Photo-graphies et un peu plus…

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Cette nuit, des vents à 120 km/h ont soufflé sur Wellington, pourtant nichée au creux d’une baie. Cela bougeait encore pas mal ce matin, aussi avons-nous préféré différer notre incursion quotidienne en forêt. Les branches craquaient déjà bien hier, ce serait dommage d’échapper au coronavirus mais d’être assommé par un bout de bois. Ceci dit, j’ai appris très récemment que c’est pendant la Grande Peste de Londres en 1655 – qui avait éradiqué un quart de sa population – qu’Isaac Newton, dans l’impossibilité de se rendre à son université à Cambridge, avait dû, durant une année – réjouissons-nous donc, même si ce n’est pas fini ! –, travailler depuis la demeure familiale, notamment dans le jardin. Et c’est ainsi qu’il avait pu être sous le pommier lorsque la fameuse pomme – certainement la plus célèbre de l’histoire des pommiers, qui remonterait à 50 millions d’années ! (ou 65, ou 80 selon les sources) – lui était tombée sur la tête (1). Je pourrais donc faire un effort et accepter une brindille sur la mienne en échange d’une fulgurance intellectuelle aussi brillante que la compréhension de la gravitation…

En réalité, ce changement de programme m’apparaît plutôt être une excuse pour, l’air de rien, étendre notre territoire d’exploration… De fait, aujourd’hui, pour la première fois depuis 18 jours, nous sommes retournées au bord de l’eau, sur la promenade qui longe la baie, celle-là même que je voyais d’en haut, du lookout, au jour 15. Je crois que j’avais envie de revoir « Solace of the wind » sous un autre jour…

Dans les faits, ce n’est pas si loin que cela, peut-être 5 minutes supplémentaires par rapport au supermarché où nous nous ravitaillons. Mais, jusqu’à présent, nous n’avions pas osé y aller. Nous aurions pu ceci dit puisque ce n’est pas interdit et que nous savons que les autres promeneurs auraient respecté la distance de sécurité de 2m recommandée ici. Ce matin, soleil et vent en poche, c’est donc avec une joie toute enfantine que nous nous sommes dirigées vers la mer, pas vraiment la mer car nous ne voyons pas l’horizon depuis Wellington, mais la baie et les montagnes environnantes. Comme si nous nous aventurions sur des terres inconnues, que nous connaissons cependant pour les avoir traversées en février. Sur le trajet, comme toutes les fois où nous avons emprunté cette rue, Smith – je le baptise ainsi, mais au fond, je ne sais pas, c’est simplement le prénom masculin le plus courant en Nouvelle-Zélande depuis des décennies – était sur son échelle à poursuivre avec beaucoup de concentration son ouvrage initié dès le premier jour du confinement : repeindre, au pinceau, la façade de sa maison, après avoir soigneusement retiré la couche précédente au décapeur thermique. Ils sont en fait plusieurs à s’être donné cette mission pour ces 4 semaines un peu spéciales. Matériellement, c’est d’autant plus facile que la grande majorité des maisons néo-zélandaises sont en bois. Smith est d’ailleurs très efficace, il a bientôt fini d’apposer la première couche de son gris Madrid et la peinture semble si épaisse que je ne suis pas sûre qu’une deuxième soit utile. Promis, je suivrai cela avec beaucoup d’intérêt ces jours prochains…

Tout comme je surveillerai les dizaines d’oliviers plantés sur les trottoirs de ce quartier pavillonnaire, dont je suis très heureuse de la présence car, à chaque fois, ils me conduisent mentalement vers mon autre pays de sang, la Tunisie, mais qui reste une énigme pour moi : climatique d’une part car j’ai toujours vu ces arbres dans des pays chauds – c’est le moment de chercher à quoi ressemble l’hiver ici à Wellington – et paysagiste d’autre part, car les arbres sont actuellement plein d’olives qui, faute d’être cueillies – je m’avance peut-être mais j’ai du mal à imaginer que la ville dépêche des agents pour les récolter, les presser pour en faire une cuvée d’huile d’olives de Wellington – vont inévitablement finir sur le trottoir. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est la loi de la gravitation ! Bref, pourquoi l’olivier en ville ? Comme vous pouvez le constater, mes questions du jour sont très terre à terre. Il n’y a pas de petite compréhension.

Ce qui nous conduit directement au pied de la sculpture de deux mètres de Max Patté, la raison ultime de cette diversion… Nu comme un ver en fer, les bras en arrière, tendu vers les éléments – l’eau salée, le feu solaire, l’air vif -, l’homme, abîmé, pourtant prêt à tomber, est comme suspendu dans le temps et l’espace dans une posture mélancolique – les yeux clos, calme voire las, paré pour faire face aux événements à venir – mais pourquoi pas joyeuse aussi – ne serait-ce pas les prémisses d’un plongeon, d’un élan, d’un nouveau départ qu’il nous offre là ? Un peu comme nous en ce moment, finalement.

(1) https://www.courrierinternational.com/…/pommier-confine-pen…

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Non que nous soyons au bagne – bien au contraire –, mais des voix – réelles et minoritaires – nous suggèrent de penser, quand même, au retour. Or, le retour, c’est demain, et comme je l’écrivais hier, ma pensée s’arrête à aujourd’hui. Soit. Par acquis de conscience et aussi parce que j’ai bien intégré l’impermanence de la situation, vendredi, je suis donc allée surfer sur le site d’Air New Zealand. La compagnie, très bien au demeurant, qui a dû annuler par deux fois notre retour vers l’Hexagone, a transformé nos places en avoir valable 12 mois avant de remiser la plupart de ses avions au garage pour une durée indéterminée dépendant de la stratégie que le gouvernement néo-zélandais présentera publiquement le 20 avril, soit deux jours avant la fin supposée du confinement. Verdict : en avril, toujours aucun vol vers Paris ; en mai, il faut atteindre la dernière semaine pour en trouver une poignée, à des prix que nous préférerions éviter et/ou avec une/deux escale(s) dans des villes qui, pour l’heure, n’inspirent pas vraiment confiance. A l’instar de LAX, la ville où l’on se lâche, la Ville des Anges de Christa Wolf – je crâne un peu ici en faisant du placement de produit : c’est en effet l’une de mes photos qu’avait choisi Le Seuil pour la couverture de son ouvrage (1) –, Los Angeles donc. Ville fascinante, tentaculaire – même si c’est en partie contradictoire avec ce que je m’apprête à écrire –, déconcertante qui m’avait donné l’impression d’être un archipel d’îles – Santa Monica, Beverly Hills, Venice Beach, Bel Air, Little Tokyo, Downtown LA, Hollywood, Skid Row, Pacific Palissades, Montecito Heights et les autres – entourées par un océan de banlieue aux pavillons identiques obéissant à un plan hippodamien un brin soporifique pour l’adoratrice de rues biscornues que je suis.

Bref, LA, très peu pour nous, même si fin mai, c’est presque au bout du temps à l’échelle du calendrier actuel et que personne n’est en mesure de prédire dans quel état sera le monde. Mieux, espérons-le, même s’il est naïf de croire que ce sera le cas partout. Toujours est-il qu’après avoir inscrit nos critères dans un tableau croisé dynamique afin d’y voir plus clair et appuyé sur « Entrée », nous avons jeté notre dévolu sur un vol début juin passant par Singapour, l’un des pays à avoir le mieux géré la crise en s’y attaquant dès janvier. Bien entendu, personne, pas même la compagnie aérienne, ne s’aventurerait à affirmer que le vol aura bien lieu. Espérons que l’adage « Jamais deux sans trois » ne se vérifiera pas. Et si tel doit être le cas, et bien, nous trouverons une alternative. Le futur n’existant pas encore, inutile de se mettre martel en tête dès maintenant.

Je ne me mets pas d’œillères, je sais pertinemment qu’il nous faudra rentrer. Même si le choix de ce mot – « faudra » – trahit sans doute une légère frustration, a minima une forme d’indécision. Il faudrait – ah ah ! – que je puisse écrire que j’ai envie de rentrer. Mais je crois ne pas être capable de prononcer cette phrase pour le moment. C’est étrange d’ailleurs. Si je n’étais pas partie, je ne me poserais pas cette question. Ce qui n’est pas la lapalissade que l’on pourrait croire… Ce n’est pas que je ne veuille pas retrouver ma famille, mes amis, ma maison. Je ne suis simplement pas sûre de vouloir retrouver la France. Et c’est bien la première fois que je me fais cette réflexion.

De loin, avec tous les biais cognitifs que cela présuppose, en compulsant et croisant les informations véhiculées par les médias – plus connus pour leur tropisme fort pour les mauvaises nouvelles et les polémiques stériles, autant dire qu’ils sont au paradis –, celles attrapées via les réseaux sociaux – qui, dans la continuité de ce que j’évoquais précédemment sur la théorie des bulles (2), sont également biaisées car partant de moi et orientées par des algorithmes dont je ne maîtrise pas les motivations primaires et premières –, et enfin celles – les plus réconfortantes et les moins angoissées finalement, de mes proches –, difficile de se faire une idée juste. Mais c’est évidemment la dérive totalitaire, autoritaire et punitive mise en place par les instances dirigeantes à coups d’attestations, d’isodistances, de tracking, de contraventions, de peines de prison, de recommandations contradictoires, de mensonges déguisés, d’incohérences inassumées, d’infantilisation ridicule… qui me secoue et me fait douter de la France de demain… Même si la France ne se résume pas à un gouvernement, aux pouvoirs limités dans le temps, même si demain n’existe pas encore.

Sauf que si, sauf que chacun y pense tout de même, à l’après. D’un côté, les plus pessimistes – eux s’estiment sûrement réalistes – annoncent que, malheureusement, rien ne changera fondamentalement, que ce sera sûrement pire même, que la machine reprendra son rythme infernal, en premier lieu pour rattraper le temps perdu ces derniers mois – car le temps, c’est de l’argent ! De l’autre, les plus optimistes voient en cet événement mondial bouleversant l’opportunité inédite de basculer vers un monde plus juste, d’instaurer une nouvelle dynamique, de nouveaux espoirs, de repartir à zéro comme si l’on réinitialisait le système Terre-Homme – et imaginent déjà comment atteindre l’autonomie alimentaire, comment moins exploiter les ressources de la planète, comment transformer les avions en bateau… En vrai, nous ne savons pas, puisque demain n’est pas encore arrivé. Mais la vie n’étant ni noire ni blanche, il y a fort à parier que demain sera un mélange des deux. Ce qui, logiquement, signifie que les optimistes auront gagné…

(1) https://www.seuil.com/ouvrage/ville-des-anges-christa-wolf/9782021041019

(2) Pour en savoir plus, lire cet article… https://www.lemonde.fr/blog/fredericjoignot/2016/08/30/comment-les-algorithmes-nous-enferment-dans-une-bulle-intellectuelle/

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Dvořák m’accompagne. Symphonie n°9 en mi mineur, dite du Nouveau Monde. Je n’ai pas cherché le symbole – d’autant que son Nouveau Monde était l’Amérique de la fin du 19esiècle, New York précisément où il vécut 3 ans pour en diriger le Conservatoire –, juste un air si familier que je le siffle en parallèle. Le fait est qu’elle m’emporte tellement que je peine à me concentrer sur mes propres mots (même si je n’en suis qu’au début). Je découvre à l’occasion d’une vérification chronologique qu’il a composé les thèmes de cette fantastique symphonie en « leur donnant les particularités de la musique des Noirs et des Peaux Rouges » (1), aveu qui avait choqué l’Ancien Monde à l’époque. Dvořák s’est notamment inspiré d’un poème, Le Chant de Hiawatha, de Henry Longfellow, évoquant la vie de Hiawatha, un Indien de la tribu des Ojibwés. Je résiste à creuser plus la piste de ses origines de peur de ne jamais remonter à la surface. A ce propos, Armstrong – Neil pas Louis – en avait emporté un enregistrement lorsqu’il a, pour la première et unique fois, marché sur la Lune (personne, ou plutôt, aucune personne n’y étant allé deux fois).

Quoi qu’il en soit, retour à Wellington dont l’atmosphère n’est pas si éloignée de la Mer de la Tranquillité. Enfin, on se comprend… Dans un autre registre, notre voisin, musicien, plus jazzy a priori, nous disait l’autre jour, de loin rassurez-vous, avoir l’impression d’être dans « Groundhog Day », traduit littéralement par nos amis québécois, qui ne font jamais de réinterprétation en la matière, par « Le jour de la marmotte ». Un titre peu évocateur pour nous autres Français. Je lui préfère « Un jour sans fin », nettement moins énigmatique, beaucoup plus direct. Curieusement, depuis le confinement, alors même que clairement, mes journées se ressemblent, à quelques folies près sur la rue empruntée pour rejoindre la forêt ou le New World (pas celui de Dvořák, celui de mon estomac), je n’ai pas du tout éprouvé ce sentiment.

En fait, la dernière fois que j’ai eu la sensation de glisser dans la peau de Phil Connors, le personnage principal du film magistralement campé par Bill Murray, c’était il y a quelques années, à l’occasion de vacances estivales avec mes neveux et nièce, que j’adore bien sûr et qui ont grandi depuis, et pendant lesquelles j’avais eu l’impression de revivre 23 fois la même journée. Jour après jour, les mêmes événements se produisaient dans le même ordre, aux mêmes heures, pendant la même durée ; jour après jour, la répétition des mêmes sentences que la veille, sans fléchir mais en espérant, comme lui, qu’un jour, prochain, cela finirait par rentrer et que je pourrais enfin passer à une autre journée ! Au lendemain finalement, où, comme sur une page blanche, tout deviendrait à nouveau possible, tout serait à écrire…

Et là, je réalise que, peut-être, je suis malgré tout dans « Un jour sans fin » sans m’en apercevoir. Car même si tout se passe bien pour moi dans le pas-meilleur des mondes, même si je ne manque de rien – hormis de ma famille et de mes amis, dont l’absence réelle est compensée par leur présence numérique –, même si je pourrais rester là des mois sans m’ennuyer une seconde, pour le moment, comme beaucoup, je ne peux toujours pas passer à demain. J’entends, le « vrai » demain. C’est comme s’il avait littéralement disparu, que le temps de l’anticipation, des projections était révolu. De fait, quand j’essaye de penser à demain, le vrai, dans quelques semaines, dans quelques mois, peut-être même dans quelques années, je n’y arrive pas. Il n’y a rien auquel mon esprit se raccroche. Ou si peu. Je l’écris d’autant plus facilement que je traverse ce brouillard parfaitement bien, sans angoisse aucune. Et pouvoir écrire, a fortiori penser cela, me prouve, je le savais déjà, à quel point je suis une personne heureuse (encore plus depuis que je sais que je suis la personne idéale pour partager un confinement, sic). Simplement, c’est inédit, c’est étrange, c’est extra-ordinaire. Et d’une certaine manière, reposant. C’est évidemment très personnel, corrélé à mon propre vécu de cet événement qui nous touche tous différemment. Je me garderais bien de faire des généralités en ce moment, pour lesquelles je confie d’ailleurs une légère aversion…

Bien sûr, la question est posée partout : et après – car cette situation ne va pas durer éternellement –, ce sera comment après ? Qu’aurons-nous appris ? Changer, est-ce devenir quelqu’un d’autre ? Serons-nous toujours libres ? L’avons-nous été un jour ? Reconnaître ses devoirs, est-ce renoncer à sa liberté ? Faut-il vivre comme si nous devions mourir demain ? Choisissons nous notre existence ? L’homme doit-il travailler pour être humain ? Pouvons-nous échapper au temps ? Exister, est-ce vivre au présent ? Est-ce une fonction de l’art que d’embellir la vie ? L’art nous réconcilie-t-il avec le monde ? Que nous apprend l’histoire ? L’étude de l’histoire nous conduit-elle à désespérer de l’homme ? La recherche du profit est-elle le but de tout échange ? Y a-t-il une raison à tout ? Les lois peuvent-elles faire notre bonheur ? Peut-on concevoir une société sans Etat ? Le mensonge est-il une vertu politique ? Une société juste peut-elle s’accommoder d’inégalités ? Qui peut me dire ce que je dois faire ? Faut-il se soucier de l’avenir ? (2) Chaque jour, j’ai l’impression que cette pandémie nous fait repasser notre bac philo ! Pas vous ?

(1)https://www.francemusique.fr/emissions/klassiko-dingo/la-symphonie-ndeg9-dite-du-nouveau-monde-d-antonin-dvorak-la-cornemuse-et-l-actu-dingo-15153
(2) Pour une grande partie, des sujets réels de bac philo de ces dernières années

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Aujourd’hui, j’ai envie de nous emmener au sommet ! Au sommet du Mount Victoria, à côté duquel nous avons la chance de vivre ce confinement. Cette colline arborée aux multiples sentiers est notre respiration quotidienne. Sauf hier. Pour cause de pluie abondante, de froid et enfin de lancement – ignition three two one zero ! – de la 6e édition d’Objectif3280, que j’évoquais l’autre jour et qui a commencé sur les chapeaux de roue !

De ce fait, ce matin, après le petit-déjeuner, le soleil étant de retour, la température extérieure plus engageante, et avant de nous engouffrer, tête baissée mais bouillonnante, dans nos mondes binaires respectifs, nous sommes parties à l’assaut du lookout et de son panorama à 360°. En français, cela donne quelque chose d’ambigu : « point de vue », qui pourrait être compris comme une absence de vue, alors que c’est tout le contraire ; un paradoxe linguistique que porte aussi le mot « personne » par exemple. J’ai toujours trouvé fou que le même mot désigne à la fois l’absence et la présence…
Toujours est-il que de là-haut – pas si haut non plus, à peine 200 mètres ; mais tout de même, c’est 70 de plus que Montmartre à Paris –, l’on peut embrasser du regard la magnifique baie de Wellington, le centre-ville en contrebas, les quartiers perchés sur les autres collines, le port, l’aéroport, les chaînes de montagne alentour et parfois même, les côtes les plus septentrionales de l’île du Sud. En février, lors de notre premier passage à la capitale, l’été encore rayonnant, la vie y grouillait de partout. La promenade le long de la mer était pleine de marcheurs enjoués et de cyclistes prudents ; à la surface, naviguaient des vedettes et autres voiliers chargés de passagers tout sauf clandestins ; sur les terrasses, tintaient des cocktails colorés ; dans l’eau, barbotaient petits et grands ; sur les routes, se croisaient bus et automobiles… Même d’en haut, la rumeur de la vie d’en bas s’entendait. Tout cela faisait évidemment un bruit certain, et même un certain bruit, un bruit de fonds diffus, un ronronnement constant et continu, pas franchement agressif, mais permanent, donc agressif à la longue – ce n’est pas propre à Wellington, c’est l’une des signatures de toute ville.

Tout cela a disparu depuis le confinement. Quel réconfort pour nos oreilles sensibles ! La ville n’émet presque plus aucun son. Certes, de temps en temps, la sirène d’une ambulance ou d’une voiture de police vient fendre le silence, mais globalement, la ville ne fait plus que murmurer… De là-haut, du lookout, on a pourtant l’impression que rien n’a changé, que tout est comme avant, la ville est toujours là, au pied de la colline, le musée Te Papa, les immeubles du CBD, mais on a beau chercher, plus personne n’arpente le front de mer, plus personne ne dérive sur un bateau, plus personne ne trinque, les parkings sont vides, les routes désertes et les avions cloués au tarmac. De l’extérieur, la ville est immobile. Sa vie est suspendue. C’est aussi pour cela que les confinés montent, courent, pédalent, marchent, jusqu’au lookout, sommet triomphant, pour voir leur ville coupée dans son élan.

Inévitablement, j’ai pensé à Detroit, Michigan, où j’étais en août 2013, juste après que sa banqueroute soit prononcée (1). Bien sûr, c’est excessif, mais j’avais eu l’occasion, alors, de monter au sommet du Detroit Marriott au Renaissance Center, propriété et siège social de General Motors. De la haut, j’avais pu voir ce qui m’échappait partiellement les pieds à terre, l’étendue de cette ville abîmée, vide, silencieuse, résiliente et pourtant que j’avais trouvé sublime. Là s’arrête l’écho. Mais ce n’est pas si courant de croiser une ville à l’arrêt. C’est presque un contresens, un oxymore, d’ailleurs. C’est émouvant même… Mais ce qui l’est peut-être encore plus, c’est de pouvoir l’observer et en être témoin depuis une poche de nature, où la vie, elle, ne s’est pas arrêtée une seule seconde…

(1) Voir éventuellement le travail que j’avais réalisé à cette occasion avec « Why Detroit? » : https://issuu.com/lou_camino/docs/whydetroit_loucamino

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Vous êtes vous déjà demandé, de façon purement théorique, quel unique objet vous prendriez avec vous sur une île déserte ? Un seul, oui. Chuck Noland a bien dû composer avec un ballon de volley dans « Seul au monde », alors pourquoi pas vous ? Enfin, l’avantage, avec la théorie, c’est que l’on peut poser une question sans en questionner la logique ou la pertinence : parce que, honnêtement, qui irait volontairement s’échouer sur une île déserte ? Je ne parle pas de l’île métaphorique ou de la « bubble » sur ou au creux de laquelle nous vivons en ce moment, pas forcément de façon volontaire ceci dit. Non, la « vraie » île déserte, celle de nos dessins d’enfant, un bout de sable émergeant de la surface d’une eau forcément turquoise, une poignée de palmiers plantés ça et là, des rochers aux formes étranges, un soleil rayonnant au dessus et… pas grand chose de plus en fait.

Cette question-là, nous nous la sommes posée il y a des années. Et à chaque départ, nous repensons à nos réponses en veillant bien à ne pas les oublier dans nos bagages. On n’est jamais trop prudent… Ce n’est pas très charitable de ma part mais la sienne m’a toujours fait rire : un coupe-ongle ! J’ai eu beau argumenter que son intérêt à long terme était limité, que les dents pouvaient faire le même travail, moins soigneusement certes, mais tout de même, un seul objet, vraiment, le coupe-ongle ? Oui, oui, et encore oui ! Devant tant d’opiniâtreté bretonne, j’ai capitulé. Ceci dit, en théorie, tout s’entend. Pour ma part, après avoir envisagé emporter un album photo pour ne pas oublier les visages aimés, j’ai opté pour un objet plus utile dans ces circonstances : le couteau suisse de mes 22 ans. Nous avons évidemment les deux avec nous ici en Nouvelle Zélande. Qui n’est pas une île déserte, même si l’on peut passer des heures et des heures à rouler sans croiser qui que ce soit d’autre que son reflet dans le rétroviseur.

Cette faible densité est, je l’ai déjà évoqué, l’une des raisons pour lesquelles le COVID-19 (il est rarement nommé coronavirus ici) a peu de prise en NZ : la distanciation sociale est inhérente à la vie des îliens. Aujourd’hui, cela fait ainsi deux semaines que le confinement a débuté. Depuis plusieurs jours, le nombre de nouveaux cas est en chute libre : 50 hier et 29 seulement aujourd’hui – une petite victoire à laquelle, étrangement, j’ai l’impression de participer – ; les guérisons quotidiennes dépassent les contaminations ; 14 personnes sont hospitalisées et il n’y a « toujours » qu’un unique décès à déplorer (déjà mentionné, une femme de plus de 70 ans avec des antécédents médicaux). Lorsque je me penche sur les statistiques et situations des autres pays – effrayantes pour certaines telle la courbe vertigineuse actuellement suivie par les Etats-Unis ou l’impact dramatique à venir du confinement en Inde –, j’ai l’impression de vivre à des années-lumière de la planète bleue. Certes, la vie est entre parenthèses ici aussi, mais elle est tellement paisible, tellement déconnectée du climat anxiogène que beaucoup semble vivre… C’est un peu comme si j’étais une auditrice lointaine d’une fiction apocalyptique diffusée en mondovision, genre la « Guerre des mondes » d’Aldous Huxley lue par Orson Welles en octobre 38, sans la légendaire panique des Américains en l’entendant. A la différence près que, là, c’est vrai. C’est vrai, n’est-ce pas ? Rassurez-moi ! Enfin…

Anyway, les autorités néo-zélandaises sont confiantes – les habitants aussi : c’est même presque surréaliste de voir un peuple avoir ainsi confiance en ses dirigeants ! comme quoi, ce n’est pas un contresens –, et, sans envisager d’avancer la fin du confinement pour autant – il s’achèvera comme prévu le 22 avril –, elles préparent l’après – probable rétrogradation d’un point du niveau d’alerte – et demandent aux entreprises – en particulier aux commerces – d’en faire autant. Tout est arrêté depuis deux semaines et, comme partout dans le monde, les conséquences économiques et sociales de cette pause imposée sont importantes, les aides de l’Etat ne pouvant tout compenser. Bien sûr, la vie ne reprendra pas « comme avant » et ne sera sans doute pas « comme après » non plus. Ce sera un E2DNI, un Entre-Deux à Durée Non Identifiée… Pendant ce laps de temps, les tests vont se poursuivre. Afin de retracer au plus vite le parcours d’une transmission éventuelle du virus, les interactions entre personnes vont aussi être suivies. C’est en gestation, mais cela passera peut-être par une App à installer sur son téléphone. Certes, c’est justement la capacité à remonter le fil des contaminations qui a permis de limiter les contagions, mais quel impact pour les libertés individuelles, à court, moyen et long terme ? Autant directement passer à l’étape suivante de l’humain augmenté et nous greffer une puce dans l’avant-bras, non ?

Le contrôle des frontières est le dernier point du programme de demain. Comme toute île, la Nouvelle-Zélande fait déjà très attention à tout ce qui transite sur son territoire – par exemple, nous avons dû montrer nos semelles en arrivant… Là, il ne s’agira plus simplement de vérifier la propreté des chaussures, il faudra également veiller à ce que personne ne rapporte de cadeau empoisonné à la maison. De fait, dès ce soir, les kiwis rentrant au pays seront obligatoirement isolés 14 jours au moins dans des hôtels. Ce n’est pas le sanatorium à la Sibérienne (clin d’œil amical) mais quand même…
Pour l’heure, il n’est pas du tout question de rouvrir les frontières du pays à qui que ce soit d’autre. La dernière fois que le sujet a officiellement été abordé, il était même envisagé de les garder imperméables pendant 12 à 18 mois, le temps qu’un traitement ou vaccin fiable soit disponible.
C’est long pour un pays qui accueille près de 4 millions de visiteurs internationaux chaque année, presque autant que sa population – les prévisions à 2024 tablaient même sur 5,1 millions ; imaginez le bazar que provoque d’ailleurs cette pandémie chez les statisticiens, prévisionnistes, prospectivistes en tous genre : tout, tout, absolument tout est à revoir ! – et dont une partie de l’économie repose, a fortiori, sur le tourisme. Le reste, et dans volumes plus importants, ce sont les vaches, les moutons, le vin et le bois…

Bien sûr, que cette pandémie ait atteint cette échelle mondiale de façon aussi fulgurante est intimement lié à la facilité et à la rapidité avec laquelle nous pouvons désormais voyager, nous déplacer sur cette planète, passer d’un pays à l’autre, y déposer nos miasmes sans le savoir avant d’aller les semer ailleurs. Et, en oubliant les miasmes quelques instants, cela fait déjà quelques années que les dérives du tourisme de masse sont pointées du doigt, que certaines villes n’en peuvent plus, que les touristes-bulldozer ne sont plus les bienvenus, qu’il nous faut repenser nos migrations légères et volontaires, mais parfois lourdes de conséquences.
Ce virus, peu enclin à faire des concessions va donc très tranquillement – même s’il faut veiller à ne pas lui attribuer d’intention consciente, ce qui, à vrai dire est question ouverte à l’heure où certains parlent de karma, de planète nous transmettant un message… – et comme sur de nombreux autres sujets sur lesquels il envoie un coup de projecteur, exacerbant par la même occasion les failles de nos systèmes, fonctionnements et réflexes, ce virus va donc, inexorablement, précipiter le changement. C’est du moins ce que nous espérons tous. Je rectifie, c’est du moins ce qu’espèrent toutes les personnes que je connais. Car, même si ma bulle est large, je suis bien consciente qu’elle comprend majoritairement des personnes qui partagent le même système de valeurs et les mêmes espoirs que moi… Ceci dit, c’est un bon point de départ et il faut bien commencer quelque part !

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Cette injonction, nous la lisons et l’entendons tous les jours dans les news locales depuis l’instauration du confinement. « Bubble », c’est doux, c’est plein de rondeurs, c’est rassurant, c’est irisé, ça laisse passer la lumière, c’est protéiforme, c’est magique, on s’y glisse, comme dans une couette en plein hiver, avec la certitude d’être au chaud… Il sonne, en tout cas, mieux à mes oreilles que le terme foyer, qui, d’après le dictionnaire est d’abord le « lieu où l’on fait du feu » avant d’être celui où « vit une famille »… Ce qui, dans le fond, est un résumé aussi cruel que réel de ce qui, malheureusement, se passe dans certaines maisons actuellement.

Face au temps, qui peut-être n’existe pas ou plus (voir un de mes précédents blabla), ce « stay in your bubble » – à la fois humain et géographique puisqu’il inclut les personnes avec lesquelles vous vivez et votre quartier, que vous ne pouvez quitter – redessine totalement notre espace. S’il s’est drastiquement rétréci ces dernières semaines, paradoxalement, j’ai l’impression que les distances n’ont jamais été aussi réelles. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, ce qui est loin est « réellement » loin.
L’espèce humaine n’étant pas en mesure d’augmenter la durée d’une journée, elle s’est en effet appliquée à faire ce qui était dans ses cordes pour contourner cette contrainte forte : multiplier ce que nous pouvions faire en un jour. Des gens brillants ont ainsi conçu des machines volant à 1 000 km/h, faisant des bouts du monde des voisins de palier. Aujourd’hui, ces oiseaux de métal étant cloué au sol, les 18 850 km qui me séparent de la France redeviennent une distance infinie, presque une aventure. Sans doute Clément Ader, qui n’avait parcouru que 50 mètres lors de son premier « vol » en 1890 à bord d’Eole, l’engin qu’il avait fabriqué en s’inspirant de la chauve-souris (qui n’apporte donc pas que des virus), ne se doutait-il pas que son invention allait à ce point révolutionner notre appréciation de l’espace, du temps et au final, du voyage.

M’en plaindre serait malhonnête : j’ai beaucoup usé – de l’avion, du train, du bateau, du bus, de la voiture – pour aller découvrir l’ailleurs. C’était ça l’urgence, voir, sentir, toucher le monde avec mes propres yeux (c’est pourquoi je n’ai jamais voulu lire de récits de voyage a priori par exemple, même historiques). Je me disais que si la Terre avait été un point (ce qu’elle est depuis l’espace, ne nous leurrons pas), je serais naturellement restée au même endroit, mais comme c’est une sphère, la parcourir me semblait plus logique. Je l’ai fait instinctivement, selon mes envies, conscientes et inconscientes, et non pas avec un objectif quantitatif…

Voilà qui me renvoie à un après-midi de mai 2017, à Taïwan où j’ai séjourné quelques mois. Direction Puli, au centre géographique du pays, où se trouve l’imposant Monastère bouddhiste Chung Tai Chan. J’envisageais à l’époque de faire un sujet au long cours sur ce lieu organisé tel un microcosme. Des contacts locaux m’avaient permis d’organiser une visite de l’école et du temple. Une nonne (parlant anglais) avait été chargée de me faire découvrir le temple, incluant les étages fermés au grand public. Après m’être brièvement présentée, elle m’avait demandé combien de pays j’avais visité jusqu’à présent. A vrai dire, c’est une question que je ne me suis jamais posé. « Je ne sais pas » lui avais-je donc répondu, ajoutant que ce n’était pas important, que je voyageais pour élargir mes horizons, aller à la rencontre d’autres cultures, sillonner d’autres paysages, parce que j’étais curieuse… Après coup, j’ai pensé que c’était une question « piège », une jolie façon de sonder la personne que j’étais avant de me guider dans ce lieu sacré, d’une incroyable beauté et dégageant une énergie telle qu’en atteignant et découvrant le dernier étage, j’avais littéralement éclaté en sanglot, prise d’une émotion si forte qu’il m’avait fallu plusieurs minutes – une éternité ! – pour retrouver mes esprits…
Etrangement, plusieurs fois depuis mon arrivée en Nouvelle-Zélande – avant même que le monde ne bascule – et pour la première fois dans ma vie, je me suis dit que c’était peut-être l’un de mes derniers voyages, qu’il était l’heure de creuser un autre sillon… L’avenir nous le dira, aussi incertain soit-il…

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Au fait, samedi, avec une satisfaction non dissimulée, j’ai trouvé du chocolat pâtissier et de la farine au New World, transformant instantanément notre envie de gâteau au chocolat en quasi-réalité. Pour mémo, New World est le nom – fort à propos mais encore un peu flou quant à la ligne éditoriale qui va en émerger – de l’enseigne où nous allons remplir placard et frigo pour une semaine, presque à la même fréquence qu’à Paris finalement. La distance inter-espèce, les masques, gants, barrières de protection entre caisses, désinfectants, produits manquants (rares toutefois), stratégies d’évitement dans les rayons en moins évidemment. Je ne sais comment cela se passe chez vous (j’écris cela comme si j’étais chez moi ici, ce qui n’est pas le cas, si ce n’est temporairement), mais, dans le Nouveau Monde, certains produits en vrac – graines, céréales, légumes et fruits secs, petits pains, muffins, croissants, crumpet… –  ont été pré-sachetés de telle sorte que chacun peut évacuer le stress lié à un éventuel contact de ses cubes de gingembre cristallisé avec une main, une pelle ou des postillons portant en eux le germe de la maladie. Ceci dit, les sachets ayant tous des poids différents – masse pour les puristes –, la main baladeuse est aussi tentée de les soulever, donc toucher, un à un, pour trouver le poids qu’elle aurait pris si elle avait pu le remplir elle-même. Mais c’est assurément mieux… Et dans les faits, il me semble qu’aucune transmission du virus via un produit alimentaire ou son emballage n’a été recensée. Vous me direz.

Oui, je dis « vous » comme si je vous écrivais, à vous, comme si vous n’étiez qu’Un, comme si vous étiez Tout, qui que vous soyez et où que vous soyez, parfois sans vous manifester, parfois en me gratifiant de commentaires toujours appréciés ou de ces démonstrations sentimentales digitales et iconiques désormais intégrées à notre grille de lecture : j’aime, j’adore, je me gausse, je suis waouh mais waouh quoi, bouh je suis triste… Décalage horaire oblige, je sais que certains parcourent mes billets au réveil, d’autres en trempant leur tartine dans leur thé du matin, certains les lisent jour après jour, d’autres dans le désordre, il en est même qui m’avouent avoir hâte de les découvrir. Hé, ho, les amis, vous me mettez la pression là J !

D’ailleurs, cela me fait penser que je n’ai toujours pas envoyé mes cartes postales, pourtant achetées au fur et à mesure du voyage pour refléter au mieux la diversité des paysages néo-zélandais. Au fond, cette attention ne change pas grand-chose puisque chaque carte n’a qu’un seul et unique destinataire. Je pourrais donc prendre 15 fois la même et écrire 15 fois la même chose sans que personne ne le sache… Mais j’aime choisir une carte en fonction de la personne à qui elle est destinée, ce qu’elle aime, ce à quoi elle est susceptible d’être sensible… Quoi qu’il en soit, le tas de cartes est sur le coffre qui trône au milieu du salon. L’idée était de les écrire toutes depuis Auckland, où nous devions passer nos derniers jours, au calme, avant de filer vers Buenos Aires. Comme vous le savez, le programme a légèrement évolué. Et je m’interroge… Que faire de ces cartes ?

Maintenant que le monde a changé, je ne peux plus naïvement écrire : « La Nouvelle Zélande est un pays magnifique, magnétique même ! Nous passons notre temps à nous émerveiller devant tant de beautés naturelles que nous parcourons à pieds, à vélo, en voiture, en train, en bateau. Cela vous plairait ! (…) Tout se passe parfaitement bien so far. Nous avons l’étrange sensation d’être complètement coupées du monde et ça fait un bien fou ! (…) Le retour en ville et dans notre appartement risque d’être un peu difficile mais d’autres territoires nous attendent. (…) J’espère que tout va bien pour vous ! Nous avons hâte de vous voir et de vous serrer dans nos bras. »

Et je ne peux pas écrire non plus : « Salut… je voulais te parler de cet incroyable lac à l’eau laiteuse et turquoise, en plein cœur de l’Ile du Sud, le long duquel nous avons marché. Le vent était si fort ce jour-là que les ombres des nuages semblaient danser à sa surface. C’en était hypnotisant ! Mais franchement, à quoi bon, nous savons toi et moi que tout cela n’a plus aucun sens, que depuis cette petite balade insouciante dans les Alpes du sud, ce fichu virus qui n’était qu’une grippette en Chine a essaimé partout dans le monde, bousculant tout à une échelle inédite, individuelle et collective, révélant les failles de nos systèmes et l’étendue de nos interconnexions, contaminant 1,3 millions de personnes, en tuant 72000… Alors, mes petites vacances en Nouvelle-Zélande… »

Un temps, j’ai pensé les écrire (version : le monde d’avant 2020, en me mettant dans les conditions de l’ignorance), les photographier puis les envoyer par mail à leurs destinataires respectifs (puisque les échanges postaux sont aussi limités). Puis, j’ai pensé que cela pourrait être le point de départ d’un nouveau projet collectif… Nous avons tous, en effet, des cartes non envoyées et/ou glanées désespérées au fond de nos tiroirs. Chacun pourrait alors raconter dans quel contexte il s’est retrouvé en possession de cette carte, un souvenir, et l’envoyer à une personne qu’il ne connaît pas mais dont le nom lui a été soufflé par un ami… et ainsi de suite… sauf que non…

Bref, l’envie sous-jacente était surtout de « faire quelque chose » depuis cet endroit privilégié où je vis calmement et d’où je vois – sidérée et spectatrice – se dérouler cette catastrophe mondiale – au sens de la physique tel qu’évoqué par mon amie Laurence il y a quelques semaines – comme une pelote de laine de mérinos lâchée depuis le dernier étage d’un immeuble moderne du centre ville de Wellington. C’est ainsi que s’est progressivement imposée l’idée de lancer, avec quelques mois d’avance, la 6eédition d’Objectif3280.

Cette année 2020, nous fêtons en effet les 10 ans de ce projet et nous imaginions une édition en fanfare en fin d’année plutôt. J’en vois certains froncer les sourcils. Objectif3280 ? Je le présente brièvement ainsi sur son site : « Objectif3280 est un projet photographique participatif, mondial, en ligne et en temps réel où toutes les photos sont, de génération en génération, liées les unes aux autres par des associations d’idées ». A l’oral, je le compare souvent à un cadavre exquis géant, où ce n’est pas une personne qui propose une suite, ici à une photographie, mais trois. Autrement dit, tout cela est exponentiel. Je crois que tout le monde est désormais familier avec cette notion mathématique…

Objectif3280 est né dans ma tête en 2009 je crois mais il n’a pris forme qu’en 2010 grâce à Coralie, à ses talents informatiques et sa patience. Nous étions alors au Canada pour un an. Comme ça, sur un bout de table aussi bancal que le sol de la cuisine où elle était perchée, une idée est devenue réalité. Quand nous avons envoyé le premier mail annonçant l’existence du projet et son lancement, nous ne savions absolument pas si, de l’autre côté, vous encore donc, quelqu’un allait réagir et se prendre au jeu. Et quand, au bout de quelques minutes d’un intense suspense à rafraîchir compulsivement la page du projet (vous savez, comme le personnage de Zuckerberg à la fin de « Social Network »), une photo est arrivée – Laurence, la tienne d’ailleurs il me semble ! –, poursuivant ainsi l’histoire que j’initiais avec la mienne, nous avons poussé un grand cri de joie.

En tout, nous avons organisé 5 éditions, qui, grâce au bouche à oreille des participants, IRL ou IDL, ont réuni 736 personnes vivant dans 57 pays. Chaque édition requiert un important travail en amont et nous mobilise, à divers niveaux, pendant le mois qu’il dure. Et chaque édition fait vibrer mon cœur comme aucun autre de mes projets artistiques, personnels ou non. Parce qu’à travers lui, j’ai la sensation de faire partie d’un tout, j’ai la sensation que ce tout là vibre à l’unisson, j’ai la sensation que nos différences et divergences n’ont plus aucun sens, j’ai la sensation que nos ondes respectives créent de la joie, de la beauté, du lien, de l’intelligence, du sens. Et alors, je me dis que tout est possible. Aujourd’hui, depuis mon bout du monde, malgré la complexité de la situation, je me dis que ce projet prend tout son sens, et j’ai envie de nous sentir à nouveau ensemble, simplement, légèrement, autour d’une petite œuvre d’art dont nous serons tous les co-auteurs…

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C’est bien beau de philosopher sur le temps qui existe ou pas, le savoir et l’ignorance, les icebergs et les albatros, revenons-en aux faits ! 1106 cas de COVID-19 en tout en Nouvelle-Zélande, dont 39 nouveaux et 28 probables depuis hier. Sur ces 67 cas, 20 concernent des clusters déjà identifiés et surveillés de près. Rien depuis 2 jours dans la région Capital & Coast qui intègre Wellington, ladite capitale. Hier, la Première Ministre Jacinda Ardner, qui a des fans par-delà les frontières de son pays 😉, mentionnait qu’au début du confinement, les experts envisageaient 4 000 cas potentiels dès ce week-end. Ce chiffre dépassait à peine les 1000. Réalité +1 – Projection 0. De quoi se féliciter d’avoir instauré précocement le confinement (il y a 10 jours), même s’il ne faut pas vendre la peau du covid avant de l’avoir terrassé, et aussi féliciter les kiwis de leur observance malgré les contraintes et les effets collatéraux, ce qu’elle n’a pas manqué de faire.

Je me permets un aparté sur le terme kiwi – mais rien n’est réellement gratuit – et une anecdote culturelle linguistique. Dans le contexte de ma phrase, le kiwi est évidemment un habitant de Nouvelle-Zélande. Mais le kiwi est aussi un oiseau nocturne forestier endémique et symbolique de l’île-double (nom absolument pas officiel), dont l’absence de prédateurs pendant des siècles a progressivement atrophié les ailes. En fait, jusqu’à ce que les Européens ne débarquent (pour rappel, au 18e siècle, si vous ne vous souvenez plus des épisodes précédents), pratiquent une déforestation massive du pays (donc détruisent son habitat – un air de déjà vu non ?) et introduisent rats, furets, possums, chats, chiens and co (qui les tuent d’autant plus facilement que les kiwis ne peuvent plus voler, ce qui est plutôt lâche de leur part). Les kiwis, très timides, sont de fait menacés d’extinction et désormais protégés – en plus d’être présents sur le verso de toutes les pièces de 1 $NZ, même si vous vous demandez comment je peux savoir quelle face est le verso d’une pièce – grâce à un ambitieux et radical programme d’éradication : pièges et panneaux pédagogiques un peu partout dans le pays, dispersion (controversée) de poison, obligation de tenir son chien en laisse dans les zones où il y vivent, et d’enfermer son chat la nuit, chasse aux possums… Deuxième aparté – j’écris, je pense comme si je faisais des ricochets mais le caillou revient toujours au point de départ – : le possum (ou opossum), ramené d’Australie pour sa fourrure et exploité encore aujourd’hui pour cela (même si personnellement, je n’aimerais pas porter de la peau de nuisible sur moi), est l’ennemi public n°1 des kiwis (habitants et oiseaux confondus) et des arbres natifs dont ils aiment les feuilles et les bourgeons. Ils seraient encore 30 millions sur les deux îles (contre 5,5 côté homo sapiens) et certainement l’animal le plus volontairement écrasé sur les routes (ce qui fait aussi le bonheur des faucons de Nouvelle-Zélande – le karearea en Maori – n’ayant plus qu’à se servir sur l’asphalte chaude et ensanglantée). Fin du ricochet, retour au kiwi…

Le kiwi est enfin un fruit – l’un des rares à la chair verte – très riche en vitamine C – plus que l’orange dont le nom porte la couleur – que nous connaissons tous. En débarquant à Auckland en janvier, nous nous réjouissions à l’idée de pouvoir enfin manger des kiwis de Nouvelle-Zélande – deuxième producteur mondial – en Nouvelle-Zélande. Que nenni ! Les kiwis vendus en supermarché – le concept de marché est moins développé qu’en France – venaient d’Italie – premier producteur mondial… La NZ exporte 90% de sa production, l’Italie 70%. Pire, au Chili, c’est 95% a priori (chiffres tirés de planetscope.com). L’illustration parfaite du non-sens de la mondialisation et des traités d’échanges économiques internationaux nous disions-nous alors en faisant l’impasse sur ce fantasme frugivore (je ne suis ni économiste, ni marchande ni diplomate, mes guides seraient plutôt la logique et le bon sens dans ce contexte et ces dernières semaines et mois nous ont permis à tous de constater à quel point ces accords-là avaient leurs limites…). En creusant un peu, nous avons trouvé des kiwis locaux dans une enseigne bio, les avons précautionneusement et joyeusement déposé dans un sac en papier kraft puis tendu au caissier (dans ce temps-là, on pouvait encore s’échanger des choses sans prendre de gants) qui nous a alors demandé ce qu’il y avait dedans. « Kiwis » avons-nous répondu, « Sorry? », « Kiwis » (ce n’est pas un mot que l’on peut mal prononcer quand même, kiwi !), « Sorry again? », « Euh, kiwis »… Interdit, il a alors ouvert le paquet pour dire « Ah, kiwi fruits ! ». Bah oui, « kiwi fruits »… comme s’il était possible de rétrécir des néo-zélandais et de les mettre en sachet pour en faire une salade ! Bref… C’était drôle, quand même.

Voilà voilà… Sinon, pour finir sur l’update de la situation : 37 000 personnes cherchent actuellement à quitter la Nouvelle-Zélande pour retourner chez elles. Et la France organise un premier vol de rapatriement ce soir depuis Auckland vers Paris, à 850€ par personne, avec, à son bord, a priori, les cas prioritaires : personnes très âgées, mineurs, personnes malades, soignants appelés par leur direction, jeunes pvtistes en galère. Nous ne savons pas du tout s’il y en aura d’autres et quand, ni à quel horizon sont susceptibles de reprendre les vols commerciaux. Nous ne sommes pas pressées de rentrer dans ce que nous percevons comme un « petit » chaos mais si l’Ambassade nous appelle pour nous proposer un vol, il nous sera malgré tout difficile de le refuser. Mais chaque chose en son temps, n’est-ce-pas ?

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Cette nuit, la Nouvelle Zélande a changé d’heure. Elle est passée à l’heure d’hiver, puisque c’est vers lui qu’elle va. La semaine dernière, la France a aussi changé d’heure. Elle est passée à l’heure d’été, puisque c’est vers lui qu’elle se dirige. Il y 8 jours, il y avait ainsi 12h de décalage horaire entre nous, la Nouvelle Zélande étant le premier pays au monde à passer au jour d’après. Nous nous en souvenons vaguement les 31 décembre de chaque année lorsque les lucarnes anciennement cathodiques diffusent, à l’heure du déjeuner, des images du feu d’artifice tiré – même quand le pays brûle – au dessus de l’iconique Opéra de Sydney, où la nuit a déjà chassé le jour (en Australie oui, mais temporellement parlant, la NZ est devant). Nous lâchons éventuellement un « C’est étrange, quand même, de se dire que c’est déjà demain là-bas ! » et retournons à notre présent.

Le matin pour le soir et inversement, la tête à l’envers, des rythmes de vie diamétralement opposés, au final, 12, c’était un chiffre assez pratique. Mais tout de même un peu abstrait. Une abstraction particulièrement palpable lors des échanges, parfois simultanés mais individuels, avec des passagers d’un autre temps, forcément passé. En France métropolitaine beaucoup, en Ecosse, en Côte d’Ivoire, en Turquie, à Taïwan, au Japon, au Pérou… La Nouvelle Zélande a, par exemple, 17h d’avance sur le Pérou alors que, lorsque l’on plante ses pieds dans le sable d’une plage de la côte Est néo-zélandaise et que l’on projette son regard vers l’horizon, c’est la grande terre d’après. Oui, certes, l’océan Pacifique n’est pas vraiment une mare et s’y déploie un univers dont nous n’avons, la plupart du temps, pas du tout conscience mais vous voyez…

Zut, la digression arrive (pardon d’avance !) : la mention de l’océan Pacifique me fait faire un bond dans le temps, petit, 16 jours seulement, quand nous avons croisé cette française à Picton à qui la traversée en bateau jusqu’à Wellington a failli être refusée alors même qu’elle avait trouvé un vol retour pour la Polynésie où elle vivait (je l’avais mentionnée dans mon carnet alors de non confinement jour 4). En discutant avec elle, j’ai appris que la Polynésie comptait 118 îles réparties sur 5 archipels. Cela m’a fait le même effet lorsqu’en débarquant à l’aéroport de Yellowknife il y a quelques années, dans les Territoires du Nord Ouest canadien, croyant naïvement que j’étais au bout du monde, j’ai réalisé qu’un autre monde totalement insoupçonné et insoupçonnable se déployait encore plus au Nord, portant des noms étrangement musicaux et poétiques – Kugluktuk, Inuvik, Tuktoyatuk, Tsiigehtchic… – à la croisée des chemins sonores entre le tube de Véronique et Davina, les pulsations d’un métronome réglé sur vivace et le cliquetis de baguettes sur un bol en céramique. J’ai pensé que nous ne regardions que ce que nous connaissions déjà et que nous avions tendance à penser que ce que nous ne voyions pas n’existait pas. C’est une des raisons pour lesquelles je voyage autant : pour élargir mon horizon et faire exister l’existant à mes yeux, et au-delà. Cela me renvoie – désolée, j’ai repris l’escalier – à cette infographie commune de l’iceberg, dont la partie invisible est bien plus grande que la partie visible sur laquelle elle repose pourtant. Il me semble que nous oublions souvent un troisième élément dans cette image : ce qu’il y a autour de l’iceberg, au dessus, en dessous et qui pourrait être infini… Si je dessinais un iceberg, j’écrirais « ce que nous savons » sur la partie émergée, « ce que nous ne savons pas » sur la partie immergée et « ce que nous ne savons pas que nous ne savons pas » tout autour et au-delà donc…

Bref, retour au présent, au réel, enfin, à une réalité parmi d’autres : pendant une semaine, celle qui vient de s’écouler donc, il n’y avait plus que 11h entre les deux pays. Et depuis aujourd’hui, c’est 10. Comme ça, en 8 jours, en deux soubresauts artificiels d’horloge, chacun a fait un pas vers l’autre. Nous n’irons pas plus loin dans les retrouvailles temporelles. Le changement d’heure doublé du décalage horaire ne m’a jamais autant paru arbitraire et sans fondement. Accentuant encore plus cette pensée fugitive mais récurrente que le temps n’existe pas. Enfin, pas vraiment. J’ai longtemps cru que le physicien Richard Feynman était l’auteur de cette phrase que je me suis souvent répété – « Le temps, c’est ce qui se passe quand rien ne se passe » – mais elle est a priori de Jean Giono. J’aime bien cette idée, que, quoi que nous fassions, que nous nous affolions ou que nous nous affalions, pour le temps, objectivement, c’est du pareil au même… Il s’écoule, imperturbable, imperméable aux douceurs comme aux coups, même s’il en réserve à tous ceux qui le vivent. Et voilà que je découvre aujourd’hui cette pensée d’Aristote : « Puisque le passé n’est plus, puisque l’avenir n’est pas encore, puisque le présent lui-même a déjà fini d’être avant même qu’il a commencé d’exister, comment pourrait-il y avoir une réalité du temps ? ».

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Cela a beau être le surnom des Iles Kerguelen, je ne les ai jamais perçues sous cet angle un peu triste. Le seul moyen d’y parvenir ? Onze jours à fendre l’océan Indien à bord du Marion-Dufresne depuis l’île de La Réunion, la terre habitée la plus proche. A 3250 km. Le navire ravitailleur y dépose les hivernants puis repart, pour ne revenir qu’un mois après (en été seulement, moins ensuite), avec victuailles, courrier, matériel… Savez-vous qui lui a attribué ce surnom ? James Cook ! Oui, celui-là même qui, le premier, a cartographié la Nouvelle-Zélande. Un peu plus et Kerguelen – du nom du navigateur Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec qui y a accosté en 1772, quatre ans avant Cook (oui, un Breton, rangez vos drapeaux s’il vous plaît !) – passait du côté de la couronne britannique ! Pour honorer son passage malgré tout, la calotte glaciaire, qui couvre une grande partie du centre ouest de cette île plus petite que la Corse, porte le nom de Cook. C’est fou, cette manie de donner son patronyme à ce que l’on découvre ! Lorsque, avec mon camarade de manip éthologue, nous avons décidé de baptiser la grotte où nous nous étions installés quelques jours pour étudier un groupe de manchots – ma main gauche se souvient encore d’un coup d’aile bien musclé de l’un d’eux pendant que nous pesions l’œuf qu’il couvait –, l’idée de choisir nos prénoms ne nous a pas effleuré l’esprit. Pour nous, c’était « la grotte de Melchior ». Je ne me souviens toutefois plus de nos motivations d’alors. Cela remonte à plus de 20 ans. Et je ne sais si le nom a perduré depuis, bien que nous l’ayons partagé avec les autres hivernants en retournant à la base de Port aux Français et que, comme dans certaines sociétés, la transmission orale est de mise sur ces îles…

J’ai beaucoup pensé à cette année passée sur cette île déserte avec une cinquantaine d’autres personnes au cours de ce voyage en Nouvelle-Zélande. En particulier, sur l’île du Sud, plus sauvage, plus montagneuse, plus originelle, plus minérale… Et, assurément, d’une autre manière, depuis que le mouvement s’est arrêté et que le confinement a commencé. Parce que cette expérience incroyable, inoubliable comme vous pouvez l’imaginer, inscrivant un avant / après sur ma ligne de vie, en était déjà un. Confinement. Il y a mille façons de s’isoler du monde, de se révéler à lui et de le voir se révéler à nous. Et même si tout n’a pas été facile pendant cette mise à l’écart exceptionnelle de 13 mois, cette vie au contact de la nature – pas un seul arbre cependant sur l’île, hormis celui, planté dans le prolongement du bâtiment médical et résistant héroïquement au vent en veillant à ne jamais laisser ses branches s’aventurer plus haut que son toit – a plus été un révélateur, une ouverture, une découverte de l’autre, de soi, une grande histoire d’amitiés qu’un enfermement.

Mais voilà que mon esprit dérive à nouveau… Je voulais parler du Grand Albatros. Le plus grand oiseau au monde aujourd’hui, dont l’envergure peut atteindre 3m70. Ce grand voyageur, qui passe 95% de sa vie à voler au sud des océans Indien, Austral, Atlantique, Pacifique, n’est pas facile à croiser dans une vie… Il faut naviguer sur ces eaux tumultueuses ou se trouver sur l’une des rares îles où il se pose pour se reproduire. J’ai eu le bonheur et la chance de le rencontrer et de l’étudier un peu avec les ornithologues à Kerguelen pendant cette période de nidification. Quelle beauté, quelle merveille ! Et puis, il a totalement disparu de mon champ visuel. Jusqu’à il y a trois semaines… Car se trouve en effet, près de Dunedin, au sud de l’Ile du sud, une petite colonie d’Albatros Royal choyée par les scientifiques. Pour l’experte que je ne suis pas, ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Il s’agit là de l’unique colonie « continentale » au monde – c’est amusant que les néo-zélandais utilisent ce terme pour qualifier leur île, et en tout cas, la distinguer des îles confettis qui ont généralement la faveur de ces vagabonds ailés. Ce n’était pas une madeleine mais le retour à Kerguelen, lorsqu’ils ont glissé dans l’air au dessus de nos têtes, a été immédiat. C’est étonnant comme parfois, le passé refait surface et fait écho au présent, comme si ces réminiscences devaient nous aider à comprendre le présent ; comme si, malgré les nombreuses années entre les deux moments, le temps n’avait finalement pas existé.

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