Photo-graphies et un peu plus…


Contrairement aux apparences, souvent trompeuses, ces images n’ont pas été volées au Musée des métiers d’antan, si jamais il existe, mais bien au présent. Pourtant, il y a à parier que rien n’a changé en ces lieux – en haut et en bas – depuis plusieurs décades. Comme si le temps s’y était posé. Du tableau accroché au mur faisant office de catalogue des coupes de cheveux officielles au vieux transistor posé sur l’étagère en coin, en passant par ces magnifiques fauteuils en fer forgé et cuir bombé et cette vieille photo du salon bien encadrée, tout respire le passé. Mais pas un passé poussiéreux, un passé heureux. Empli d’anecdotes d’un quartier autrefois ouvrier au nom tout droit sorti d’un livre d’anticipation, le Mile End. On imagine sans peine que, Tommy, celui qui taille aujourd’hui les barbes et coupe les cheveux, est l’apprenti qui, il y a 53 ans, mettait pour la première fois, les pieds dans ce Barber shop typique qui perdure en Amérique du Nord.

Signe distinctif ? Ce poteau strié aux bandes bleu-blanc-rouge qui tournoie, comme une illusion d’optique. La tradition remonterait au Moyen Age, à l’époque où la chirurgie, la coiffure, la dentisterie, c’était un peu du pareil au même… Il suffisait de savoir manier quelques objets tranchants ! Ainsi, en 1666 par exemple, lorsque vous poussiez la porte d’une de ces échoppes, le barbier chirurgien en chef pouvait vous faire une coupe bien proprette, vous raser de près, mais aussi vous faire une petite saignée et vous arracher cette dent de sagesse qui vous fait affreusement mal. Tout cela car la chirurgie a été condamnée par l’Eglise, à cause du sang répandu, et que les médecins, de mèche, ont, de fait, arrêté, de la pratiquer.

Comme souvent, les hypothèses se multiplient pour expliquer l’origine de certaines traditions. L’enseigne tricolore du barbier n’échappe pas à la règle : l’une de ces hypothèses stipule que les barbiers chirurgiens s’occupaient aussi de couper le cordon ombilical des nouveaux nés et que le poteau de barbier n’est autre que la représentation (très extrapolée) du cordon. Donc, rouge pour l’artère, bleue pour la veine et blanc pour la couleur du cordon, le tout inextricablement emmêlé… Une autre ? Le poteau bleu symboliserait le bâton à serrer par les visiteurs pour que leurs veines ressortent, le blanc, les bandages propres et le rouge, le sang évidemment. Quoiqu’il en soit, messieurs, aujourd’hui, vous pouvez aller chez Tommy sans crainte, la chirurgie a gagné ses lettres de noblesse – séparation  réussie de l’Eglise et de la science -, et les barbiers chirurgiens sont retournés à leurs premières amours : le poil !

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Comme ça, sans prévenir, au 21e siècle, des jeunes n’ayant pas connu la guerre se retrouvent, tel un jeu, chaque dimanche, sur la clairière bercée par le soleil tombant, pour se livrer des batailles d’une autre époque.

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30°C d’amplitude thermique entre l’intérieur et l’extérieur. Le choc. Les métaux transpirent. Les verres s’embuent, jusqu’à s’opacifier. Le temps de la réconciliation, le monde disparaît dans un flou massif gommant les moindres détails et nous rendant temporairement aveugles. Sensation de flottement, d’errance entre deux mondes. Réveil post-anesthésie. On progresse à tâtons dans cet univers éphémère où les êtres croisés ne sont plus que de grossières formes sans finesse, à peine l’ombre d’eux-mêmes. Dans ce couloir que  l’on devine étroit, la lumière vive nous guide alors jusqu’au miracle : on voit à nouveau !

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Osons une lapalissade liminaire : la découverte d’une ville est multi-sensorielle. Enfin, pas nécessairement une ville. La découverte d’un lieu en général, qu’il s’agisse d’une ville, d’une maison, d’une forêt ou de tout autre chose. Mais arrêtons nous sur la ville. La vue et l’ouïe sont les premiers sens a priori sollicités, dans de telles circonstances. Ceux qui sont en éveil car ils sont en terre inconnue. Le toucher l’est aussi, d’une certaine manière dans la mesure où nous avons les pieds sur terre. Mais, de façon totalement réductrice, j’associe plutôt le toucher aux mains… Une ville peut aussi se goûter, mais cela me semble plus relever de la métaphore.

Enfin, il y a l’odorat. Une ville se sent. Une ville sent. On a d’ailleurs facilement tendance à dire que la ville « sent mauvais »… La pollution, les pots d’échappement, les déjections canines, l’urine humaine, les détritus… C’est, bien heureusement, une impression totalement exagérée. Et une ville peut sentir tout à fait autre chose. Montréal, par exemple, sent la cuisine à partir de 16h30 – 17h. C’est en tout cas la sensation que j’ai eue les premières semaines lorsque je me trouvais dehors à ces heures-ci. Un mélange de steak frit et de muffin venant chatouiller les narines quelle que soit la rue où l’on se trouve, donnant l’impression que les agents de la ville ont été missionnés pour diffuser cette mixture détonante histoire d’aiguiser les appétits. Résultat diamétralement opposé pour moi : j’ai l’impression que l’on me sert goûter et dîner dans la même assiette alors que je n’ai pas faim.

Deuxième expérience olfactive citadine, pour le moins étonnante. Limite hors sujet. Direction New York. Une odeur me réveille en pleine nuit. Il est 4h. Quelque chose de fort, de piquant… D’habitude, c’est plutôt le bruit qui est susceptible de nous extraire des bras de Morphée. Là, non. C’est une odeur de feu, d’incendie, de cramé, de plastique brûlé. L’odeur est si prégnante que je vérifie que ce n’est pas la maison qui brûle. Non. Mais l’odeur est bien réelle, émanation d’un feu qui s’est déclaré un bloc à l’est dans une bodega familiale. Ce réveil est-il une manifestation de l’instinct de survie ? En tout cas, une preuve par l’exemple que les sens n’attendent pas la conscience pour s’exercer.

Enfin, Chicago, ville d’une beauté architecturale saisissante où les yeux et les oreilles sont sur-sollicités. Là, bizarrement, une odeur totalement incongrue vient titiller le nez. Une odeur de chocolat. Ici, puis là, et encore là. En plein cœur de la skyline, en pleine nuit. On ne peut pas faire plus ville. J’ai l’impression que cette odeur me poursuit quelle que soit la route empruntée. Certes, c’est mieux qu’un gangster ! Et puis, il fait froid et un chocolat chaud ne serait pas superflu, mais de là à avoir des hallucinations olfactives, il y a un pas que je ne souhaite pas encore franchir. Evidemment, au premier stimulus, la recherche d’un café commence. Tout est fermé. En dernier recours, j’ouvre le guide, avec l’espoir d’y trouver l’explication. Bingo ! Une chocolaterie, sans Charlie, est située à quelques miles de là, dans la ville même, et joue les ensorceleuses masquées ! Un détail. Mais voilà, désormais, à mes « yeux », Chicago aura l’odeur de cacao…

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Ou les risques du pilotage automatique… Ces moments légèrement angoissants a posteriori où l’on réalise que cela fait bien 10 minutes que l’on marche sans lever la tête et sans se tromper de chemin pour autant. Nos jambes ont pris le relais de nos yeux et nous guident dans la ville ou les couloirs du métro, nous permettant ainsi de lire, d’écrire en marchant ou simplement de rêvasser sans danger. Cela se passe effectivement ainsi si le trajet est, d’une part, parcouru régulièrement, donc, d’une certaine manière, enregistré par le corps, et d’autre part, non piégé. Le piège étant un nouvel élément sur le parcours. Un congénère s’évite assez facilement, grâce au détecteur de présence qui se met en route dans de telles circonstances.

Je parle de vrais pièges, comme celui-ci, là-haut. Le nouveau derrière l’illusion du même… Typiquement, ce cafouillage dans ce béton encore frais est le fruit d’un pilotage automatique mal géré. On le voit d’ici : un homme, la quarantaine dynamique, avec des chaussures noires cirées. D’un pas alerte mais la tête en l’air, il amorce le dernier virage avant d’arriver au pied de son immeuble. Il ne se rend même pas compte qu’un panneau lui interdit de se garer, ce qui, nous sommes d’accord, ne lui apporte rien dans un contexte de piéton. Ce n’est qu’en posant le pied au sol qu’il réalise que quelque chose d’anormal fait qu’il s’y enfonce. Réflexe conditionné, en une micro-seconde, il regarde le sol, réalise son erreur, amorce un petit saut et recule d’un pas pour se sortir de ce pétrin béton.

Il est maintenant sur la terre ferme, regarde ses chaussures noires cirées – la droite est pleine de cette matière grise visqueuse -, puis à droite et à gauche pour voir si quelqu’un l’a vu. Personne. L’air de rien, il file sur le chemin bis prévu par les ouvriers pour permettre aux habitants de rentrer chez eux le temps que la matière sèche, laissant visibles les stigmates de sa tentative de passage. La question : les ouvriers seront-ils arrivés à temps, c’est-à-dire avant que les traces de pas ne se  figent définitivement, un peu comme les mains des stars sur Hollywood Boulevard à Los Angeles ? Et si tel n’est pas le cas, combien de personnes en pilotage automatique finiront par trébucher sur ce piège artificiel ?

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Tomber par hasard sur un feu d’artifice hivernal est un luxe, qui justifie cette petite redondance d’éclats de lumières multicolores zébrant un ciel d’un noir profond en ce jour marqué d’une croix par les petits et les grands. Au-delà du spectacle céleste concocté avec minutie par les artificiers, c’est la musique composée par les explosions répétées des fusées, bouquets et autres cascades, et la vibration concomitante qui se propage dans nos corps fébriles qui rendent ces embrasements si magiques. Quand les uns ont les yeux éblouis rivés au plafond stroboscopique, l’amateur de photo à 5 pattes les a derrière l’œilleton, convaincu qu’il réussira, cette fois-ci, à maîtriser le chemin de la lumière. Une illusion, bien entendu ! Alors, autant laisser ces fines particules d’oxyde métallique en combustion parader librement devant les capteurs photoniques !

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Il est certains endroits où les fêtes sont visiblement prises très au sérieux. Cela s’accompagne d’un cortège de décorations toutes plus étonnantes les unes que les autres. Halloween a ainsi permis de voir fleurir des citrouilles et courges musquées masquées et grimées sur les porches des maisons, des banderoles de têtes de mort en travers des fenêtres, des tombes et croix dans les jardins, des sorcières sur balai aux balcons ou encore des toiles d’araignées aux portes. Un bestiaire morbide finalement assez amusant, en passant.

A peine deux mois plus tard, les mêmes décorateurs urbains ont troqué, avec plus ou moins de bon goût, leurs sombres artifices pour des loupiotes bigarrées pendant aux fenêtres, des guirlandes de lumières entourant d’affection les montées d’escalier et autres personnages plutôt gonflés – Père Noël en tête, sapins, nains & co – squattant les paliers. Avec décembre grignotant progressivement ses jours, chaque rue, plongée dans la nuit à l’heure du goûter, s’illuminait un peu plus. Et l’émulation inter-voisinage fonctionnant à plein régime dans ces circonstances, c’est par petites grappes de maisons que ces phares festifs se sont allumés pour souhaiter à tous, du début à la fin de la nuit, un Joyeux Noël…

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L’arrivée d’un appareil photo numérique entre mes mains, et d’une manière générale, entre les mains de quiconque, a changé un certain nombre de choses fondamentales. Notamment, la façon de faire des photographies. Je n’évoquerai pas ici la séparation physique de l’appareil liée à la visualisation par écran : on ne fait désormais plus corps avec lui, et cela, c’est une révolution. A mon sens. Mais c’est un sujet en soi.

Non, ce qui a surtout changé, c’est le nombre de photos que l’on s’autorise à faire sous prétexte qu’il n’y a plus de pellicules à acheter. Et donc, que, d’une certaine manière, prendre une photo devient gratuit. Prendre mille photos ne coûte d’ailleurs pas plus cher, dès lors que l’on les conserve au chaud dans son ordinateur bien sûr. Là où la pellicule, payante, incitait à un minimum de retenue, et donc, de réflexion avant déclenchement, la carte mémoire l’efface. Quelle importance, en effet, de prendre dix fois à peu près la même vue pour augmenter ses chances d’en avoir une « bonne », quand il suffit d’effacer les neuf moins bonnes au moment de la sélection ?

Mais, c’est justement à ce moment précis que cela se complique. Car, à y regarder de plus près, sur chacune de ces dix vues, il y a toujours un petit quelque chose que l’on aime vraiment, que l’on ne retrouve pas sur les autres images, argument que l’on se sert à soi même pour ne pas supprimer les neuf images de trop. Car, il ne faut pas fantasmer, sur ces dix images, il y en a toujours neuf qui sont inutiles. Voire dix. Ce non choix est, petit à petit, responsable de l’inflation incontrôlée de notre photothèque. Pour avoir la conscience tranquille face à ces outsiders conservés tout en sachant qu’ils ne seront pas utilisés dans leur entièreté, j’ai trouvé une parade : assembler ces petits bouts si particuliers, et ainsi, recomposer une image, irréelle, significative. Evidemment, aller au bout de la démarche impliquerait de supprimer les parties non exploitées des photos utilisées pour le montage. Ce serait trop simple. D’autres parties de ces images pourraient en effet s’avérer intéressantes ultérieurement. Et voilà comment, malgré ma bonne volonté, ma base photo augmente au lieu de décroître…

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« Attention à la fermeture automatique des portes ! » Des doubles portes même ! Il y a toujours une légère angoisse à voir quelqu’un faire fi de cet augure qui se vérifie à chaque fois, et se jeter à corps perdu, comme si sa vie en dépendait, dans le train ambulant alors même que la sonnerie retentit… Surtout sur cette ligne 14 ! Elles en ont piégé des jambes, des sacs, des manteaux, des écharpes, ces pinces de Météor… Mais une fois installé en sa queue, les yeux rivés vers le passé, ce serpent de lumière offre un voyage galactique dans les entrailles de la Capitale.

« Attention à la fermeture automatique des portes ! » est une phrase que nous n’entendons jamais dans le métro montréalais. Non pas parce que le métro ne s’arrête pas en station comme celui en direction de Shell Beach dans Dark City, mais tout simplement, car ses portes se ferment sans crier gare ! Il n’y a pas ce cri strident ricochant de rame en rame pour inviter ceux qui veulent entrer et ceux qui veulent sortir à se presser, quitte à ce que soudainement transformés en rugbymen métropolitains, ils éjectent quelques transportés au passage. Le métro arrive, s’allonge sur le quai, les portes ouvrent leurs bras, à peine quelques secondes et les referment lentement derrière leurs nouvelles proies. Est-ce à dire qu’il règne ici une sorte de sérénité rendant totalement ridicule toute course vers une porte en train de se fermer ? Ou que l’on n’est pas à 5 minutes près ? En tout cas, cela apprend à attendre.

Musique originale de MétéoRythme : Coralie Vincent

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« De la photo de parkinsonien ! » C’est un commentaire qui m’a été fait indirectement, un jour, suite à la présentation, par une tierce personne, d’une sélection de photos « légèrement » mouvementées sur Paris. Certaines ont pris ici dans Des fils de lumière… L’image ci-dessus n’en faisait pas partie. Je l’ai captée après. Un soir de pluie. Comme quoi, certains commentaires glissent sur nous comme une goutte d’eau sur une peau bien lisse… Et puis, je ne sais pas pour qui il était le plus désobligeant. Les parkinsoniens ou moi ? Montrer ce que l’on fait expose évidemment à toutes sortes d’avis. C’est la règle du jeu. Et faire la part des choses s’apprend… Mais où ?

Quoi qu’il en soit, j’aime la photo bougée. J’aime – même si, du fait du principe même de l’image fixe, cela peut sembler être une aberration – prendre des photos en marchant, tout en portant malgré tout une réelle attention à ce que je mets dans le cadre. J’aime la danse des lumières sur le macadam luisant, la convergence des courbes colorées ou au contraire, leur fuite organisée, les métamorphoses des éléments capturés. Au final, le nouveau monde qui se crée en secret dans la petite boîte noire, irréel, et que l’on découvre, a posteriori, au sec, avec empressement, telles des friandises dans une pochette surprise. J’aime le côté indéfini de ces images, prises dans la précipitation (c’est de circonstance…) ou pas (certains bougés sont très réfléchis…), comme s’il s’agissait de photos volées. Volées à qui ? A quoi ? A l’instant, je crois.

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