J’en suis certaine, cela vous est arrivé à vous aussi et vous vous en êtes autant étonné que moi : reconnaître une personne dans la rue, alors qu’elle est encore très loin, qu’elle est entourée de parfaits inconnus, et que vous n’êtes pas en mesure, malgré vos 12/10 aux deux yeux, de distinguer les détails de son visage… C’est son corps qui parle pour elle sans qu’elle n’en aie réellement conscience. Sa démarche en particulier, que vous reconnaîtriez entre mille, car vous avez précédemment enregistré ce léger balancement des épaules, cette tête qui dodeline discrètement, cette jambe gauche qui chasse un peu, ces bras qui se balancent nonchalamment, ce rythme à la fois assuré et vagabond, et que ce sont ces indices-là que vous cherchez puis repérez dans la foule car leur combinaison est unique. C’est alors que vous esquissez un sourire et que, pas à pas, alors que l’hypothèse se confirme 9 fois sur 10, que les détails s’affirment, que bientôt les traits du visage se dessinent, vous entrevoyez, chez l’attendue, cette même expression radieuse des lèvres et des yeux. Elle aussi vous a reconnu(e) de loin, alors que vous ne bougiez pas. Car votre silhouette, même gonflée et déformée par les vêtements d’hiver, est, elle aussi, singulière, au même titre que votre façon de patienter…
La vie est faite de boucles. La Terre tourne sur elle-même en 1 jour tout en tournant autour du Soleil en 365 qui tourne sur lui-même en 27 en moyenne, et aussi autour du barycentre du système solaire, lui-même emporté par la rotation de notre galaxie, la Voie Lactée, qui n’est pas en reste en matière de mouvement.
Chaque jour de 24 heures, sur Terre, un nouveau cycle de 24h commence, avec les mêmes heures qui défilent dans le même ordre et souvent les mêmes rituels pour les occuper. Tout cela est parfaitement bien orchestré. Pendant ce temps là, les hommes, sans interruption à l’échelle macroscopique, naissent puis meurent, avant que d’autres ne naissent puis meurent à leur tour… L’Histoire se répète, malgré les espoirs de « plus jamais ça » ; les modes reviennent, elles aussi, cycliquement ; les schémas sociaux et de vie sont, génération après génération, reproduits plus ou moins consciemment…
Il y a quelque chose d’assez enivrant dans ces rotations de rotation de rotation, comme si nous étions pris dans une valse gigantesque, de la taille de l’univers. Il y a quelque chose d’assez fascinant dans ces cycles à répétition, comme si le champ gravitationnel dans lequel nous sommes pris avaient aussi une influence sur le cours de nos vies. Il y a quelque chose d’assez vertigineux dans ces boucles sans fin, comme si c’était l’ordre naturel des choses… Comme si tout nous ramenait au déjà-vu, déjà-vécu… Pourtant, à l’échelle microscopique, c’est-à-dire individuelle, le même réussit encore à créer le différent, à l’instar de cette nouvelle série de dix photonymes…
La photogénie de la subjugation… De dos, à quelques mètres du vide, tout est possible à propos de ces deux-là. Alors, j’opte pour une légende romantique. Ils se connaissent sans se connaître vraiment et pour cause, c’est leur premier rendez-vous IRL officiel après des semaines de correspondances virtuelles sur les réseaux sociaux. De fait, pour faire perdurer le mystère qui a enveloppé leurs premiers échanges, ils ont préféré se rencontrer de nuit plutôt qu’en plein jour, sous un soleil qui aurait tout dévoilé d’eux. Elle est intimidée (voyez la légère inclinaison de son pied gauche, un signe qui ne trompe pas), il est dans l’expectative (voyez la légère inflexion de son genou droit, un signe qui ne trompe pas non plus). Totalement silencieux depuis qu’ils se sont retrouvés et ont mis le cap vers ce point de vue sur la ville, ils font mine d’être subjugués par la vie lumineuse qui défile de l’autre côté de la paroi en contrebas, effrontément imperméable à leurs premiers émois, histoire de temporiser, d’alimenter leur mémoire commune embryonnaire, et surtout de puiser le courage, qu’ils pensent alors hors d’atteinte, pour que, en se retournant, ils se prennent naturellement par la main, comme si c’était un geste banal entre eux, poursuivent leur chemin en toute quiétude vers la lumière et découvrent enfin la voix de l’autre…
Tout d’un coup, une pluie d’étoiles filantes a déferlé sur les hommes, les plongeant, de façon subliminale, dans une hypnose fugace dont ils sont ressortis avec des paillettes dans les yeux…
Que répondriez-vous à un enfant vous demandant, très sérieusement, à vous l’adulte, à vous le sachant, si les extraterrestres existent ? Personnellement, en dépit des centaines de thèses pro-ET défendues aux différents coins de la planète à grands coups de complots intergalactiques et de ronds dans le blé, j’ai opté pour l’humble et pragmatique : « On ne sait pas. On n’en a pas encore rencontré, mais ça ne veut pas dire qu’ils n’existent pas. D’ailleurs, je pense qu’il n’y a aucune raison que nous soyons seuls dans l’univers… Simplement, ils sont certainement si loin que nous n’avons pas encore trouvé comment les contacter… » Et intérieurement : « Mais que sait-il concrètement de l’univers ce petit gars qui n’a pas encore eu le temps de regarder les étoiles ? Sait-il seulement ce qu’il représente, peut-il en imaginer les dimensions et les contours – l’adulte n’en est évidemment pas plus capable – ; cet aveu d’ignorance – salutaire par ailleurs – a-t-il un sens pour lui qui préférerait malgré tout ne jamais les croiser, persuadé qu’ils seraient forcément « méchants » ? Et d’où vient cette approche instinctivement négative de cet Autre inconnu, intuition loin d’être farfelue par ailleurs puisque finalement partagée par des scientifiques sensés : serait-ce une sortie de notre cerveau reptilien face à la menace fantôme ? » Certains ne s’embarrassent déjà plus de la question puisqu’ils proclament à qui veut l’entendre qu’ils sont déjà parmi nous. Et je vais finir par le croire… Cinq, dont une grand-mère toute fripée, se sont en effet subrepticement glissés dans cette photographie, les voyez-vous, vous aussi ?
Il me lance, par mur interposé : « En fait, t’es une touriste ! Beurk ! ». Le « beurk » est presque inutile, la première partie de la phrase suffisant à donner le ton général de la pensée. Désagréable. Sur le coup, je suis piquée au vif – je vois un horrible personnage manquant de respect aux us et coutumes locales, tout critiquer, la peau orange sanguine et un T-Shirt Hard Rock Café Acapulco avec un tache de ketchup sur le haut de l’estomac alors qu’il est en Turquie -, je me sens agressée. Dans mon être. Dans ce que je suis. Dans ma substantifique moelle donc. Car, le touriste – comme s’il était universel et unique, genre LE touriste – n’a pas le vent en poupe ces derniers temps (cf 2e photo), en plus d’être connoté de façon péjorative. Et puis, LE touriste, c’est celui qui traverse la vie sans vraiment s’y arrêter, distraitement ; c’est, par extension, celui qui ne fait pas les choses sérieusement, c’est-à-dire de façon approfondie. Référons-nous à Ortolang. Selon le dictionnaire, le touriste est « celui qui fait du tourisme, qui voyage, pour son plaisir, pour se détendre, s’enrichir, se cultiver ». Franchement, il n’y a pas de quoi s’offusquer ! Et en descendant un peu plus dans la page : « Amateur, personne qui s’intéresse aux choses avec curiosité, mais d’une manière superficielle ». Il devait certainement penser à celle-ci, plutôt, même si, là aussi, cela ne le regarde absolument pas.
Je suis donc une touriste. Comme 1, 1 milliards de personnes en 2014. Et j’irais même plus loin car à vrai dire, à 12h54m41s, nous étions exactement 7 311 706 171 touristes sur Terre. (Ouverture de parenthèse : en écrivant cela, je ne laisse évidemment pas entendre que nous sommes tous heureux, si tant est qu’il s’agisse là de notre quête du Graal à chacun, ni que tout va bien dans le meilleur des mondes – à part celui de monsieur Huxley justement : je suis malheureusement lucide : notre monde part en vrille, à rendre neurasthénique tout optimiste chevronné, alors imaginez un peu les autres. Fin de la parenthèse.) 7 311 706 171 touristes sur Terre donc. Non que nous ayons souvent l’opportunité d’aller faire des treks au fond de Valles Marineris sur Mars ou de l’ULM au dessus de la Grande Tache Rouge sur Jupiter (attention, cette sortie-là est exclusivement réservée aux pros, la zone étant un gigantesque anticyclone – 3 fois la taille de notre planète – balayée par des vents à 600 km/h).
Mais enfin, même si nous partons du principe que la vie a un sens – ce qui reste à prouver -, à l’échelle de l’âge de l’univers – 15 milliards d’années grosso modo -, même en battant le record de longévité de tous les temps actuellement détenu par Jeanne Calment, décédée à 122 ans et 164 jours, et peut-être même Fatma Mansouri, qui serait née il y a 142 ans et toujours parmi nous – l’espèce humaine dans sa globalité – quelque part en Kabylie (j’emploie le conditionnel car la performance vitale ne semble pas avoir été homologuée par les autorités en la matière, et la dame, par ailleurs, ne ressemble pas à l’image que je me fais d’une personne vivant depuis près d’un siècle et demi, mais il faut se méfier des idées préconçues sur les ultra-vieux…), notre passage ici-bas est plus qu’infinitésimal. A peine un clignement d’œil. Nous ne faisons que passer – j’assume la trivialité de cette assertion -, en nous occupant plus ou moins sérieusement – le sérieux de l’un n’étant pas forcément celui de l’autre, les normes sociales venant s’immiscer dans les définitions -, en laissant plus ou moins une trace durable et marquante – on se passerait volontiers de certaines… La vie elle-même ne répond-elle pas à la définition du touriste plus haut ? Et George Brassens, oui George Brassens, n’a-t-il pas dit : « Rester, c’est exister. Mais voyager, c’est vivre. » ? Que je complèterai par cette courte et efficace sentence de Tony Wheeler, fondateur du Lonely Planet qui vendait déjà bien sa cam : « Tout ce que vous avez à faire, c’est décider de partir. Et le plus dur est fait. » Quoi, vous êtes toujours là ?
Certains prétendent que l’on ne rentre jamais vraiment indemne d’un hivernage d’un an, loin de tout, sur une petite île perdue au milieu de l’océan, à croiser les mêmes personnes chaque jour ou presque, par ailleurs bien moins nombreuses que les populations de manchots, d’éléphants de mer et d’otaries, les vrais locataires terrestres du caillou. Sans doute n’ont-ils pas entièrement tort…
Croiser une personne nous annonçant qu’elle en connaît une autre – de près, de loin – ayant exactement les mêmes nom et prénom que nous, ou que, pas plus tard qu’hier, elle en a vu une nous ressemblant comme deux gouttes d’eau – expression propre aux pays non touchés par la désertification -, ou apprendre que nous avons au moins un homonyme dans notre propre ville et que nous partageons le même ophtalmologiste, ou pire encore, se retrouver face à lui – l’homonyme – provoque, assurément, une secousse tellurique très intime inversement proportionnelle à la fréquence de ce qui sert communément à nous nommer, et donc à nous désigner, depuis notre naissance. Sans doute, les Marie Martin, cumulant à la fois les prénom et nom les plus répandus en France depuis les années 60, réagissent-elles plus sobrement en effet qu’une hypothétique Noélyne Pourbaix-Lerebourg…
Tout d’un coup, nous réalisons, si la vie ne s’en est pas chargée plus tôt, que nous ne sommes pas uniques, que des gens, de parfaits inconnus aux mœurs peut-être, que dis-je ?, certainement, radicalement différentes des nôtres, répondent aux mêmes injonctions que nous, en dépit du sens commun et de ce qui s’échange sur la portée des prénoms choisis ; que des sosies se baladent librement sur Terre sans que nous ayons vraiment conscience de leur existence et de leur nombre, ni planifié de les rencontrer un jour… Pour autant, et nous le comprenons assez vite heureusement, ces doubles, fantasmés ou pas, n’en sont pas vraiment. Notre unicité est sauve ! Un peu comme avec les premières dix images de cette série à double fond, pur exercice de mathématique combinatoire à la difficulté croissant avec la pratique photographique, images souffrant de ce que nous pourrions appeler « photonymie », dont les formes les plus avancées conduisent inexorablement à des rencontres fusionnelles aussi étonnantes que foisonnantes entre des lieux, des moments, des personnes qui ne se sont évidemment jamais réellement croisés ailleurs que dans mon passé.
Il y a quelques années, je me suis demandé si une photo intentionnellement ratée était une photo réussie. Celle-ci, celles qui ont précédé et celles qui ont suivi m’invitent à retourner la question et à me demander si une photo involontairement ratée peut être une photo réussie.
J’étais en effet tellement subjuguée par ces ombres chinoises – quand bien même la scène se déroule au Japon – dévalant la colline sur sa ligne de crête et sur fond de tumulte nuageux que je me suis exclusivement focalisée sur le cadrage, à en oublier d’adapter les réglages de ma boîte à images à ces conditions de lumière un peu particulières. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup : alors que j’avais l’impression d’avoir capté un moment magique dans ces courses légèrement régressives et portées par une insouciance presque incompatible avec les menaces du ciel, j’ai eu la sensation, en découvrant mon forfait, d’avoir raté mon tour. Fort heureusement, le temps est passé par là, amenant avec lui une certaine indulgence. Car c’est évidemment moins la technique qui reste que ce souvenir palpable d’un défilé de gens heureux.
Ils s’y voyaient déjà ! A barboter dans ce trou d’eau douce au fond invisible (donc angoissant), perdu en plein désert (enfin, ils l’ont quand même trouvé) et dont on leur avait tant vanté l’hospitalité. Pourtant, pas une ridule ne vient zébrer la surface de l’eau. Et pour cause, s’ils s’en sont approchés, parfois de très près, s’ils ont hésité, parfois longtemps, ils s’en sont tous éloignés, après mûre réflexion…
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
Je me souviens avoir croisé cet ange, qui, bizarrement, voire étrangement, filait vers la Cathédrale Notre Dame. Je me souviens m’être retournée, avoir rapidement sorti mon appareil, et déclenché tout aussi vite donc maladroitement. Un ange qui passe, c’est rare, ça s’immortalise… Même si c’est déjà fait ! 1 Share on Facebook
Nous nous sommes donc réveillées confinées. Par conséquent, mon carnet de non confinement perd son « non »… Nous sommes confinées comme les 5 millions d’habitants de ce pays. Et aussi comme 2,7 milliards d’autres personnes sur cette planète, soit un tiers de la population mondiale. Je l’écris, mais cela reste abstrait et difficile d’imaginer, concrètement, qu’un […]