On continue avec Emmanuel Veneau.
Quel est le rôle de la photographie dans votre vie ?
La photographie m’aide à être présent à la réalité qui m’entoure sans être tenté de la traverser sans plus y penser.
Ne cesser de tourner autour du réel comme pour refuser d’en être séparé.
Ou tout du moins poser là un regard pour ne pas s’y absenter.
Quelle est l’histoire de votre photo (G8-1610, Ce qu’il me resta de lumière) ?
C’est une histoire en deux temps. La photographie elle-même fut prise à la tombée de la nuit à Collonges-sous-Salève avec du matériel d’une autre époque : un Nikon FM2 et une pellicule argentique…
Il y a quelques années, j’ai dû choisir entre passer à du matériel de prise de vue numérique ou acquérir un scanneur de négatifs. J’ai opté pour la 2ème solution et en numérisant mes films je me suis aperçu qu’on pouvait presque récupérer le grain de la pellicule. Et c’est le deuxième temps de la vie de cette image qui fait partie d’une série d’extraits de négatifs scannés, série qui voudrait aller chercher dans l’image l’endroit où le réel nous échappe.
Quelle connexion avec celle de la génération précédente ?
Les arbres, bien sûr. Et l’ambiance, cette lumière à peine suffisante, qui peut être celle du commencement ou de l’achèvement du jour, dans laquelle nous perdons nos certitudes sur ce qui nous entoure, où un lampadaire pourrait très bien être un soleil, et l’horizon à portée de mains.
D’en haut, nous ne voyons pas la même chose que d’en bas. Pardonnez cette évidence qui n’est en réalité que le reflet de ma naïveté… D’en bas, par exemple, je n’aurais pas vu cet arbre, sur la droite là, dans la direction de la Philharmonie, celui au feuillage légèrement plus clair que ses voisins. Sa taille, apparemment gigantesque, c’est ce qui a accroché mon regard alors que je faisais la vigie au sommet de la Colonne de la Victoire. Il fallait absolument que j’aille le voir de plus près, le toucher ! Une urgence du moment en quelque sorte.
Ainsi, j’ai donc dévalé les 285 marches étroites de la tour en laissant malgré tout passer enfants et mères-grand, tout en essayant de dépasser le 1/25e de seconde de ma persistance rétienne. Sans boussole ni GPS intégré, je me suis donc courageusement enfoncée dans ce poumon vert en quête de ce mastodonte certainement plus que centenaire. Plutôt confiante, malgré ma propension à me perdre dans ces espaces aux repères bien plus subtils – « bah c’est un arbre quoi ! » – que les nombreux indices familiers laissés par les artères des villes – « après la pharmacie à l’angle et l’épicerie au coin ».
J’avançais donc le bras tendu vers la direction supposée, pour ne pas la perdre du regard, en tentant, vainement (un anagramme de naïvement au passage !), de reconnaître, d’en bas, les troncs des arbres dont j’avais découvert la cime, d’en haut… C’est à ce moment précis que j’ai réalisé que ce n’était pas parce que je voyais le crâne de quelqu’un que je pouvais dire pour autant s’il avait les jambes arquées ou pas. La révélation vaut aussi pour les arbres. Ainsi, après avoir erré dans les allées du parc en maintenant le cap, après m’être approchée frénétiquement de certains spécimens croyant avoir enfin mis la main dessus, j’ai dû me rendre à l’évidence : il me serait impossible de retrouver mon phare à chlorophylle, au même titre que l’on ne trouve jamais de trésor au pied d’un arc en ciel…
La vie de silhouette à terre est finalement assez triste : son destin est déjà tout tracé, voire piétiné, avant même que son emplacement définitif ne soit déterminé. Elle me paraît même un peu cruelle à vrai dire quand, comme ici, elle doit suggérer le mouvement alors même qu’elle est clouée au sol, immobile, condamnée à regarder devant elle, à la verticale, et à voir les gens, autos et nuages défiler sans lui prêter la moindre attention. C’est un peu comme si on stoppait net une partie d’1, 2, 3 Soleil, laissant les joueurs dans une position instable jusqu’à la fin de leur existence. On aurait envie d’aller les bousculer pour, qu’au moins, ils puissent aller au bout de leur élan. Envie exacerbée avec cette silhouette faussement vagabonde prise dans une tempête de neige, artifice printanier qui lui confère un tout autre relief…
Eram, Salamander, André, Pataugas, Louboutin, Kickers, Free Lance, Jonak, Minelli, Geox, San Marina, Clarks, Jimmy Choo, Spring Court, Dr Martens, Fratelli Rossetti… Je m’arrête là, mais vous l’avez compris, des marques de chaussures, il y en a des milliers ! Et parmi elles, de très confortables. Pourquoi donc ces deux religieuses, déambulant d’un pas alerte […]
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