Photo-graphies et un peu plus…

En chemin

Il est certaines images que l’on fait et refait des centaines de fois, année après année, sans s’en rendre vraiment compte. Pas celle-ci en particulier, mais ce qu’elle dit, ce qu’elle montre, ce qu’elle laisse transparaître de soi, de ses préoccupations et de sa perception du monde. Comme un motif que l’on transporterait avec soi, en soi et parfois hors de soi. Je rectifie ce que je viens d’écrire – je pourrais l’effacer et vous n’en sauriez rien, mais c’est déjà là et je n’aime pas revenir en arrière – : ce n’est pas vrai que l’on ne s’en rend pas compte. On a parfaitement conscience, lorsque l’on y est confronté, volontairement ou pas, d’être en présence d’une scène incarnant nos pensées les plus intimes, donc essentielle car rare. C’est instinctif, tout en nous entre en vibration avec bonheur, tandis qu’une boule invisible se met à jouer du yoyo entre notre gorge et notre ventre, et qu’il devient extrêmement pénible d’avaler ne serait-ce qu’une seule fois sa salive. En réalité, quelque chose d’étrange et souvent d’imperceptible de l’extérieur se produit : par le simple fait d’exister, cette scène-là fait tomber murs, réserves et autres verrous pour nous mettre totalement à nu, car cette scène-là n’est ni plus ni moins que l’image, certes un peu déformée mais d’une formidable pertinence et justesse, que renverrait un miroir extralucide posé juste en face de soi…

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Les faits miroirs

Petite, je rêvais d’être architecte. Et comme je suis restée petite, le rêve a lui-même perduré. Mais que faire d’un rêve qui insiste et qui n’est pourtant pas destiné à être réalisé ? Le contourner, ou le détourner, pour le vivre différemment.

Simplement, dans un premier temps. Avec les yeux donc. En arpentant les villes à l’affût de formes singulières, d’enchevêtrements détonants, de contractions temporelles, d’une ligne, d’une lumière, d’une couleur, d’une identité propre à chacune… Rapidement, j’ai voulu emporter avec moi des morceaux de ces cités glanés de ci de là : je les ai donc mis dans mes boîtes à images. La Nature s’est logiquement invitée dans la danse. Chez elle aussi, s’exprime une certaine forme d’architecture d’autant plus fascinante qu’elle est innée et ne doit rien à l’Homme. Et puis, plus récemment, j’ai eu envie de jouer à l’architecte, pour de faux, pour de vrai, en tout cas, sans être freinée par les contraintes fortes de la réalité ni de la réalisation. Ainsi, ai-je créé ces métastructures. De façon totalement compulsive, j’en ai généré plus de 150. En voici 65.

Elles sont déjà d’une grande diversité. Et pourtant, assez trivialement, c’est le même geste, indéfiniment et systématiquement réitéré, qui est à leur origine. Là où la symétrie simule une forme de perfection illusoire et inatteignable, la répétition d’un motif renvoie à une histoire qui se redit inlassablement… Je n’en suis pas moins envoûtée et captivée par la pureté, le mystère et la finesse décuplées de cette Nature autant que par la variété, l’étrangeté et l’élégance de ces constructions humaines ainsi assemblées.

Certaines de ces métastructures reflètent ainsi un besoin de maîtrise, d’ordre ou d’ordonnancement, dans un univers qui pourrait sembler chaotique. Directement ou indirectement, elles font écho à mes interrogations sur le temps qui passe irrémédiablement, sur le futur, sur l’évolution de notre société – tour à tour ouverte au monde, recroquevillée sur elle-même et quasi impénétrable, accueillante ou répulsive… –, et donc, à ma petite échelle, sur la place de l’Homme sur Terre… D’autres semblent anecdotiques et n’exister que pour flatter et célébrer ma quête d’esthétique. Je la revendique et ne veux pas en être gênée. J’aime être en mesure de me promener sur cette planète en n’ayant d’autre but que d’être sensible au Beau (à mes yeux bien sûr).

Toutes contribuent à imaginer un autre monde à partir de celui que nous connaissons, créant parfois un sentiment d’inquiétante étrangeté ou, au contraire, une atmosphère rassurante et réconfortante. Bref, ces images se contredisent. Comme moi entre un jour et le suivant, comme chacun de nous à un moment. Avec elles, je ne cherche pas la cohérence, simplement à illustrer un bouillonnement intérieur qui n’a d’autre modèle que celui de ce monde vertigineux et parfois insaisissable dans lequel nous vivons…

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Pour découvrir les 65 métastructures, c’est aussi ici.

Si vous êtes sur mobile ou tablette, ou si vous aimez les ebooks, vous pouvez aller là :

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La magie

Le plus magique avec la magie est d’y croire malgré tout. J’écris « malgré tout » car je ne suis pas dupe. J’ai bien conscience qu’il ne s’agit que d’illusion, qu’il y a un « truc » comme on le dit facilement, et que ce « truc » échappe à ma vigilance. Et aussi à ma raison. Sciemment. Car lorsque j’assiste à un tour de magie, je choisis d’y croire. Ou plutôt, j’y crois. Je mets mon esprit analytique au dernier rang de mon petit théâtre cartésien et prends mon billet pour ce monde étrange où ce qui est impossible partout ailleurs devient réel et vraisemblable. C’est une parenthèse enchantée en pleine réalité où, tout d’un coup, un dessin de colombe peut se transformer en vraie colombe, où une salade peut contenir un kiwi qui contient lui-même une carte signée, où une corde coupée en dix morceaux peut se reconstituer, où un foulard peut devenir œuf, où une salle entière – les yeux pétillants d’incrédulité – peut tirer la même carte de son propre jeu au même instant, où tout se passe sous nos yeux ébahis et où nous n’y voyons pourtant que du feu… Ainsi la magie symbolise-t-elle cette capacité à croire en quelque chose qui n’existe pas. N’est-ce pas vertigineux ?

Bien sûr, de l’aveu même des magiciens, derrière tout tour de magie, il y a un détournement. Et pas n’importe lequel ! Un détournement d’attention. Un laps de temps souvent extrêmement court pendant lequel le spectateur est invité, plus ou moins subtilement, à regarder ailleurs, à se concentrer sur une action parallèle dont la seule raison d’être est de l’éloigner de la scène capitale jouée en solo par le prestidigitateur, l’illusionniste ou le magicien. Un laps de temps qui le détourne de l’essentiel, à savoir, le passage de l’impossible au possible, du possible au visible, cette transition qui fait lâcher des « Nooon ! » anticipés et admiratifs dans l’assemblée – sorte de résistance ultime de notre conscience – avant même la fin du tour et alors que tout est déjà joué.

Et puis, en sortant de la salle de spectacle, encore tout émerveillé par ce que nous venons de voir, ou au contraire, de ne pas voir, nous reprenons progressivement nos esprits, nous rapatrions notre esprit cartésien sur le devant de la scène pour réaliser que les magiciens sont loin d’être les seuls à user de ce détournement d’attention… Mettre exagérément et durablement l’accent sur un sujet « insignifiant », idéalement compassionnel, pendant que d’autres, à l’enjeu plus important mais surtout plus controversés, sont à peine abordés et n’atteignent le niveau de conscience des gens qu’une fois les décisions validées et prises. Le tour est joué ! Si les politiques et les médias sont passés maîtres dans l’art du détournement d’attention pour arriver à leurs fins, la championne des championnes en la matière n’est autre que la vie elle-même. Qui, fort heureusement, la plupart du temps, passe comme ça, l’air de rien, avec un contenu qui est ce qu’il est, propre à chacun, qui nous occupe tant et si bien que nous en oublions, parfois, qu’elle a une fin…

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Nébulaire du temps

Nombreux sont les sujets ici développés nés d’une conversation. C’était le cas de Les lambda là, le duo d’avant hier. C’est également le cas de celui-ci, encore embryonnaire, consacré au cloud evangelist. Je vois que vous faites la même tête que moi quand j’ai entendu l’expression pour la première fois. Pour tuer dans l’œuf toute interprétation poétique qui pourrait vous avoir traversé l’esprit – quelle étrange expression soit dit en passant -, non, le cloud evangelist n’est pas un devin des causes nuageuses qui clamerait dans sa tournée générale sur la croûte terrestre :

– Oyez, oyez, bonnes gens ! Altocumulus, nimbostratus et stratocumulus en approche ! N’ayez pas peur, accueillez-les généreusement, ils vous ouvriront des portes insoupçonnées !

Non, ici, en 2015, le cloud fait directement écho au cloud 3.0, c’est-à-dire à cet univers parallèle, informe voire nébuleux, et surtout totalement virtuel « dans » lequel vous êtes invité à stocker vos photos, vos vidéos, vos musiques, vos documents mais aussi vos plans de maison, vos équations mathématiques, vos recettes de cuisine, vos pensées secrètes, vos numéros de compte, vos mensurations, votre vie, le tout se retrouvant « en ligne » et accessible où que vous soyez sur la planète Terre (si tant est que vous soyez connecté) et depuis n’importe quel appareil. C’est le côté hautement « pratique » de cette forme éthérée – valeur actuelle dont j’ai déjà évoqué la face B en ces pages – auquel sont sensibles les nomades multi-connectés que nous sommes devenus sans réellement nous en rendre compte…

Mais revenons à nous moutons numériques… Si, historiquement, l’évangélisation a pour finalité de convertir au christianisme des populations qui ne le connaissent pas et de leur annoncer la « bonne nouvelle » (l’évangile donc) – aujourd’hui, un post sur Twitter ou Facebook règlerait l’affaire -, dans le même esprit, le cloud evangelist, un nouveau métier dans l’air du temps, prêche la bonne parole numérique en usant des mêmes méthodes que ses ancêtres pour convaincre ses auditeurs de migrer vers le cloud. Alleluia !

Le problème avec les nuages, aussi inoffensifs soient-ils, est que, parfois, ils laissent s’échapper quelques gouttes de pluie. Des fuites si vous préférez. De données personnelles bien sûr. La monnaie du moment. De fâcheux piratages qui font couler beaucoup d’encre numérique et illustrent parfaitement à quel point la vie privée, au même titre que les objets qui la contiennent, est elle-même touchée, non par la grâce, mais bien par l’obsolescence programmée… Et, pour s’en convaincre un peu plus, il suffit de filer dans l’une des salles de cinéma projetant encore le documentaire de Laura Poitras, Citizen Four, relatant avec brio et suspense – ce qui est un véritable tour de force puisque nous connaissons l’issue de l’affaire – la semaine précédant la divulgation par le lanceur d’alerte Edward Snowden (le 4e citoyen en question) de documents prouvant les méthodes orwelliennes de surveillance planétaire de chacun d’entre nous. 114 minutes déconcertantes qui aident à saisir que ce que le cloud evangelist risque de bientôt annoncer, c’est plutôt l’apocalypse ! Ce qui n’est pas, à proprement parler, une bonne nouvelle…

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Zen (ou pas)

C’est une sorte de marronnier… Vous savez, ces sujets que la presse recycle à des fréquences variables et qui vous donnent l’impression qu’elle ne sait pas se renouveler ou qu’elle vous prend pour des Alzheimer précoces, voire des poissons rouges : les meilleures techniques de bronzage ou les derniers régimes avant les vacances d’été, les prix de l’immobilier dans votre région, le palmarès des lycées ou des hôpitaux, les francs-maçons et bien d’autres encore…

Dans ce cas précis, il s’agirait plutôt d’un MCRR, un Marronnier Comportemental Régulièrement Reporté. Vous savez, ces choses que vous vous répétez chaque année en vous disant « cette fois-ci, c’est la bonne, je m’y mets sérieusement (ou tout court) ! », mais que vous finissez toujours par différer pour une raison que vous estimez valable sur le moment et qui, objectivement, ne l’est pas du tout. Cela peut être d’apprendre enfin à jouer du pipo, d’aller faire du tir à l’arc chaque semaine ou de vous mettre au javanais… Ces petits enseignements qui changent une vie mais qui requièrent un minimum d’investissement.

Ainsi, sans réellement m’en rendre compte, cela doit bien faire une petite dizaine d’années que je réussis à me persuader que je vais enfin m’inscrire à un cours de yoga. Ce n’est pas compliqué, le yoga, ce n’est pas comme si je m’étais réveillée un matin avec l’envie d’apprendre à voler ! Et pourtant ! De fait, récemment, prenant enfin conscience d’être bel et bien atteinte du syndrome MCRR, j’ai changé mon fusil d’épaule. J’ai décidé de mettre à la médidation, pensant naïvement que ce serait plus simple – notamment car je pourrais commencer sans avoir à sortir de chez moi – et que cela ne pourrait me faire que du bien – ça frise l’entropie là-haut !.

Un matin, juste après ma dose de caféine, je me poste donc devant mon écran en quête d’une technique de méditation pour débutants-ignares-profanes… J’en choisis une dans la centaine de résultats recensés. Je me sens prête ! J’avale l’introduction, j’acquiesce au terme de chaque phrase, je suis au bon endroit, je me sens prête pour le premier exercice, présenté comme un test pour déterminer si le petit scarabée l’est vraiment ou pas, prêt : ne rien faire pendant 5 minutes ! Et là, c’est le drame, tous les espoirs que je fondais sur ce nouveau futur moi hyper calme et serein s’effondrent net : vraiment, ne rien faire pendant 5 minutes, là, tout de suite maintenant ? Mais vous ne vous rendez pas compte, ce n’est absolument pas le moment ! Et voilà comment, en quelques secondes, la méditation est à son tour devenue un MCRR…

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Les goûts changent avec les modes, mais aussi avec l’âge. Il paraît. C’est logique en même temps – nous ne sommes pas, à 60 ans, la personne que nous étions à 40, encore moins à 20, et pouvons donc, à ce titre, être attiré par des choses différentes selon ces périodes de notre vie – mais c’est aussi inquiétant – en fonction de quels critères ces goûts évoluent-ils et vers quoi ?

En fait, je me pose une question très précise et très sérieuse : suis-je condamnée à aimer les motifs à fleurs voire les tableaux avec des « petits chats » appelés encore chatons ? Non que cela soit un mal… Pour tout dire, je n’éprouve aucun ressentiment négatif envers les fleurs ni les « petits chats » (encore que…) mais j’ai parfois l’impression, en voyant mes congénères plus âgées s’enthousiasmer devant ce type d’incarnations, que c’est un passage obligé dans la vie, indépendant de notre volonté, un peu comme la mort. Et surtout, je ne vois absolument pas comment je vais passer de « Ce sont juste des fleurs ! » et d’une indifférence totale à l’égard des chats à « Regarde comme il est mignon ce petit chat tout tigré ! » ou « Pas mal, cette nappe à pâquerettes ! ».

Pourtant l’évolution est bel et bien en marche, sans que je n’en ai réellement conscience… sauf lorsque je décide d’écrire un temps sur les goûts et les couleurs. Par exemple, il y a quelques années, je n’aurais jamais pris cette photo de parterre floral. Qu’il se trouve à Osaka – « oh, regardez les fleurs qu’ils ont au Japon ! » – ne joue qu’un rôle mineur dans cette réalité. Je serais passée à côté, en le regardant néanmoins, mais pas plus. Heureusement, je ne suis pas encore capable d’énumérer les fleurs qui le compose. Je me contente d’en apprécier la composition, la variété des espèces et des couleurs. Une partie de moi essaye de se rassurer en se disant qu’un tel feu d’artifice de couleurs relève presque de l’art. L’autre me lance sadiquement : « Tu vieillis ma fille… La prochaine fois, ce sont les petits chats que tu prendras en photo ! »

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Le problème avec les avantages est qu’ils sont souvent accompagnés de leur corolaire, les bien-nommés inconvénients. Avant de prendre une décision aux conséquences potentiellement importantes en effet, n’avons-nous pas tendance à dresser une liste des « pour » et des « contre », des « avantages » et des « inconvénients » donc ? Et ainsi à justifier notre décision finale sur la base d’une simple opération mathématique : additionner les +, faire de même avec les – et suivre la voie du plus grand nombre. Comme ça, sans état d’âme. Le calcul peut aussi être un peu plus subtil (et de fait complexe), avec l’instauration d’un système de coefficients, un peu comme au baccalauréat. Tel avantage compterait 6 points, tel inconvénient – juste un petit, y a pas mort d’homme – 1 point etc… On aborde alors un autre point important que sont les priorités. Evidemment, si un choix ne pouvait être accompagné que d’avantages ou d’inconvénients, la vie serait bien plus facile. Il n’y aurait d’ailleurs peut-être pas de mauvais choix ! Encore que les avantages des uns sont parfois les inconvénients des autres… Toujours est-il que, dans la vie réelle, il faut souvent composer avec les deux.

Par exemple (c’est important d’illustrer ce que l’on avance avec des exemples, c’est plus parlant), par exemple donc, Paris. Paris est une ville qui cumule les avantages. Ses loyers modérés, ses habitants aimables, son climat tempéré, son bruit maîtrisé, ses cafés crème à 4€, ses automobilistes bienveillants, ses trottoirs propres, son air pur, ses espaces verts… J’arrête là sinon, tout le monde va débarquer ! L’avantage que l’on ne peut ôter à la capitale, indépendamment de toute ironie, est qu’il est impossible de s’y ennuyer. Et je parle plus spécifiquement du bouillonnement culturel qui saisit presque chaque quartier. Ce foisonnement (qui est aussi un inconvénient, il ne faut pas se leurrer : chaque soir, vous avez le choix entre 572 films, 1 745 pièces de théâtre, 839 concerts… je vous laisse statuer maintenant !), c’est ce qui retient certains parisiens pourtant prêts à quitter la ville lumière : « j’peux pas quitter Paris… le cinéma, le théâtre, les musées, ça m’manquerait trop ! » Etant entendu que parmi ceux-là, il y en a une proportion non négligeable qui ne va ni au ciné, ni au théâtre, ni au musée… mais qui aime l’idée d’avoir toute cette offre à portée de mains. Au cas où.

Pour ceux qui en profitent, la tâche n’est pas forcément plus facile. Il y a la profusion sus-mentionnée d’une part, et le succès de certaines opérations d’autre part qui transforme le plaisir fantasmé en calvaire avéré. Quelques souvenirs de Nuit Blanche, de Paris Plage, de Fête de la Musique, de Journées du Patrimoine, pour ne citer que les plus institutionnelles et récurrentes, remontent à la surface avec leurs rues congestionnées, l’attente indéterminée, les bousculades, les agacements et finalement, les reculades… C’est aussi valable pour les expositions temporaires exceptionnelles qui font faire des nuits blanches, des vraies, aux gardiens pour permettre à une foule en délire avide de culture de découvrir Nighthawks d’Edward Hopper ou L’âne pourri de Salvador Dali…

Ces derniers jours, c’est le street art qui aimante les foules avec la Tour Paris 13, immeuble promis à la démolition dont une trentaine d’appartements a été reconvertie en temple temporaire du graff par une centaine d’artistes venus des quatre ronds du monde. Une belle initiative malheureusement victime de son succès imputable à l’écho médiatique qui a entouré l’événement (« la Tour 13, la plus grande expo de street art du monde ! ») : y accéder requiert une abnégation totale. Il y a d’abord la jauge, pour questions de sécurité, qui limite à 49 le nombre de personnes présentes dans l’immeuble simultanément, invitées, par décence et pitié pour les autres, à ne rester qu’une heure à l’intérieur. Résultat : le succès + la jauge + l’heure que personne ne vérifie = des heures d’attente ! Et pas 1, ni 2 sauf pour ceux qui pointent à 6h du mat alors que les portes n’ouvrent qu’à 11h, mais, 5, 6, 7 voire 8 heures sans, parfois, la certitude de pouvoir entrer… C’est absolument inhumain !

Certains s’y sont repris à deux voire trois fois avant de passer la porte de l’immeuble ; d’autres arrivent la bouche en cœur à 18h en pensant que ça suffit et se heurtent à une petite pancarte leur annonçant qu’à ce panneau, il faut compter 4h d’attente… l’immeuble avalant ses derniers explorateurs à 19h15, vous faites le calcul, c’est raté, ce qui engendre des séances de pleurs insupportables… On capte des stratégies qui s’élaborent entre des petits groupes de personnes qui s’y sont pris trop tard comme s’ils se préparaient à partir à l’assaut du château de l’ennemi : « Moi, je suis prête à revenir demain matin à 7h s’il le faut et à attendre toute la journée ! »… Balèze Blaise ! Et puis il y a ceux qui ont décidé de rester coûte que coûte – en l’occurrence du temps -, qui finissent par sympathiser avec leurs voisins de queue – 8 h d’attente, ça rapproche -, qui ont apporté sandwich et boisson, qui croisent les doigts chaque mètre passé espérant des désistements, des évanouissements, des crises d’hystérie devant pour libérer un peu de place prématurément, et qui finissent par atteindre le palier dans un état de folie avancée, folie qu’ils immortalisent par un clic clac dispensé par les responsables sécurité couleur mandarine avant de disparaître à jamais dans les arcanes de l’art…

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Vous comprendrez, j’espère, que cet endroit doive rester secret… On se transmet son emplacement exact de génération en génération, et, un peu comme avec les astrophysiciens, il faut qu’un membre du groupe trépasse pour pouvoir en introniser un nouveau. C’est que ce qui s’échange là, à l’abri des regards et en silence, est extrêmement précieux. Le luxe ultime pour certains !

En journée ou en pleine nuit, peu importe, c’est ouvert 24h/24, deux populations se croisent derrière ce mur de crépis blanc cassé : ceux qui s’ennuient, qui ne savent que faire de leur temps, qui estiment en avoir trop et qui préféreraient que les journées soient plus courtes, et ceux, au contraire, qui n’arrêtent pas de courir après lui, qui n’en ont jamais assez pour accomplir tout ce qu’ils ont prévu, qui vivent d’optimisation et de frustration, et qui rêveraient de journées plus longues. Ainsi les premiers s’y rendent-ils régulièrement pour déposer une minute de leur temps – pas plus de 8 fois par jour – que les seconds s’empressent de récupérer – pas plus de 8 fois par jour également.

Vous me direz qu’avec une minute par ci, une minute par là, on ne va pas très loin. Ce à quoi je vous répondrais : détrompez-vous ! Car il y a en fait deux écoles chez les récupérateurs de temps : les cigales, autrement dit, ceux qui sont incapables de thésauriser et qui utilisent leurs minutes dès qu’ils les obtiennent comme si elles leur brûlaient les doigts, et les fourmis, qui, jour après jour, les mettent de côté, un peu comme un compte épargne temps classique, et qui, au bout d’un certain laps de temps, se retrouvent avec un, deux, trois jours, une semaine de plus, cagnotte dans laquelle ils ponctionnent en cas d’urgence, atteignant ainsi une sérénité remarquable.

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Je ne sais pas comment vous fonctionnez, vous (oui, nous sommes tous un peu des machines, ne nous leurrons pas !), mais, personnellement, je suis une adepte des listes. Et je ne parle pas spécifiquement des listes de courses. Mais plutôt des listes de choses à faire… Les listes, donc, j’en fait matin, midi et soir. Ce qui peut donner l’impression que j’ai beaucoup de choses à faire. En tout cas, c’est ce dont je veux me convaincre noir sur blanc. Je fais des listes à court terme – le programme de la journée -, des listes à moyen terme – ce qui serait bien d’achever d’ici la fin de la semaine ou du mois – et des listes à long terme – réussir ma vie, mais chacun sait que ça ne veut pas dire grand chose. Evidemment, ce que l’on met dans la liste à moyen terme a une incidence directe sur la liste à court terme, puisque ce qui est à faire pour la fin de semaine ou de mois ne se fera pas tout seul, c’est-à-dire sans intégrer, même de façon partielle, une voire plusieurs liste(s) à court terme. A fortiori, la somme des listes à court et moyen termes est sensée vous permettre de répondre aux objectifs de votre liste à long terme. Nous voyons donc assez rapidement comment cette segmentation du temps – le vôtre, le nôtre, le mien – et des activités qui le décomposent peut devenir un véritable casse-tête lorsque le matin, devant votre feuille blanche, vous commencez à lister les affaires du jour…

La première règle à observer pour établir ce programme est de jeter un œil à celui de la veille. Il y a en effet malheureusement souvent un reliquat, une petite, ou grande d’ailleurs, chose que l’on n’a pas eu/pris le temps de faire et qu’il faut malgré tout achever dans un délai raisonnable (ie pour être en mesure de respecter la liste à moyen terme…). Voilà, consciencieux, vous reportez donc cet inachevé en tête de votre liste, que vous complétez par le reste, ce que vous planifiez d’abattre en ce jour précisément. C’est le matin, il est tôt, vous êtes relativement optimiste sur votre capacité de travail et de concentration, les lignes de votre petit carnet se remplissent vite, et avec elles, votre journée défile sous vos yeux.

Je fais une parenthèse : de façon très pratique, j’alterne entre des listes classiques – une ligne, une action – et des topogrammes – ma petite révolution interne -, qui permet de relier certaines actions entre elles en les scindant en différentes étapes. Psychologiquement, c’est mieux. Exemple : vous avez un article à écrire sur Hawaii (c’est mon cas pour le prochain Umag). Sur la liste linéaire, j’écrirai : article Hawaii. Tout de suite, comme ça, c’est un peu bloquant. Dans le topogramme en revanche, je décomposerai : sélection des photos, envoi au maquettiste, recherche des informations, rédaction. C’est exactement la même quantité de travail mais le fait de l’avoir découpée en petites étapes le rend beaucoup plus accessible. Et puis, cela donne l’occasion de barrer une phase intermédiaire sans attendre d’avoir complètement fini. Or raturer (d’un trait sec et sûr le matin, ou, en fin de journée, de plusieurs appuyés et nerveux) un, idéalement, des élément(s) de sa liste est absolument primordial pour que cet exercice même de dressage de liste conserve un sens à vos yeux ! Fin de la parenthèse.

J’évoquais l’optimisme matinal chaque jour renouvelé malgré ces fameux reliquats qui devraient pourtant nous mettre la puce à l’oreille. Le matin, d’une certaine manière, vous êtes un idéa-liste. Vous croyez que tout est possible, que, même si les journées ne feront jamais plus de 24h, vous aurez le temps de faire tout ce que vous aviez prévu aujourd’hui plus ce qui vous reste de la veille donc, et sûrement de l’avant-veille et de la semaine passée aussi. Ce n’est pas que vous n’y mettiez pas du vôtre – peut-être un peu – ou que vous ne sachiez pas vraiment vous organiser – peut-être un peu – mais le problème avec les listes, c’est qu’elles sont systématiquement perturbées par les imprévus, les impondérables, ce qui vous tombe dessus sans prévenir et que vous ne pouvez vous permettre de reporter pour une raison x ou y. C’est dans ces moments-là, alors que cela fait 4 heures que vous n’avez rien barré sur votre joli topogramme fait avec amour à 8h12 le matin même, que vous vous sentez totalement sous l’eau, submergé et que vous comprenez qu’à nouveau, tout cela était bien irréa-liste !

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Deux secondes après avoir pris cette photo, la mère de ce petit gars en culottes courtes et béret tout sauf local s’est vivement retournée vers moi comme si elle avait été surprise par le craquement d’une branche asséchée sur un sol de forêt recouvert de feuilles mortes alors même qu’elle s’y croyait seule. Elle venait de remarquer, et moi également du reste, que son fils ne la regardait pas elle, ni l’objectif auquel il n’avait manifestement pas envie d’adresser un quelconque sourire, mais moi. Moi qui, dans l’urgence, m’était jetée juste derrière le duo, répliquant la posture repliée de madame, non pas pour les emboîter eux spécifiquement mais bien pour capturer cette scène où coexistaient, voire se superposaient, ce qui fait l’un des irrésistibles charmes du Japon : la modernité et la tradition. Un voyage dans le temps à moindre coût et risque où présent – la mère -, futur – l’enfant – et passé – les futures mariées en kimono – se retrouvaient dans un même espace, illustrant, par la même occasion, le cycle de la vie auquel chacun allait participer… Les futures épouses destinées à avoir des enfants qu’elles viendraient photographier devant cette porte majestueuse du temple Kiomizu vers laquelle se dirigeraient de futures épouses…

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