue pour la première fois, que le flou dont elle était parée ne se trouvait pas dans la frontière… Cela tient parfois à un fil !