Errer dans les rues de New York un jour d’hiver rigoureux et remarquer cette singulière lumière mi-réelle mi-artificielle qui enveloppe la ville et ses habitants de toutes parts. Celle-là même qui, arrivant directement du ciel où brille un soleil libéré, vient heurter les millions de vitres des buildings pour rebondir sur le trottoir et éclairer la vie par en bas…
Une fois n’est pas coutume, je commence par le texte car ce qui suit devrait être un joyeux bazar. Tout comme le sont certains étals de vide-grenier amateur, où l’on trouve tout et souvent, n’importe quoi, parmi lesquels des objets dont nous voudrions nous-même nous débarrasser s’ils nous appartenaient. Et que nous sommes pourtant prêts à acquérir car à 1 €, le « n’importe quoi » prend du galon et peut encore faire des heureux… On se dit : « A ce prix-là, ce n’est pas grave si cela ne fonctionne pas, si cela casse dans dix jours, si je ne le mets pas, si je le perds, si on me le vole, si… Au pire, je le revends au prochain vide-grenier ! ».
Du coup, j’ai loué mon mètre linéaire car, comme avant un déménagement hâtif, j’ai besoin de faire un peu de vide dans mon dossier hebdomadaire où j’accumule les photos envisagées pour ces duos quotidiens. Il y en a quelques unes que je ne peux plus voir en peinture, certaines prennent la poussière, et de nouvelles idées s’accumulent dans les carnets avec d’autres photos… Et puis, ce sont les vacances, cette coupure tant attendue où, comme au 1er janvier de chaque année, nous tentons de prendre de bonnes résolutions (soit dit en passant, c’est simplement car nous avons enfin le temps de nous poser, de sortir la tête hors de l’eau, et donc de penser, que nous essayons de reprendre la main sur notre quotidien pour les mois à venir ; ce que nous appelons communément des résolutions donc). Bref, trêve de bavardage, il est faussement 6h du matin, l’heure de tout déballer sur mon stand et d’essayer de lier ces images, dans l’ordre où elles se présentent à moi alors qu’elles n’ont rien en commun.
C’est parti :
Il faut toujours un point de départ. Une gare aux ombres énigmatiques et un sombre passager fuyant feront amplement l’affaire…
Oublions la gare de la ville où on y danse on y danse et prenons la vedette ! Cet îlot qui, de la crête de Crater Lake, a des allures de vaisseau fantôme (comprenez, on ne le voit pas tout le temps), ressemble, depuis le niveau de l’eau, à un trou noir, une sorte de grotte inversée dans un décor de rêve…
Qui nous ferait ressortir directement dans les ruelles de Kyoto où, un peu avant la tombée de la nuit, les geishas défilent en silence et sous le crépitement des flashs de badauds les attendant au tournant…
Je me suis alors demandé où pouvaient les conduire leurs pensées à cet instant précis où elles n’étaient plus qu’un personnage au visage figé, qu’une icône aux yeux des autres dont ils voulaient rapporter une image à tout prix… Peut-être sur cette plage Quileute de La Push, de l’autre côté de l’océan Pacifique, où reposent ces trois rochers majestueux…
Et où, paradoxalement, on traverse les paysages à vive allure…
Au risque de se heurter à un mur étrangement colonisé par du lichen déshydraté… Heureusement, une manœuvre réflexe permet d’éviter le choc frontal mais elle nous projette directement à l’embouchure de ce nouvel abysse, de cette sombre porte carrée sans fond apparent.
A l’autre bout de laquelle se trouve une plage normande éclairée sporadiquement par des pétards de fête nationale. C’est là que ça se gâte, que je perds le fil et que tout s’enchaîne sans transition ni autre explication que de courtes légendes lapidaires…
Paris, Nuit Blanche… Succès démesuré. Approcher l’installation de Vincent Ganivet relève du parcours du combattant. Lassés, les gens passent à côté sans lui jeter un œil.
Sagrada Familia. La lumière, dont je force volontairement le trait, inonde ce lieu d’une beauté sans pareille provoquant un séisme émotionnel de 9 sur l’échelle de Richter…
Pour le cliché, tout simplement. Impossible de se trouver à un tel endroit sans penser à un calendrier. Cela a quelque chose d’un peu ringard et en même temps, la ringardise a parfois ses avantages…
Sous les poursuites roses, une montagne humaine se lève et fait une hola aussi difficile à saisir que magique à voir… S’ensuit une avalanche d’images non légendées, un mélange de chaud et de froid, d’ici et d’ailleurs, de réalité et de faux-semblant, de proche et de lointain… Des images qui s’enchaînent sans d’autre raison que celle imposée par leurs noms qui s’enchaînent.
Voilà, en un coup d’ailes, c’est fini. Le stand est quasi vide. Je me sens légère tout d’un coup…
Typiquement, une photo de route. Non, de train. Non, de route. Je ne sais plus. Je ne me souviens plus que de cette sensation éprouvée d’un équilibre naturel formé par ce trio : l’arbre, fragile mais résistant, sur la crête d’une colline désertée sauf par la broussaille ; un nuage tentaculaire et temporairement protecteur ; un astre solaire irradiant, à la fois menaçant et salutaire, autour duquel nous tournons en pensant que c’est lui qui tourne en rond… Le dialogue entre ces trois éléments me saute aux yeux. Comme une évidence.
Et c’est sur cette évidence que j’achève ce deuxième Tour du soleil en duos. Deux ans donc que je poste quotidiennement quelque chose. Ce qui commence à faire un paquet de choses. Et comme avec tout paquet de choses, deux options se présentent : soit on les oublie en les mettant dans un coin (et un coin virtuel ne prend pas beaucoup de place contrairement aux cartons), soit on essaye d’en faire quelque chose… La première est plus facile, mais invite à se poser une question : à quoi bon cette discipline quotidienne si ce n’est pour aboutir à « quelque chose » ? C’est une vraie question : ce que l’on fait doit-il avoir un but autre que celui de le faire, sur le moment, sans se projeter plus loin ? Par exemple, si je n’essayais pas de sélectionner quelques duos sur les 730 présents sur ce site et d’en faire un livre, par exemple, serait-ce ne pas aller au bout de la démarche initiée il y a deux ans ? Je ne sais pas. Mais j’ai envie d’essayer. J’entends souvent : « Qui ne tente rien n’a rien ! » ou « Tu (un « tu » général) n’as rien à perdre ». C’est totalement vrai, et pourtant, ça n’aide pas toujours.
Ce qui m’aide à rêver ? Le fait qu’il y ait vraisemblablement (c’est les stats qui le disent) une moyenne de 300-350 visites par jour sur ces pages, avec des pics rarement compréhensibles et des bas tout aussi obscurs… Cela a donc peut-être un sens de rêver et j’en profite pour vivement remercier cet auditoire en grande partie invisible. Alors, voilà, c’est décidé, je vais faire un tri. Et le tri prend du temps. Et ces duos prennent du temps. Et en même temps, je n’arrive pas à me résoudre à arrêter. Donc, je ne sais pas ce qui va se passer dans les prochains jours. Peut-être des photos et une légende bien sentie. Quelque chose de non systématique. J’ai plein de choses en rayon : un carnet de bord phototextuel réalisé sur un mois de préavis, une série de photos sur l’engagement social et politique des citoyens de Berkeley par l’intermédiaire de leurs fenêtres, des traversées continentales où tout finit par se mélanger… Ce sont rarement les projets qui manquent. Mais le temps. Or pour avoir du temps, il faut donc savoir s’arrêter, pour pouvoir le remplir avec autre chose. C’est très subtil le temps. Il faut sûrement une vie entière pour commencer à comprendre comment il fonctionne. Avant la fin, on ne fait que tâtonner, se laisser balloter… Et après, et bien, c’est trop tard !
En attendant, j’ai donc fait un double nœud. Mes chaussures sont bien attachées. Je peux avancer sereinement. Notamment vers un projet que je co-mène avec Kristophe Noël depuis novembre : Médyn. Le premier numéro de ce magazine de créations contemporaines devrait bientôt être diffusé sur la toile et trouver un écho écho sur ce site.
Bon allez, à demain ! Ou après-demain après tout !
PS : le premier Tour du soleil en duos est toujours visible ! Le deuxième arrive bientôt sous la même forme.
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
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