Photo-graphies et un peu plus…

Précis d'imprécision

Avant même de prendre cette photo, je savais pertinemment qu’il y avait 99,9 % de chance qu’elle soit floue. Doublement floue même. Du fait du mouvement respectif et asynchrone de ces deux femmes d’une part, et de ma précipitation à déclencher d’autre part, en partie liée à ma surprise. Pas de surprise en revanche sur mon petit écran, l’image était bien floue. Or, le sort réservé à une photo floue est loin d’être une science exacte. Il existe une marge de tolérance, un seuil, une frontière qui dicte la marche à suivre. Effacer, conserver. Frontière qui n’est d’ailleurs pas réellement une ligne comme pourraient le laisser penser nos atlas, planisphères et autres globes terrestres, mais bien « un espace d’épaisseur variable ». Entre 5 et 30 mètres paraît-il. C’est dans cette intervalle, dans ce territoire non revendiqué, dans cette zone de non-choix pacifique que tout se joue. De part et d’autre, nous sommes ailleurs, avec des règles strictes. Mais là, dans cet interstice, s’ouvre le champ des possibles…

C’est un peu comme avec le flou. Un flou acceptable n’est ni « trop flou » – car on ne comprendrait rien à l’image – ni « pas assez flou » – le flou serait alors perçu comme la manifestation d’une photo ratée. Un flou acceptable est, en quelque sorte, un flou « juste ». C’est totalement subjectif évidemment et intimement lié à notre degré d’acceptation – et d’appréciation – de l’incertitude. Qui lui-même évolue dans le temps, au fil des saisons et de nos histoires personnelles. Cette image aurait donc disparu sans l’existence de cet équilibre aussi subtil que précaire, et de fait logiquement vaporeux, entre ces deux silhouettes définies et indéfinies à la fois, et que tout oppose, l’une bringuebalante et banale, l’autre droite, distinguée et tout en retenue… Cette image aurait disparu si je n’avais décidé, au moment où je l’ai vue pour la première fois, que le flou dont elle était parée ne se trouvait pas dans la frontière… Cela tient parfois à un fil !

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Parfois, par temps clair et esprit vagabond, sur les grandes étendues de sable blond, errent d’étranges créatures tout droit sorties des songes les plus doux…

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Le détour

Je ne vais pas y aller par quatre chemins : cette trace m’interpelle. Son existence sur cette pelouse berlinoise printanière n’y est absolument pour rien. Je n’ai en effet aucun mal à concevoir que des promeneurs, par facilité ou par mimétisme, finissent par emprunter la même route que leurs prédécesseurs. Et a fortiori, que la répétition de ces piétinements cadencés marque à jamais le sol comme une cicatrice, la peau. Non, ce qui m’interpelle, et ce n’est pas la première fois – je me suis posée exactement la même question un hiver neigeux à Montréal, quand même bien la précision semble « pléonasmique » -, c’est la forme de cette trace. Le cheminement de ce parcours. Et la question, vitale comme toutes les questions : pourquoi, alors même que les marcheurs veulent manifestement aller légèrement à droite par rapport au point central où je me suis postée pour capter cette étrangeté – je vous laisse vous relever un peu sur votre siège pour constater, qu’en effet, le chemin converge vers l’arbre en haut à droite -, pourquoi donc commencent-ils tous par aller un peu vers la gauche avant de rétablir leur trajectoire à mi-parcours et de filer vers leur destination finale, le tout par l’entremise de douces courbes ?

Pourquoi n’y vont-ils pas directement, donc, tout droit : n’avons-nous pas appris au cours élémentaire que la ligne droite était le plus court chemin entre un point A et un point B dès lors qu’il n’y avait aucun obstacle entre eux ? Admettons que les premiers, les pionniers, ceux qui, tels des sherpas, ont créé la trace, aient un temps, et très sincèrement, hésité entre s’enfoncer dans la forêt apparente à gauche ou traverser la clairière à droite – ce qu’ils ont fait au final -, comment croire que tous ceux qui les ont suivis ont connu les mêmes indécisions exactement aux mêmes moments et n’ont pas été tentés de prendre la tangente pour couper court à ces tergiversations ? Hypothèse n°1 : les flâneurs avancent sans regarder où ils vont, ils se concentrent uniquement sur la façon d’y aller, pas après pas, indépendamment de toute logique d’économie de pas, et suivent tout naturellement la route déjà tracée. Il y a même de fortes chances qu’ils n’aient pas conscience de leurs errements. Hypothèse n°2 : ils ont bien vu que le chemin n’était pas optimal, mais, étant extrêmement respectueux de la nature, plutôt que de dégrader à nouveau le terrain, ils préfèrent faire un petit détour…

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Et si...

Et il s’agissait vraiment d’un vaisseau spatial replié sur lui-même période origami en mission d’observation sur Terre, j’aimerais également emporter un souvenir de lui avant qu’il ne reparte dans sa très lointaine galaxie raconter à ses pairs que des milliers d’humains lui ont bizarrement tourné autour, toujours dans la même configuration sans qu’il ne comprenne réellement pourquoi : un lui faisait face à une distance variable, portant une petite boite noire devant le visage ou sur l’oeil, et souvent dans des postures étranges, un autre (voire des autres), toujours plus proche(s) de lui, lui montrai(en)t son (leur) dos et regardai(en)t systématiquement dans la direction de la personne à la boîte, qui, parfois, projetait aussi des éclairs… La scène s’achevait dès lors que cette dernière lançait à ses congénères : « c’est bon, je l’ai ! ». C’est-à-dire au bout de quelques secondes pour les plus rapides, quelques minutes au pire. A ce signal, tout le monde s’éparpillait et s’éloignait en lui jetant à peine un regard, comme si l’essentiel était d’être dans la petite boîte…

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Les dissociables

« Détachez-vous, détachez-vous, détachez-vous… » Je me répète ces deux mots à voix basse comme s’ils avaient le pouvoir d’une formule magique, l’oeil droit rivé derrière le viseur, l’index en position optimale pour déclencher en moins d’une seconde une fois les conditions attendues réunies. Ou, susceptibles de l’être. Mieux vaut d’ailleurs être patient car cela peut durer un certain temps… Ou comment diraient Dupont et Dupond, un temps certain.

Ainsi, sur cette plage d’Iquique plantée face à l’Océan Pacifique (mais cela aurait pu être sur celle d’Hourtin face à l’Atlantique), j’attendais que les silhouettes mouvantes et aux trajectoires erratiques donc difficilement anticipables de ces douze joueurs de football balnéaire se détachent une à une à l’horizon. Ce n’est pas que je n’apprécie pas les amas indistincts d’êtres humains, mais je préfère pouvoir les discriminer. Pour des raisons esthétiques. Pour le micro défi photomathématique. Pour le test de patience enfin.

Attention spoiler : j’ai bel et bien réussi à les capter dans cette configuration hautement improbable (cf photo ci-dessus !) ! Pour ce faire, j’avais le choix entre deux stratégies, élaborées sur la base de ma très fine expérience des Vélibs parisiens et en particulier des stations pleines : dans de telles circonstances, soit vous roulez vers une autre station après avoir vérifié au préalable qu’il lui restait des places, soit vous attendez là quelques minutes en espérant qu’une personne viendra récupérer un vélo (et libérer un emplacement dans la foulée). Mobilité versus immobilité, j’ai testé les deux options (qui en disent long sur vous par ailleurs), elles fonctionnent.

Retour à la plage : j’aurais pu choisir de bouger – courir en fait – et tenter de suivre les allées et venues des joueurs sur ce terrain bosselé pour réussir à faire cette photo, mais cela m’a paru plus complexe, plus dangereux (notamment pour l’appareil) et surtout plus fatiguant que d’enfoncer mes pieds dans le sable et d’attendre que cette conjonction de coordination nécessitant une attention sans faille, une réelle maîtrise des vitesses relatives et absolues des joueurs les uns par rapport aux autres, une vision périphérique optimisée ainsi qu’un zeste de chance se produise devant moi… Ce qui est effectivement arrivé ! Moralité, dans la vie, tout vient à qui sait attendre !

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Le carrefour de tous les dangersCette banale scène de la vie quotidienne kyotoïte me semble totalement surréaliste pour un Français, voire, plus globalement – osons les généralités -, un latin… D’où mon empressement à la photographier, comme si je devais en ramener une preuve à mes petits camarades. Les mi-bas sous short de la demoiselle à pois blanc sur fond noir n’y sont pour rien. Pas plus que la tenue bleue électrique impeccablement repassée, les gants d’un blanc immaculé, la casquette bien vissée sur la tête des agents de la circulation, quand bien même je ne peux nier que l’ensemble impressionne. Non, ce qui me fascine littéralement ici est la présence, naturelle, de trois personnes pour gérer cette toute petite intersection, alors même que les rues sont en sens unique, qu’il y a déjà deux passages piétons latéraux et qu’a priori, le danger est extrêmement limité.

Bien évidemment, dans de telles conditions, la pensée, fut-elle furtive, qui consisterait à s’imaginer traverser sans y être expressément invitée par le trio d’hommes bleus n’atteint même pas les cellules pyramidales de mon aire de Brodmann, celle-là même qui est aux manettes de chaque muscle de notre corps. Postée sur le trottoir à devoir attendre le go officiel au lieu de braver les interdits et/ou le danger comme je pourrais le faire en un terrain plus familier, plusieurs questions sérieuses me traversent alors l’esprit (sans bouger pour autant), sur le taux de chômage au Japon (3,4% fin 2014), sur l’âge de la retraite (il passe progressivement de 60 à 65 ans, même si travailler jusqu’à 70 ans est déjà très courant, âge dont doit d’ailleurs être proche l’agent de gauche), mais également sur la proportion de seniors dans la vie active (9% avaient plus de 65 ans en 2012) et dans les emplois peu qualifiés, pseudo « petits boulots » comme ici, et enfin – ou plutôt surtout -, sur l’intérêt, réel, de telles fonctions. Sans doute cette ultime interrogation reflète-t-elle une façon purement occidentale de raisonner… Force est de constater que traverser sauvagement la route n’aurait pas conduit aussi loin dans la réflexion !

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Question d'échelle

En se concentrant sur son cœur, l’on pourrait croire que cette photographie a été prise, les pieds dans l’eau, à proximité de sa surface, à ce moment précis où les vagues s’étirent sans fin sur les plages, comme un grand gaillard sortant de sa sieste post-prandiale… Jusqu’à ce que le regard s’égare et remonte l’étroite frontière mouvante d’écume et tombe sur ces deux frêles silhouettes, au nord-ouest de l’image, ramenant alors la scène à sa juste et incroyable dimension. Pardonnez cette trivialité nocturne, mais je serai toujours fascinée par ces confrontations d’échelle entre l’homme et la nature. Regardez-les, si vulnérables et pourtant si confiants alors qu’une simple vague suffirait à les faire disparaître…

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Vous l’avez entendu ? Le train ? Un son assourdissant de ferraille bringuebalante lancée à toute berzingue sur cette ligne La Spezia – Monterosso jouant les passe-muraille avec la montagne. Dites, vous l’avez vu ? Le train ? Sortir du tunnel tout proche pour mieux s’engouffrer dans le suivant. Sans s’arrêter ni même ralentir. Comme si cette gare-là n’existait pas. Comme s’il n’avait jamais été question d’y marquer une pause. 3 secondes. Cela n’a duré que 3 secondes. Trois secondes d’appel d’air qui n’ont presque pas fait ciller les candidats au voyage sur le quai. A peine un léger mouvement de recul au début, par surprise.

Je les ai entendues régulièrement ces trois petites secondes ces jours-là. Depuis les hauteurs. Comme un cri dans la ville. Et dès la toute première fois, j’ai pensé à Dark City d’Alex Proyas. Dès la toute première fois, j’ai donc pensé à Shell Beach. En 3 secondes à peine, je me suis retrouvée dans la peau amnésique de John Murdoch, sur le quai de la gare de cette sombre, mutante et inquiétante cité où chaque nuit, vacille la mémoire des hommes, cherchant désespérément à la quitter pour rejoindre ce paradis perdu dont il serait originaire, sondant les uns et les autres sur le quai pour savoir comment s’y rendre et constatant, amèrement, alors que chacun s’apprête à lui répondre, que finalement personne ne se souvient. Impossible de sortir de la ville que les trains ne font que traverser à toute berzingue, sans jamais s’y arrêter. Comme si Shell Beach n’était qu’un leurre, une vue de l’esprit… pourtant capable de s’imposer dans un esprit réel. A moins que tout cela ne soit également qu’une simulation…

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L'attente

Plutôt que d’immortaliser le contre-champ, c’est-à-dire l’objet de l’attente de ces dizaines de personnes, j’ai préféré saisir la singularité de l’attente elle-même, en particulier ces petits êtres colorés savamment dispersés sur ce granite rose taillé au couteau, jusqu’à en oublier l’objet lui-même… Le plus intéressant n’est pas systématiquement là où les regards convergent.

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Marcher sur l'eau

Une montagne de paradoxes pour de nouvelles perceptions et d’étranges visions. D’abord, de l’eau dans le désert. Et pas vraiment un ru. Ensuite, une étendue d’eau dans laquelle il est impossible de rester droit ou d’atteindre le fond, qui, a priori, n’est pourtant pas bien loin. Pour le toucher, il suffirait de mettre la tête sous l’eau et de nager jusqu’à lui. La première étape est déjà fortement déconseillée. Surtout pour les yeux, à qui il en faut moins pour être durablement agressés. La seconde, nager sous l’eau, est carrément, et même physiquement, impossible. D’ailleurs, rester trop longtemps dans cette eau-là tout court est contre-indiqué. Après quelques minutes seulement, un picotement un brin désagréable saisit en effet chaque parcelle indemne de votre corps. Imaginez un peu être piqué par des centaines de micro-aiguilles simultanément. Et il se fait clairement douleur si, par malheur, il vous reste quelque part une égratignure, une petite coupure, une ampoule, un bout de peau à vif… Ce corps, dont vous ressentez le poids à chacun de vos pas, ce fardeau parfois, n’existe quasiment plus. Il vit une expérience extraordinaire : défier la pesanteur sans dépasser la stratosphère ! Littéralement, flotter. Cela ne sert pas à grand chose, j’en conviens, mais ne pas être capable de maîtriser ni de contenir ses mouvements dans un environnement familier est confondant, renversant, grisant même si cela donne la sensation, toujours un peu dégradante à mes yeux, de n’être qu’un pantin. Mieux vaut donc le vivre comme un lâcher-prise naturel ! Et de temps en temps, ça fait un bien fou !

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