Photo-graphies et un peu plus…

Nous espérons tous, plus ou moins et différemment, être comblés par notre vie. Les stratégies pour atteindre ce niveau de satisfaction sont nombreuses. Arrêtons-nous sur les deux plus évidentes : la première, croire en sa bonne étoile et attendre que le bonheur ou ce qui est susceptible de le provoquer, se présente à nous comme un bouquet de roses un jour de Saint Valentin ; et la seconde, bonne étoile ou pas, provoquer la chance, les opportunités et, d’une certaine manière, prendre la main sur le hasard, ou le destin, c’est selon les croyances personnelles… N’ayant tous qu’une vie – j’exclus les cas de métempsychose – et n’étant pas doté d’un don d’ubiquité parallèle, nous ne saurons jamais si l’une de ces options est préférable à l’autre. Il faudrait en effet pouvoir les suivre simultanément pour être en mesure de les comparer…

Cette double stratégie fonctionne aussi en photo. Parfois, le projet est très clair, très précis : par exemple, aujourd’hui, l’objectif est de photographier 46 voitures rouges, 23 femmes à chapeau, 12 pigeons sur un arbre et 3 chenilles sur l’herbe. Bon, la tâche n’est certainement pas aisée, mais elle a le mérite d’être définie, de fournir un cadre, et donc de laisser entrevoir une ligne de conduite. Se poster à un carrefour ou chez un concessionnaire Ferrari, aller fureter au rayon chapeau d’un grand magasin ou à la sortie de la messe, faire un tour au Jardin du Luxembourg et enfin, trouver des pêcheurs près d’une pelouse… Parfois, au contraire, il n’y a rien de vraiment arrêté. Comme ce jour-là. Je me suis agenouillée sur les pavés de cette historique rue des Saules sur la Butte Montmartre en espérant, passivement mais le doigt sur le déclencheur malgré tout, que quelque chose se produise. Je ne sais pas quoi exactement, qu’un train sorte de terre, qu’une bande de jeunes déguisés en pois chiche débarque… Evidemment, je ne m’attendais pas à ce qu’un simple canidé dé-laissé et renifleur de pavés entre nonchalamment dans le champ, sans même m’accorder la moindre attention ! Mais, c’est le risque à attendre que les éléments viennent à soi, ce qui s’apparente un peu à la stratégie du confiant-fainéant… Parfois, c’est reposant.

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Comme ça, sans prévenir, au 21e siècle, des jeunes n’ayant pas connu la guerre se retrouvent, tel un jeu, chaque dimanche, sur la clairière bercée par le soleil tombant, pour se livrer des batailles d’une autre époque.

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Sournoise, la lumière, tapie dans l’ombre et affamée, les grignotait tous, les uns après les autres, en de parfaites bouchées rondes, sans qu’ils ne s’en rendent vraiment compte et ne s’en effraient…

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Le globe-trotter ramène souvent beaucoup de clichés dans ses valises… Autant d’images des paysages admirés, des villes traversées, des musées visités, des forêts arpentées, des objets collectionnés, mais aussi, des personnes croisées. Les autochtones. Les locaux. Les vrais ! Des portraits volés au téléobjectif ou au grand angle, à la va-vite. Des portraits consentis aussi. Parfois moyennant quelques pièces. Le moins glorieux pour le preneur d’image à mon sens. Mais, finalement, une démarche compréhensible de la part des photographiés, qui, d’une certaine manière, poussent le vice à son paroxysme : si les visiteurs se croient au musée ou au zoo, il est normal qu’ils s’acquittent d’un droit d’entrée, même symbolique !

Nous sommes évidemment tous l’autre de quelqu’un et c’est aussi cet exotisme, cette différence que nous allons chercher en voyageant. Et que nous avons la tentation d’enfermer dans nos boîtes à images. Cela a quelque chose d’un peu dérangeant. D’ailleurs, j’ai toujours le réflexe de tourner la tête lorsque je vois un appareil braqué sur moi. Hors de question que je sois l’exotique de service ! Car nous ne sommes « jamais » exotique chez nous, sur nos propres terres !

Pour rester cohérente, je prône donc l’éthique de réciprocité, même si, dans les faits, je ne l’applique pas toujours. Une parade consiste donc à faire de l’anti-portrait. C’est-à-dire, à prendre des photos de ces personnes tout en prenant soin de ne pas montrer leur visage. Ce qui peut s’avérer compliqué lorsqu’ils sont plusieurs à entrer dans le champ… Une tête coupée, une tête tournée, une tête cachée par une manche, une autre prise dans l’ombre… L’image continue à avoir sa vie malgré tout et surtout, à montrer la vie qui s’y trame. Ainsi, mais peut-être est-ce un leurre ?, ai-je la sensation de « plus » respecter ces autres qui défilent devant moi comme des pays sages.

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Ils sont beaux, là, tous alignés, les yeux rivés sur le spectacle en train de se jouer devant eux. On leur a demandé de se presser exactement là, à une distance très précise de l’estrade. « Vous verrez mieux ! » qu’ils disent. Il est vrai que ce mur de lumière, réalisé avec des phares récupérés sur des voitures, est impressionnant. Mais, dans le cas présent, il s’agit d’autre chose. La Compagnie étant joueuse, je soupçonne une bonne blague et me mets à l’écart… Juste assez pour ne plus avoir de flaques d’eau sous mes pieds. C’est vrai, elles sont étranges ces flaques au beau milieu du Grand Palais. La toiture est neuve, et qui plus est, c’est l’été. Pas d’ondée à des kilomètres à la ronde. « Vous êtes prêts ? » lancent les organisateurs. « Ouiiii » répond l’assemblée rassemblée.

Arrêt sur récit. Une espèce de grosse tâche blanche surexposée vient occuper une bonne partie de l’image. Difficile de savoir de quoi il s’agit à ce stade. Reprise. Tout se passe en une fraction de seconde. Ils allument le canon, à eau, la masse aqueuse et monstrueuse vole et vient s’abattre sur les spectateurs avant même qu’ils n’aient compris ce qui leur arrive ! Personne ne l’a vue venir ! Personne, au dernier moment, ne s’est décalé pour passer au travers des gouttes. Tout le monde a été pris par surprise, de juste éclaboussé à rincé jusqu’à l’os, mais toujours avec le sourire aux lèvres ! Sans rancune ! C’est comme si, en passant la porte de ce chapiteau de verre et de fer, chacun avait décidé de ne pas voir le nez au milieu de la figure et de se laisser emporter par la magie de cette troupe de luxe !

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L’arrivée d’un appareil photo numérique entre mes mains, et d’une manière générale, entre les mains de quiconque, a changé un certain nombre de choses fondamentales. Notamment, la façon de faire des photographies. Je n’évoquerai pas ici la séparation physique de l’appareil liée à la visualisation par écran : on ne fait désormais plus corps avec lui, et cela, c’est une révolution. A mon sens. Mais c’est un sujet en soi.

Non, ce qui a surtout changé, c’est le nombre de photos que l’on s’autorise à faire sous prétexte qu’il n’y a plus de pellicules à acheter. Et donc, que, d’une certaine manière, prendre une photo devient gratuit. Prendre mille photos ne coûte d’ailleurs pas plus cher, dès lors que l’on les conserve au chaud dans son ordinateur bien sûr. Là où la pellicule, payante, incitait à un minimum de retenue, et donc, de réflexion avant déclenchement, la carte mémoire l’efface. Quelle importance, en effet, de prendre dix fois à peu près la même vue pour augmenter ses chances d’en avoir une « bonne », quand il suffit d’effacer les neuf moins bonnes au moment de la sélection ?

Mais, c’est justement à ce moment précis que cela se complique. Car, à y regarder de plus près, sur chacune de ces dix vues, il y a toujours un petit quelque chose que l’on aime vraiment, que l’on ne retrouve pas sur les autres images, argument que l’on se sert à soi même pour ne pas supprimer les neuf images de trop. Car, il ne faut pas fantasmer, sur ces dix images, il y en a toujours neuf qui sont inutiles. Voire dix. Ce non choix est, petit à petit, responsable de l’inflation incontrôlée de notre photothèque. Pour avoir la conscience tranquille face à ces outsiders conservés tout en sachant qu’ils ne seront pas utilisés dans leur entièreté, j’ai trouvé une parade : assembler ces petits bouts si particuliers, et ainsi, recomposer une image, irréelle, significative. Evidemment, aller au bout de la démarche impliquerait de supprimer les parties non exploitées des photos utilisées pour le montage. Ce serait trop simple. D’autres parties de ces images pourraient en effet s’avérer intéressantes ultérieurement. Et voilà comment, malgré ma bonne volonté, ma base photo augmente au lieu de décroître…

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Il est des endroits où l’on met les pieds simplement pour le cliché. Pas, le cliché, photographique, mais le cliché, le lieu commun. Certes, ce cliché se transforme en cliché, et ce lieu commun est une gare. Un lieu commun par excellence d’ailleurs. Mais ce n’est pas en cela que Grand Central Station est un cliché. C’est un cliché cinématographique. De polars, de comédie romantique, de films à suspense, d’auteur… de tout ! D’ailleurs, cette dame là, au milieu de la salle, juste à côté du rai de lumière, attendant que quelqu’un vienne la chercher, la tête légèrement penchée vers le sol, les mains l’une sur l’autre, la tenue un peu vieillotte, la valise en vieux cuir froissé, ne semble-t-elle pas tout droit sortie d’un film de Capra ?

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Ce n’est que dans un deuxième temps que l’on voit les cinq petites silhouettes féminines et enfantines se détacher du chemin sur la droite. Et ce n’est donc qu’après les avoir vues que, estomaqué, l’on retourne aux tiges pour tenter d’en extrapoler la taille en ajoutant, virtuellement, les personnes les unes au dessus des autres. 1, 2, 3…, 9, 10, 11, on peut en mettre 11, 12 peut-être. Nous ne sommes décidément pas grand chose aux côtés de simples bambous sauvages…

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Dans la labyrinthique et mythique médina de Marrakech. A errer de ruelles en venelles. Entre les murs ocres et la terre rouge. Le regard s’égare. Il scanne. Se heurte à des murs, des détours, des contours. Cherche le ciel. Bleu. La sortie. Des repères là où tout le monde semble savoir exactement où il est. Où la vie va piano. Là, peut-être. A l’Est de cet étal de fruits et légumes d’un marché improvisé. De l’autre côté de cette porte ouverte. Comme un œil au milieu du visage. Eclairé de l’intérieur. Une lumière vive. Blanche. Empoussiérée. Mystérieuse. Extra-ordinaire, voire extra-terrestre, dans cette ambiance étroite et haute. L’appel du fond. Comme un aimant.  Cinq notes sur un piano aux touches colorées. Une folle envie d’aller voir ce qui lui vaut cet éclat. Le chemin vers la sortie, la délivrance ? Comme dans un cliché. Un leurre, plutôt. Un patio, certes enveloppé de lueur, mais ne donnant que sur lui-même. Un clin d’œil du soleil zénithal, au passage, avant d’aller attraper d’autres regards fuyants…

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Cette impression de pluie s’abattant sur les promeneurs nocturnes montréalais est l’une des 18 photos proposées au concours annoncé hier. J’en remets une couche. A tel point que cette image-là n’est d’ailleurs pas tout à fait celle que j’ai envoyée. Mais l’objectif n’est pas de parler de ces photos, mais plutôt de la façon dont Facebook vampirise tout progressivement.

Seuls ceux qui possèdent un compte dans cette nouvelle banque de données mondiales (mais il ne faut pas s’inquiéter, ce ne sont que des amis qui vous veulent du bien…) peuvent en effet dire qu’ils aiment telle ou telle image, voire la commenter. On me rétorquera qu’ils sont quand même 500 millions, ce qui est un public potentiel inespéré pour les 66 627 personnes qui ont déposé, à elles seules, 342 960 photos… Reste que 500 millions d’amis (sûrement plus depuis la sortie du film de David Fincher), c’est beaucoup, mais ce n’est pas tout le monde ! 5 197 254 041 sont mis à l’écart pour d’obscures raisons.

Il est dommage qu’un concours ouvert à tous au départ soit finalement réservé à une frange de la population. Et combien de personnes finissent par s’inscrire, après avoir pourtant résisté à ce nouvel objet de pression sociale (« quoi, tu n’es pas sur Facebook ! mais, comment fais-tu pour communiquer avec le reste du monde ? », quelques années après « quoi, tu n’as pas de portable ! mais comment fais-tu pour vivre ? »), pour pouvoir faire leur devoir artistivique et voter ? Quel argument recevable peut justifier une telle exclusion ? On ne peut être amateur de photo que si l’on est sur Facebook ? Un visiteur avec un carnet d’adresses plein est sans doute plus intéressant qu’un internaute lambda-sans-ami-le-pauvre… Et cet exemple anodin, qui en dit long sur la puissance de cette nouvelle élite de masse, n’est que la partie émergée du Zuckerberg !

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