Photo-graphies et un peu plus…

Voilà une chose que je ne fais jamais : couper des coins d’immeubles alors que je suis si près du but, c’est-à-dire, que le cadrage a été suffisamment réfléchi pour que les éléments qui doivent y figurer soient, si ce n’est entiers, au moins coupés intelligemment – à supposer que cela ait un sens -, et en tous les cas, disposés avec une harmonie totalement subjective. Bref, dans mon viseur – argentique, je le précise, même si finalement, cela n’a pas réellement d’importance pour la suite, quoique si, mais ce serait aller trop loin que de l’expliquer -, cette impressionnante tour venait innocemment flirter avec le bord gauche du cadre, sans jamais le toucher… Une tour à fleur de peau donc, sur le fil du rasoir, prête à passer de l’autre côté, mais pas sérieusement. Pourtant, la machine à tirages de lecture, dans sa cadence industrielle la rendant insensible aux subtilités humaines et la transformant en guillotine photographique, en a décidé autrement, tronquant ce petit bout d’image ridicule, cette tête, qui, à mes yeux, fait toute la différence, conférant à cette image une impression d’instabilité alors qu’elle se voulait équilibriste maîtrisée.

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Un déménagement est le moment idéal pour réellement faire un tri dans ses affaires. Plier, emballer, encartonner, ranger, empiler… Personne n’aime vraiment ça. Car, après plusieurs années de vie entre les mêmes murs, ce nouveau départ vous fait réaliser à quel point vous avez pu entasser d’inutiles petits objets. Vous savez, ces revues que vous n’avez pas eu le temps de lire au moment où vous les avez reçues, que vous avez soigneusement posées sur une table basse en reportant leur découverte à un moment ultérieur, quoique indéfini. Petit apparté : en réalité, ce moment de répit n’arrive jamais. Il serait donc objectivement plus judicieux d’envoyer ces feuilles de chou au recyclage, au moins serviraient-elles à quelque chose. Sauf, qu’évidemment, en s’en séparant sans les avoir compulsées, vous avez la désagréable sensation de jeter votre argent par la fenêtre, de perdre le combat contre l’horloge infatigable et de manquer quelque chose : il y avait quand même des articles intéressants dans ces numéros.

Cette indécision argumentée vous pousse à les placer dans un coin, puis, finalement, à les oublier… jusqu’à ce qu’un déménagement vous conduise donc à faire réapparaître tout ce que vous avez voulu cacher et à vous reposer la question de leur destinée… Même type de raisonnement avec les vêtements que vous avez accumulés année après année en vous disant que la mode était cyclique et qu’un jour, votre pantalon à petits carreaux serait autour de toutes les jambes ; ou des bibelots dont vous avez couvert vos étagères à une époque où vous étiez adepte du plein et de ces objets attrape-poussières, alors qu’aujourd’hui, vous préférez nettement le vide, notamment car vous n’avez plus le temps de faire la poussière. Bref, les exemples ne manquent pas et chacun a ses petits tas dans un coin de chez lui.

Malheureusement, nombreux sont les déménagements qui s’organisent au dernier moment, même s’il est difficile de parler « d’organisation » dans ce cas. Dans l’urgence, vous n’avez alors plus le temps de trier et vous vous retrouvez à tout empaqueter par défaut, en sachant que ces petites choses mises à l’écart seront tout autant abandonnées à leur triste sort dans votre nouveau chez-vous. Voilà comment, faute de trancher impitoyablement à un moment précis, vous vous chargez de l’inutile à vie.

C’est un peu comme avec ces duos. Je constitue des dossiers hebdomadaires dans lesquels je glisse les photos sur lesquelles j’aimerais m’étendre. Le jour dit, en fonction de l’humeur, je pioche dans la masse ou pars en quête d’une autre image à raconter. En fin de semaine, je bascule alors toutes les photos non utilisées dans le dossier de la semaine à venir. Certaines photos n’y transitent que quelques heures, quelques jours ; d’autres y restent des semaines voire des mois. Or, dans le dossier du 21 novembre, nombreuses sont les photographies à migrer ainsi en attendant des jours meilleurs pour elles, autrement dit, une certaine inspiration. Et comme avec les monticules de revues faussement rangées sous les meubles, arrive parfois l’heure où l’on se lasse de voir chaque jour la même chose, le même bazar… Moment décisif à saisir et à transformer en acte concret. Bref, il est grand temps de déménager ! Ces images, collées les unes aux autres dans un joyeux n’importe-quoi décontextualisé, sont donc les orphelines du 21 novembre. A voir comme des instantanés auxquels j’ai tenté de donner un écho à un moment et qui ont fini par en trouver un à quelques encablures de l’instant ultime : l’oubli.

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La première fois que j’ai été confrontée à ce panneau, j’ai bien cru avoir changé de continent sans m’en être rendue compte. Littéralement. PED XING dans les rues new-yorkaises ou angelena (je viens juste d’apprendre l’existence de ce mot, donc pour ceux qui seraient aussi dans mon cas, je précise que c’est ainsi que l’on parle des habitants de Los Angeles et, par extension, de ce qui est relatif à cette ville). PED XING par ci, PED XING par là et pas de quartier chinois à l’horizon, malgré la correspondance sonore. PED XING en gros, comme si c’était une évidence pour tout le monde. C’est seulement après une analyse fine des sites où étaient installés ces mystérieuses signalétiques que j’en ai compris le sens. En travers des rues. PED XING ou la contraction naturelle de Pedestrian Crossing. Le X incarnant avec brio la croix, cross en anglais. Evidemment !

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Je n’ai pas osé m’approcher du cartel, comme l’a fait ce trio intergénérationnel mère-fille-mèregrand, de peur de tomber des nues. Je suis donc restée à distance de ce carré creusé dans la surface et laissant apparaître celle, raturée, de bois brut, de la structure de cette institution new-yorkaise dédiée à l’art moderne. J’aurais eu peur de devoir lire, non pas que le tableau habituellement présent à cet endroit était prêté à un musée quelconque à l’autre bout du monde ou en cours de réparation suite à une trop grande preuve d’amour d’un visiteur, mais que l’absence d’œuvre d’art sur le mur d’un musée aussi prestigieux que le MoMa était elle-même une œuvre d’art… Le vide, un contre-pied au trop plein du monde moderne qui nous assaille de toutes parts. Non, cette fois-ci, j’ai jugé préférable, pour préserver mon amour de l’art, de rester dans l’ignorance.

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Il arrive régulièrement que des images étonnantes circulent sur la toile – en somme, fassent le buzz – et, que, au gré de nos divers réseaux, elles nous parviennent plusieurs fois, envoyées par différentes personnes comme si, à chaque fois, c’était une première. Un exemple récent : cette photo d’arbres littéralement emmitouflés dans des toiles d’araignées ayant fui les inondations au Pakistan. Un autre exemple : une schtroumphette, comprenez une femme bleue, en fait, un négatif de femme, en petite tenue avec un point rouge sur le nez. Une légende invite chacun à regarder ce fameux point rouge pendant au moins 10 secondes et ensuite à tourner la tête vers un mur idéalement blanc tout en clignant des yeux. Normalement, quelque chose de magique se produit. Non, la demoiselle ne s’est pas rhabillée. En revanche, elle apparaît en positif. Avec les vraies couleurs et tout et tout, comme si vous regardiez une photo. J’essaye, ça marche !

Une seule question me vient : l’effet optique fonctionne-t-il avec toutes les photos ? Je cherche mon cobaye dans ma mémoire, retrouve ce coureur du 1er janvier sur la plage de Coney Island, le fais passer en négatif et le coiffe d’un ridicule nez d’enrhubé. Puis je suis les recommandations : fixer le point rouge pendant 10 s au moins, et regarder un mur blanc en clignant des yeux. Allez-y, essayez ! N’ayez-pas peur ! Et si on vous regarde étrangement, tournez votre écran pour en faire profiter les autres. Bref, les 10 secondes sont passées et voilà que le garçon se met à courir, en positif, sur mon mur blanc ! Miracle, la magie est reproductible. Je me pose alors une autre question : le point rouge doit-il obligatoirement être sur le nez ? Certes, c’est amusant mais est-ce vraiment nécessaire ? Je déplace donc le point rouge à un autre endroit de la photo, dans la foule floue et reproduit la séquence : et bien ça marche aussi ! Je vous épargne l’image et vous prie de me croire sur écrit. Du coup, pour en avoir le cœur net et pousser au bout l’expérience optique, j’essaye avec une tout autre image, au hasard, d’architecture. Le verdict est similaire : la persistance rétinienne continue à très bien fonctionner. Evidemment, la magie prend un coup de baguette mais celle du corps humain réussit à nouveau à se distinguer !

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« Si l’homme avait dû voler, il aurait des ailes ! » Voilà, en substance, ce qu’a dit Bob, appelons-le Bob mais ce n’est pas son vrai nom, pour justifier le fait qu’il n’ait jamais pris l’avion malgré ses probables plus de 50 printemps. Et il ne le prendra jamais, d’ailleurs. Bob, rencontré à une table d’un wagon restaurant où l’on demande aussi aux serveurs d’être équilibristes et jongleurs, dans un train donc, qu’il n’aime pas trop non plus, n’est jamais sorti des Etats-Unis. Le pays est grand, cela reste concevable. Né au New Jersey, il vit aujourd’hui en Géorgie. New Jersey – Géorgie, c’est la distance la plus longue qu’il ait parcourue dans sa vie. Et, pendant toutes ces années au New Jersey, il n’a jamais mis les pieds à New York. Il répète. Il n’a jamais mis les pieds à New York. Cela ne l’intéressait pas. Le rêve de tant de personnes ne lui disait rien. Soit. Même pas par curiosité.

Il lâche cela spontanément, avec un petit sourire, content de l’étonnement produit sur son maigre auditoire migrateur. Bob, il a des yeux bleus, clairs, perçants, qui font penser à des portraits d’Avedon, mais en couleurs. Ses rides sourient constamment. Bob est heureux avec sa liberté – il a toujours été indépendant -, sa pêche, son golf et son auto. Il n’a pas besoin d’autre chose, Bob, et on le croit, sincèrement, tout en l’enviant un peu, mais juste un peu. Non, pas le golf ou la pêche, mais d’être satisfait. C’est rare de trouver une personne qui soit satisfaite de son présent, de ce qu’elle a. Sans faire de généralités, nous sommes globalement tous des pros du conditionnel et des mises en bouteille. Mais Bob, ça va. Même s’il a peur de l’avion et qu’il ne veut pas l’avouer. Car, comme il pourrait le dire lui-même, « si l’homme avait dû rouler, il aurait des roues ! ». Il n’en a pas, ce qui n’empêche pas Bob d’adorer conduire des heures durant sans s’arrêter entre le New Jersey et la Géorgie !

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Et bien, ne faites pas cette tête ! Quoique, pendant 2 microsecondes, je me suis profondément interrogée sur le statut de ce vieux monsieur inanimé, ton sur ton, affalé dans un de ces fauteuils en cuir sombre qui parsèment les six étages du MoMa où défilent, dans un ballet incessant, touristes en quête des Demoiselles d’Avignon et locaux aspirant à un peu plus de retenue… Courte ou longue sieste ? Personne en panique autour de lui, il doit encore respirer. D’ailleurs, un livre, probablement trop lourd pour être porté à bout de bras, est posé sur ses genoux hiboux joujoux poux. Ceci dit, il y a pire que mourir sous le coup de la beauté d’une œuvre en compulsant un livre d’art !

Question de point de vue évidemment et d’interprétation, l’idéal étant quand même de finir le livre, de le refermer, et de se relever, même difficilement, pour s’extraire de cet antre où de vraies natures mortes sont placardées sur les murs blancs. Vous savez, les fruits directement sur la table ou savamment agencés dans des coupes, les lapins morts, les bouquets de fleurs colorées, les pichets de vin, parfois un crâne ou deux pour mieux justifier le style… Mais, lorsque l’on se penche sur le cartel pour découvrir l’auteur de la pièce en question, à côté du nom, ce n’est pas « nature morte » qui est inscrit mais « still-life ». Une traduction, pourtant tri-centenaire, qui transpire ce point de vue culturel sur le trépas et, qui, à la mort, mot tabou, trop sec, trop brutal, trop vrai outre atlantique, préfère l’espoir de la vie, encore là même si silencieuse, immobile… Comme ce vieux monsieur, là, avachi mais toujours en vie… Enfin, il faudrait peut-être aller vérifier quand même.

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Prenez un quartier désaffecté, abandonné, malfamé, dangereux, oublié, livré à lui-même, en résumé, une petite jungle underground à la surface de la ville où personne n’ose aller volontairement sauf ceux qui y vivent et qui aimeraient probablement en partir s’ils le pouvaient. Conséquence de cette micro fiche d’identité qu’aucune agence immobilière ne mettrait en vitrine : s’y installer ne coûte rien. Ou si peu. Un argument de taille pour une population qui n’a peur de rien, et surtout, pas toujours le choix : les artistes. Les inconnus. Ceux en devenir, en quête de reconnaissance, ou de connaissance tout court. Voilà donc qu’en débarquent quelques uns, sans le sou, en quête d’espace et de liberté dans ces maisons aux vitres cassées ou ces immeubles chancelants. Ils créent en vivotant, se constituent en petits groupes… Le mot circule, et bientôt, d’autres artistes arrivent et s’installent dans ces lieux désertés par tout être sensé. Le temps passe et cette nouvelle population avant-gardiste, cool, visionnaire fait naître de nouveaux besoins : des bars, des cafés, des lieux où se retrouver… Alors, des bars, des cafés, des lieux où se retrouver sortent des décombres et viennent ressusciter des rez-de-chaussée murés… Les artistes s’y retrouvent, mais aussi leurs amis habitant d’autres quartiers et bravant héroïquement le danger…

Puis, les artistes produisant – de l’art -, un autre besoin émerge : celui de montrer ce qu’ils font. Des galeries, des théâtres, des espaces communautaires sortent de terre, avec leur cortège de restaurants, cafés et autres. On en parle dans la presse. Petit à petit, l’extérieur se déplace vers ce nouvel intérieur, ce nouveau quartier branché. Branché car en mouvement, dynamique, créatif. L’antre reprend des couleurs, du bleu, du rouge, du jaune, du vert et aussi celle de l’argent. Les vitres brisées sont remplacées, les portes sont repeintes, les murs sont ravalés, le quartier fait peau neuve. Peu à peu, les artistes ne sont plus les seuls à l’adopter. De nouveaux commerces ouvrent pour satisfaire ces nouveaux arrivants, la circulation reprend, l’obscurité ne fait plus peur. Des promoteurs immobiliers sentent le vent tourner, font des plans sur la comète… Et les comètes, ça fait toujours rêver. Quel qu’en soit le prix. En quelques années, grâce aux artistes pionniers, ce qui était un rebut de la ville s’est transformé en quartier bien plus qu’honorable. Un quartier où il fait bon vivre, légèrement bobo. C’est ainsi que Brooklyn ou SoHo à New York ont gagné leur chic actuel (et leurs prix bientôt inabordables), c’est ainsi que le quartier d’Alberta Street à Portland a totalement changé de visage en 5 ans. Il m’est d’avis qu’une prime devrait être reversée aux artistes pour leur rôle indéniable dans la réhabilitation de ces lieux. Evidemment, l’histoire ne dit pas vraiment ce qui est arrivé à leurs anciens locataires. Certains ont réussi à rester, ravivés par la nouvelle flamme animant les alentours, d’autres ont dû partir, poussés par la nouvelle pression immobilière… La place reste encore accessible, même pour des artistes…

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