J’aime beaucoup lorsqu’un peintre s’extrait des confins de son atelier, pose son chevalet en extérieur, à la lumière naturelle, face à un paysage suffisamment remarquable pour que d’autres le prennent en photo, laissant ainsi croire aux curieux voyeurs aux alentours qu’il va le reproduire à l’identique alors qu’en réalité, il a, dès le premier coup de pinceau, décidé qu’il ne ferait que s’en inspirer. Ce que l’indiscret réalise rapidement et non sans étonnement en s’approchant un peu plus de lui… Pourquoi – peut se demander ce dernier – se placer sciemment à cet endroit stratégique si, finalement, le but est de ne faire que de l’approximatif ? Indépendamment du fait que prendre l’air est bon pour la santé, a fortiori peindre à l’air, cet exemple illustre le fait que si nous voyons bien tous la même chose – une scène bucolique comprenant verdure, village, haut clocher argenté et rivière en contrebas -, et que si beaucoup d’entre nous ne voient pas autre chose, pour certains, ces éléments factuels ne sont que le point de départ d’une nouvelle aventure, d’un nouveau voyage vers une autre vision, un ailleurs qui s’est imaginé entre le moment où les yeux ont « vu » et où le cerveau a réinterprété… Personnellement, je trouve cela captivant. Que l’on aime, ou pas, le résultat…
C’est un fa, j’aime travailler en musique. Ne pas être en mesure d’en écouter dans ce contexte studieux est même susceptible de me perturber. Souvent, je suis du genre mélomane monomaniaque. A écouter le même album en boucle pendant des semaines jusqu’à en connaître par cœur les notes, les transitions, les rythmes et les mots, comme si je me préparais à réciter une poésie. Je sais, à chaque nouvelle seconde qui passe, quel son va résonner à la suivante. Il n’y a pas vraiment de surprise, ce qui a quelque chose de rassurant, de réconfortant, d’efficace. Dans la vie, ne fonctionnons-nous pas un peu comme cela aussi ? En allant finalement toujours dans les mêmes quartiers, en empruntant à peu près les mêmes chemins pour y aller, en ingurgitant régulièrement les mêmes menus… D’agréables petites habitudes qui, progressivement, se muent en routine.
A l’inverse, j’aime tout autant l’expectative dans laquelle me plonge le mode aléatoire, ce fameux shuffle auquel Monsieur Lazhar n’entend rien dans le film éponyme, et ce, malgré son nom qui lui fait écho. Avec le shuffle, tout d’un coup, des pistes oubliées remontent à la surface, ressuscitées ; d’autres, ignorées, se font connaître ! Le requiem de Mozart côtoie le râle d’Eminem, les chants diphoniques d’Huun-Huur-Tu les vocalises de Björk, sans que quiconque ne crie au scandale, sans que cela soit une aberration musicale, sans que cela n’altère l’attention malgré les divergences de tempo, de voix, d’ambiances… Le hasard crée sa propre polyphonie et s’avère être un DJ plutôt avisé.
Le photographe est un chasseur. Et comme tout chasseur en période faste – de chasse donc -, il est à l’affût. Il progresse à pas feutrés dans un environnement qu’il ne connaît pas toujours, en scannant de gauche à droite le monde qui l’entoure sans omettre de projeter son regard au loin pour repérer, le plus tôt possible, tout événement susceptible d’être harponné. Même si les conditions sont propices à une bonne chasse, le photographe sait rarement sur quel animal il va tomber et, même, s’il va en croiser un. Ce que l’on appelle communément « rentrer bredouille ». Heureusement, il arrive aussi que la chance lui sourie, en revêtant une forme totalement inattendue…
Un attroupement sur un ponton alors que les autres sont vides : un indice fort. Il se passe peut-être quelque chose là-bas, au loin donc. Chercher. Là, juste sous les yeux des badauds. Sur les galets londoniens. De drôles de silhouettes encore indéfinies à cette distance, mais vraisemblablement colorées et peut-être nues, ou en maillot. En tout cas, pas en tenue réglementaire. Il se passe quelque chose. C’est sûr. Le photographe, que la non exclusivité du trophée ne dérange pas, arrête de scruter autour de lui. Il a trouvé sa cible, avance d’un pas bien plus rapide maintenant, sans jamais quitter son objectif des yeux. Prêt à dégainer au cas où les événements se précipiteraient… Ils bougent, s’approchent de la rive. Le chasseur prend son élan et rejoint la meute perplexe. Il y a de quoi : une grappe d’humains nus comme des vers, peinturlurés des pieds à la tête, et coiffés de couronnes de feuilles vertes font les clowns sur les rives de la Tamise à marée basse. Déclencher. Même approximativement. Réfléchir aux différentes hypothèses ensuite pour affiner le tir.
Le fait ne doit pas être courant. Autrement, les gens ne s’arrêteraient pas. Cela ne semble pas être un défi non plus, un gage stupide d’enterrement de vie de garçon (mixte), ou une séance photo un peu originale comme pourrait pourtant en témoigner la deuxième photo… Tout cela paraît, au contraire, étrangement sérieux. Le chasseur respire enfin, se pose pour mieux viser. Sa prise est déjà plus composée. Elle a le fond et la forme des images que l’on met de côté. La fille se défile. Elle vient de s’apercevoir qu’ils n’étaient plus seuls et qu’une cinquantaine d’yeux étaient tournés vers eux, à la fois rieurs, dubitatifs, mais aussi dans l’expectative : qui sont-ils et que vont-ils faire maintenant ? Une ronde, bien sûr ! Avec d’autres fidèles bigarrés mais frileux. Autour d’un barbecue… Une offrande peut-être à un Dieu amateur d’art et de folie… Au chasseur, c’est sûr, qui n’en espérait pas tant !
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Et voilà ! Après quelques mois de gestation, le premier numéro de Médyn, le magazine de création contemporaine fait par les artistes, créé en collaboration avec Kristophe Noël, est en ligne ! 28 jeunes artistes à découvrir au fil des pages virtuelles…
La liste ? Alain Delorme, Alain Bernardini, Albert Pema, Alexandre de Cadoudal, Anatoliy Lavrenishyn, Antonella Policastrese, Audrey Lefeuvre, Bobby Chitrakar, CARO-MA, Catherine Duverger, Christophe Sion, Coralie Vincent, Florent Mahoukou, Fred Morin, Grégoire Mähler, Julian Renard, Julien Lombardi, Karine Portal, Le Bouc sur le Toit & Zita Cochet, Line Francillon, Luminitza Liboutet, Mickael Jou, Nicolas Gasco, Paul Vincent, Sergio Albiac, Tilby Vattard, Vincent Ganivet, Kristophe Noël et moi-même. Merci à eux d’avoir accepté de faire partie de cette aventure embryonnaire, et merci à vous tous de le parcourir, de l’aimer, de le partager, de le faire vivre…
Mode d’emploi éventuel : cliquez sur l’image et Médyn s’ouvrira…
En ville, concentrée sur les immeubles, les maisons, les bâtiments, je suis régulièrement confrontée à un problème photostentiel : les voitures ! Celles qui roulent, créant un premier plan disgracieux ; celles qui sont garées, tronquant l’appréciation des rez-de-chaussée voire premiers étages ! Dans les deux cas, cette présence métallique fait naître une question récurrente : comment cadrer ? Question d’autant plus vive si la juxtaposition visuelle des deux – voiture / bâtiment – semble créer un paradoxe temporel. Je m’explique : des voitures de 2011 dans les rues du quartier français de La Nouvelle Orléans, dont les maisons ont été érigées au 18e siècle. Bon, et bien, à mes yeux, ça jure ! Ni fait, ni à faire. Rien que pour cela, le quartier devrait être piétonnier, ce qui permettrait à ses visiteurs d’en apprécier la beauté surannée sans se contorsionner !
De fait, vaut-il mieux tronquer le bâtiment à sa base pour éviter l’enfilade de carcasses modernes et ainsi composer un plan, un peu bancal il faut l’avouer, à partir du premier niveau ? Faut-il faire fi de ces voitures, qui, après tout, font partie de ce monde et du présent, et les intégrer naturellement à la vue ? Et faut-il vraiment attendre, au carrefour, ces quelques secondes où le temps s’arrête, où le feu est encore rouge d’un côté et pas encore vert de l’autre, pour déclencher ? Malheureusement, c’est une vraie question. Photostentielle, donc c’est moins grave. Car, si aujourd’hui, ce décalage chronologique est gênant, il y a fort à parier qu’il ne le sera plus dans 20 ans. Ces voitures-là seront passées du côté de l’histoire, la grande, celle du temps qui passe, qui voit les êtres et les choses disparaître, et c’est l’ensemble qui deviendra alors documentaire – « Oh, elles étaient comme ça les voitures, avant ! » -, et, d’un certain point de vue, intéressant ! Mais, au présent, finalement, voiture ou pas ?
Je suis certaine que cela vous est déjà arrivé… De ne pas mettre la main sur votre magazine de voyage, votre stylo rouge, votre super recette de scones, votre pull bleu pétrole, votre objectif à décentrement, votre brosse à dents de lait, votre ampoule de 50 W, votre trousseau de clés rondes, votre tapis persan, […]
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