Et bien oui, la trêve n’aura pas été bien longue… Mais ne nous méprenons pas sur ce qui suit pour autant…
Imaginez un peu la patience qu’il a fallu à ces gouttes d’eau pour réussir à squatter durablement ces rochers et poteaux posés là comme une digue embryonnaire, et bâtir cette épaisse couche de glace boursouflée de partout, à la fois totalement inhospitalière et véritablement subjuguante. Il a d’abord fallu que la température extérieure baisse sensiblement, non pas pendant un jour comme ça au hasard, mais durant plusieurs jours, collés les uns aux autres. Puis que celle du lac suive la même tendance descendante. En parallèle, il a fallu que ce dernier continue à danser et à donner de petites impulsions propres à créer quelques vagues, au moins, vaguelettes, et que celles-ci soient suffisamment motivées pour passer par dessus les dits rochers et poteaux, ou au moins, les éclabousser.
Cette submersion peut être très rapide. Aussi a-t-il fallu, pour arriver à ce résultat saisissant, qu’à chaque allée et venue, des gouttes résistent à l’appel du fond et du large, et réussissent à s’accrocher de toutes leurs forces aux aspérités de la roche. Et que, de son côté, complice, l’air fonde aussi vite sur elles pour les figer sur place. Et ainsi, de vaguelette en vaguelette, de dixième de millimètres en dixième de millimètres, les rochers ont finalement disparu sous un manteau glacé qui leur a apporté tout sauf de la chaleur. Un acharnement quasi pathologique, quand on y pense. Mais qui peut bien avoir eu la patience d’achever une telle œuvre ? Le temps, comme d’habitude…
C’est toujours, à mon sens, un grand moment et une grande satisfaction, dans une vie, la sienne en l’occurrence, de pouvoir s’exclamer : « C’est la première fois de toute ma vie que je fais/vis/vois/entends/sens ça ! ». L’important, ici, est la proximité entre les mots « première fois » et « toute ma vie ». Evidemment, tout dépend du « ça » en question. Ainsi, un « C’est la première fois de toute ma vie que je goûte à du Durian » impressionnera peut-être moins qu’un « C’est la première fois de toute ma vie que je fais l’équilibriste au dessus d’un marécage rempli d’alligators affamés » ! Et encore… Donc, voilà, c’est la première fois de toute ma vie que mon corps est trempé dans une température à -25°C, voire peut-être un peu moins, mais je ne voudrais pas trop frimer. Une première fois gigogne qui déclenche une réaction en chaîne, et donc, d’autres premières fois. Ce qui est loin d’être le cas de toutes les premières fois.
Cela se situe au niveau du corps, essentiellement. Ce corps que l’on transporte, ou peut-être l’inverse, que l’on oublie la plupart du temps parce que l’on est à l’intérieur (et c’est bien connu, de l’intérieur, on a toujours plus de mal à avoir du recul). Un corps dont on ne prend finalement conscience que lorsqu’il nous envoie des signaux « anormaux » (question de statistique) ou extra-ordinaires : un cœur qui bat la chamade et qui semble vouloir sortir de notre poitrine, un muscle qui tire d’avoir trop été sollicité (on ne savait même pas qu’il existait, le long supinateur, et encore moins comment l’utiliser), des tempes qui lancent comme serrées dans un étau, des yeux qui piquent face à l’agressivité gratuite d’une horde d’oignons rouges… Et bien, par -25°C, même bien vêtu, le corps nous rappelle qu’il existe vraiment et qu’il n’est pas une simple illusion d’optique dans le miroir matinal. Certes, il peut y avoir les pieds et les doigts congelés (qui vont jusqu’à nous faire douter de leur présence, un peu comme lorsque l’on se réveille en pleine nuit avec ce très désagréable sentiment de ne plus avoir de bras droit ou de jambe gauche… Circulation malencontreusement coupée par une position totalement improbable. Et bien, même chose. Presque.).
Mais, à partir de -17°C et dans l’effort (comprendre : expulsion d’air chaud provenant de vos entrailles), d’autres signes indolores et plutôt poétiques apparaissent : les joues s’empourprent, les cils, sourcils et mèches rebelles se parent de petites billes de neige. Un mascara hivernal en quelque sorte… Une petite incursion naturelle dans le futur aussi, à un âge plus avancé où le noir de notre chevelure aura abdiqué pour céder sa place à de blanches lignées. Il faut attendre – 22°C, -23°C pour qu’un autre phénomène très très étrange se produise. On ne comprend pas tout de suite ce qui se passe, puisque c’est la première fois que l’on éprouve cette sensation et que l’on n’a donc aucune référence. Cela se passe au niveau du nez, c’est sûr. A l’intérieur, c’est un fait. Ce n’est pas l’air glacial qui vient irriter le cornet supérieur, non, ça, on l’a déjà vécu. C’est autre chose. Quelque chose s’est figé, s’est solidifié. Il n’y a qu’une possibilité : les poils de nez, qui nous passent totalement au-dessus de la tête en général ! Les poils de nez, humidifiés par l’effort, gèlent à -22°C, – 23°C, comme des petites stalactites accrochées aux narines. Et ça, cela peut sembler totalement anecdotique (ce qui est le cas effectivement), mais c’est une imprévisible et étonnante première fois !
30°C d’amplitude thermique entre l’intérieur et l’extérieur. Le choc. Les métaux transpirent. Les verres s’embuent, jusqu’à s’opacifier. Le temps de la réconciliation, le monde disparaît dans un flou massif gommant les moindres détails et nous rendant temporairement aveugles. Sensation de flottement, d’errance entre deux mondes. Réveil post-anesthésie. On progresse à tâtons dans cet univers éphémère où les êtres croisés ne sont plus que de grossières formes sans finesse, à peine l’ombre d’eux-mêmes. Dans ce couloir que l’on devine étroit, la lumière vive nous guide alors jusqu’au miracle : on voit à nouveau !
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Share on Facebook“Sur une branche, perchée avec…”, un rendez-vous quotidien avec un membre de l’échomunauté… Rencontre avec Grégoire Gravrand. Quelle est la place de la photographie dans ta vie ? La photographie m’est venue petit à petit, finalement en même temps que le montage vidéo. Maintenant c’est donc le double de travail, et le numérique n’aide pas […]
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