J’ai écrit un petit texte sur ce magnifique pays qu’est la Namibie pour le numéro III de Umagazine. Les photos de l’article sont de Grégoire Mähler (celle juste au-dessus est de moi, comme toutes celles qui figurent sur ce site). Cela se passe ici et ça commence page 29 : Cap sur la Namibie, un pays aux mille visages…
En espérant que cela vous donnera envie d’y faire un tour ! Bonne lecture !
– Dis, tu ne l’avais pas celle-là ?
– Quoi « celle-là » ?
– Et bien, cette ride-là ?
– Où, une ride ?
– Là. Sous l’œil gauche. Bien marquée.
Tout le monde se marre
Il n’y a pourtant rien de drôle à découvrir une nouvelle ride chez quelqu’un. C’est beau, une ride. Et il faut bien que le temps qui passe et ce qui s’est passé pendant qu’il passait laisse sa trace d’une manière ou d’une autre. Comme un miroir déformant de nos vies, autant de stigmates de nos bonheurs, de nos douleurs, de nos tics, de nos frustrations, de nos fous rires, de notre enfermement, de nos éclats, de notre folie, et aussi, au fur et à mesure, de la somme de tout cela. Rides montantes ou descendantes, profondes ou légères, symétriques ou pas, on les interprète en croisant leurs porteurs comme si on était un devin à rebours. En fait, ce qui faire sourire, c’est de réaliser que l’autre vieillit aussi, comme si le temps pouvait nous oublier. « Oups, tiens, je suis passé à côté de celui-là ! Allez, hop, je lui mets tout d’un coup ! Y a pas de raison ! » Effroi au réveil ! Parce que le temps, on le voit plus passer sur les autres que sur soi.
– J’ai compris !
– Tu as compris quoi ?
– J’ai compris d’où venait cette ride.
– D’où ?
– Quand tu fermes l’œil gauche en prenant une photo…
Je la baptise « la ride du photographe », asymétrique donc. Une ride prestigieuse, en fin de compte, qui va continuer à creuser son sillon, et faire rire les voyeurs, pour mieux marquer les leurs…
Le voyage n’est pas seulement un plaisir pour les yeux. Il l’est aussi pour les oreilles. Il y a la langue, bien sûr, parfois différente de celle que l’on maîtrise, et à laquelle on ne comprend rien, nous plongeant alors dans des abysses d’incompréhension indéniablement envoûtants. Mais, avant la langue elle-même – j’entends, les phrases, les conversations – il y a les mots. Pris un à un. Et notamment les noms de villes.
Se plonger dans une carte géographique, au hasard, de la Namibie, est ainsi un voyage en soi : Swakopmund, Lüderitz, Windhoek, Sossusvlei, Twifelfontein, Keetmanshoop… Des sonorités à faire phosphorer l’imaginaire ! Quels paysages peut réserver une ville comme Twifelfontein ? La question est stupide mais je pense à une chute d’eau dont le flot prendrait la forme de la Tour Eiffel ou serait rétro-éclairé… Mes hypothèses sont tout aussi stupides. Evidemment, nul doute que Charleville-Mézières ou Morlaix suscite la même sensation d’exotisme pour une oreille namibienne.
Après ces cités dont on apprend tant bien que mal à prononcer le nom sans les écorcher, de nouvelles découvertes verbales, tout aussi enthousiasmantes, viennent rythmer les journées. Elles accompagnent en particulier celles d’espèces endémiques aux lieux explorés. Ainsi, quand on les voit se détacher à l’horizon de l’erg avec leur large tronc asséché en décomposition et leurs branches montées comme des palmiers, des oursins ou des étoiles scintillantes, on a déjà un petit pic au cœur. Et lorsque l’on nous apprend leur nom, on tombe instantanément sous le charme. Kokerboom !
… cet endroit est fascinant ! N’allons pas pour autant dire qu’il est perdu au milieu du désert, même si c’est un peu le cas ; ni qu’il n’est pas très connu, même si Kolmanskop remporte certainement moins d’écho que Tataouine… Ce village fantôme est situé à quelques encablures ensablées de Lüderitz. Le point d’interrogation est toujours là ? Windhoek est la capitale de ce pays où, autrefois, on allait à la pêche au diamant. Certains mineurs croient d’ailleurs toujours au miracle à Kolmanskop, officiellement abandonnée au mitan des années 50 après 42 ans de vie plus ou moins intense, ou plus précisément, après 10 ans de rêve éveillé et 32 années de désenchantement continu. A l’époque faste, la ville a même été la première de l’hémisphère sud à équiper son hôpital d’une machine à rayon X et la première d’Afrique à se doter d’un tram.
Passé ultra moderne. Solitude présente. Entre les deux, le Namib a fait son chemin. Et quand le désert avance, c’est la vie qui s’en va. (!) Et qui revient, parfois, des années après, sous une autre forme, avec d’autres rêves. Non pas celui de trouver une de ces précieuses pierres mais de pouvoir découvrir avec ses propres pieds, avec ses propres yeux, avec son propre cœur curieux cet univers qui s’effrite, s’effondre, se craquelle de tous côtés, se fait engloutir, avaler par le sable, et même transpercer par les rayons du soleil, qui, lui, comme demain, ne meurt jamais. Contrairement aux diamants, faussement éternels…
Il est étonnant de voir à quel point cette image de rail attaqué par la rouille avec ses traverses bien parallèles, paraissant à peine posé sur le sable ocre et allant se fondre dans un horizon blanc énigmatique ressemble à la vue aérienne nocturne et électrifiée d’Impression soleil levant. Pourtant, rien de plus opposées que ces deux représentations de la vie.
Si la photographie d’hier incarnait l’urbanisme dans toute sa démesure et laissait deviner une forte activité humaine, celle-ci ne montre rien. Cette voie de chemin de fer est perdue au milieu du désert du Namib. Il n’y a tellement rien autour que si l’on regarde à gauche et à droite avant de s’en approcher, ce n’est pas pour s’enquérir de l’arrivée éventuelle d’un train mais plutôt pour tenter de voir où disparaissent ces lignes. Tout au plus, trouve-t-on des poteaux et un câble électrique courant en parallèle, ainsi qu’une route, rectiligne, suivant le mouvement. Trois camarades d’errance, trois traits d’union silencieux entre quelque chose et quelque chose. Un vide, un trou noir, un néant qui aspire, inspire et fascine autant que la ville grouillante, bruyante et saturée. Et au final, ce sont ces bouts de métal et de macadam ardemment chauffés par les rayons d’un soleil capricorne filant droit comme l’honnêteté qui (trans)portent une vie qui ne fait que passer…
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