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Voilà, cela fait une semaine que la Nouvelle Zélande est confinée sur les quatre prévues. Tous les jours à 13h, avec un souci extrême de transparence, un ou plusieurs membres du gouvernement donne(nt) une conférence de presse pour faire le point, très humblement et très factuellement, sur la situation sanitaire du pays ainsi que sur les nouvelles mesures prises depuis la veille concernant les aides aux entreprises et travailleurs, le soutien aux personnes en situation de précarité, les déplacements autorisés, les plaintes pour non respect du confinement (un site internet a été créé par la police pour les recueillir), l’approvisionnement des supermarchés, l’après lockdown…
L’avantage de la Nouvelle Zélande sur beaucoup d’autres pays est d’avoir été touchée par le coronavirus plus tardivement. D’une certaine manière, et indépendamment de sa singularité d’île qui appelle des contraintes spécifiques – ce matin, je me demandais d’ailleurs s’il existait d’autres pays à être ainsi coupés physiquement en deux parts égales et là, tout de suite, maintenant, alors que j’écris ces lignes, je réalise qu’en rendant ses frontières peureuses et non plus poreuses, chaque pays était en train de devenir une île sans le concours de la tectonique des plaques –, c’est comme si la Nouvelle Zélande était toujours dans le passé tandis que différents futurs potentiels avaient déjà émergé un peu partout ailleurs. Avoir un peu de temps devant soi permet souvent de réfléchir différemment, idéalement plus posément. Et ainsi, idéalement encore, de prendre des décisions plus sereinement, modulo le stress inhérent à cette situation extra-ordinaire. Grâce à vous, par exemple, il n’y a pas de pénurie de papier toilettes ici ! Grâce à vous, les quarantaines des nouveaux arrivants ont été décidées tôt, limitant très certainement la transmission communautaire ! Grâce à vous, le confinement a été décrété avant que la situation ne devienne incontrôlable sur une île de 5 millions d’habitants ! Grâce à vous, les tests se mettent en place plus rapidement ! Grâce à vous, les soignants, les personnels des supermarchés, ceux continuant à travailler bénéficient de mesures de protection (EPI, vitres de protection, produits désinfectants…). Grâce à vous, un soutien psychologique a été mis en place pour épauler les personnes vivant mal le confinement pour une raison ou une autre. Et il y a sûrement plein d’autres exemples (et puis, aussi, des manques, n’idéalisons pas trop non plus : plus de gel depuis des semaines, plus de masques non plus pour le grand public). Comme quoi, être dernier, ou presque, n’est pas toujours une tare…
Donc, hier, il y avait 797 cas confirmés dont 74 probables, 13 personnes à l’hôpital dans un état stable, un décès (survenu ce week-end). Plus de 80% des cas sont liés à un voyage à l’étranger ou à un contact avec une personne ayant voyagé à l’étranger, sachant que ces dernières étaient tenues de se mettre en quatorzaine depuis mi-mars, et que les deux tiers des cas (je n’ai pas le chiffre précis à disposition) ont été déclarés depuis l’instauration du confinement. Vous pensez sûrement que c’est peu au regard de ce que vous vivez. Je suis d’accord avec vous. Pourtant, nous guettons jour après jour les nouveaux chiffres, en essayant vainement de les interpréter, « c’est plus qu’hier mais ils font aussi plus de tests donc c’est logique », « c’est moins qu’hier, ça va se tasser, c’est bon signe »… Certes, cela ne sert pas à grand chose pour le moment de tirer des conclusions d’un système à plus d’inconnues que d’équations, mais difficile de se tenir éloigné des chiffres. A leur manière, et en partant du principe qu’ils ne sont pas truqués, déchargés de tout affect, ces chiffres aident à contenir son imagination. D’ailleurs, les chiffres du jour viennent tout juste d’être partagés (je mets du temps à écrire ces textes…) : 49 nouveaux cas confirmés et 22 probables. Contre 74 / 13 hier. Je n’en tirerai aucune conclusion.
Quid de ma vie de confinée ? Eh bien, tout va bien ! D’autant que tout se passe calmement ici à Wellington. Par ailleurs, en tant qu’indépendante travaillant à domicile depuis des années, je dispose d’un entraînement solide face à l’immobilité relative et à l’incertitude du lendemain ! Passer de mon bureau au salon à la cuisine à la salle de bains aux toilettes à la fenêtre au canapé au bureau à la chambre au bureau à la fenêtre, j’ai l’habitude ! Y rester des jours à travailler en ne sortant que pour aller remplir le frigo ou faire un petit tour, j’ai aussi l’habitude. Ces classes préparatoires ne m’ont pas empêchée d’être saisie par une irrationnelle et temporaire angoisse au 2e jour du confinement. Je l’ai sentie envahir mon esprit sans préavis et envoyer ses mauvaises ondes à mon corps : tout d’un coup, j’ai eu peur de l’enfermement, d’être coincée à l’intérieur, de ne pouvoir sortir, prendre l’air, m’aérer, respirer, me déplacer librement, j’ai pensé qu’après 2,5 mois en pleine nature, à flirter gaiement avec les grands espaces terrestres et célestes, la transition était trop rude, que je n’allais pas pouvoir passer du jour au lendemain des « confins des sphères étoilées »* au cocon de mon canapé déplié. Et puis, j’ai compris que je réagissais ainsi parce que cette décision était imposée par l’extérieur, par d’autres (comme tous ces gens qui se sont soudainement mis à faire du jogging au moment même où l’on demandait à chacun de limiter ses déplacements) alors même que, en pratique, cela ne bousculait pas fondamentalement la vie que je m’imposais personnellement par moments. Et, j’ai réalisé que j’avais une cour à disposition pour quelques pas, pour un café dehors (même si l’automne et l’hiver arrivent) et même un olivier au coin là. Et aussi que la forêt était à 5 minutes à pied et que, par chance, le gouvernement néo-zélandais n’empêchait pas les gens de sortir de chez eux, et demandait seulement de prendre des précautions et de rester dans son quartier. Alors, la tension est descendue, je m’étais fait peur toute seule. J’ai pensé à la marche que nous allions faire l’après-midi, après notre déjeuner comme un rituel vieux de mille ans où l’unique règle est de ne pas parler de la pandémie. J’ai pensé à l’odeur des pins et des eucalyptus que nous allions pouvoir humer, à ces grands géants protecteurs tapissant la colline, à ces sentiers que nous allions connaître par cœur à force de les parcourir, et l’angoisse s’est évanouie. Naturellement. Jamais, je n’ai été aussi heureuse et rassurée d’être aussi proche des arbres…
* Bout de vers du poème Elévation de Baudelaire que j’ai déjà cité il me semble