Photo-graphies et un peu plus…

Au départ, en prenant cette photo, il y a une envie : celle d’écrire sur le succès à la fois enthousiasmant et enrageant des manifestations artistiques publiques et en plein air, à l’instar de la Fête de la Musique, des Journées du Patrimoine, ou, comme ici, de la Nuit Blanche à Paris. Ceci est donc la Rue des Francs Bourgeois. Noire de monde. Pas 1 mètre carré de libre. On y joue des coudes, on se faufile, on se hisse, on se laisse porter, pire, on est emporté, on y hallucine, on se marre, on s’y énerve… C’est quand même un comble de se retrouver bloqué, de cette façon, dans ces circonstances, à cette heure tardive de la journée. Face à ce paysage à horizon bouché, l’arrivée de ce landau, vide, tenu à bout de bras, fendant l’air et la foule, ferait presque office de performance artistique improvisée, à défaut de pouvoir accéder à ce qui se passe dans l’antre violacé…

Mais, ça, c’était au départ. L’arrivée, c’était ce matin, à une station de métro. Une jeune femme est devant moi, en haut d’un escalier de 27 marches, avec un landau. Chargé cette fois-ci de ce qu’il y a habituellement au creux. Un bébé, bien arnaché, en prévision d’imminentes secousses. Quelques braves gars bien bâtis autour d’elle. Oh, pas des centaines, mais bien 5 ou 6. Et pourtant, pas un seul ne lui propose son aide pour lui faire passer cet obstacle en cascade. A vrai dire, elle ne l’espère même pas et descend seule les marches qui la séparent du quai. Tout d’un coup, l’image du landau flottant, l’air de rien, au-dessus d’un magma humain imperturbable et embourbé dans son aveuglement, me saute aux yeux, comme un écho malheureux…

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Je n’ai pas osé m’approcher du cartel, comme l’a fait ce trio intergénérationnel mère-fille-mèregrand, de peur de tomber des nues. Je suis donc restée à distance de ce carré creusé dans la surface et laissant apparaître celle, raturée, de bois brut, de la structure de cette institution new-yorkaise dédiée à l’art moderne. J’aurais eu peur de devoir lire, non pas que le tableau habituellement présent à cet endroit était prêté à un musée quelconque à l’autre bout du monde ou en cours de réparation suite à une trop grande preuve d’amour d’un visiteur, mais que l’absence d’œuvre d’art sur le mur d’un musée aussi prestigieux que le MoMa était elle-même une œuvre d’art… Le vide, un contre-pied au trop plein du monde moderne qui nous assaille de toutes parts. Non, cette fois-ci, j’ai jugé préférable, pour préserver mon amour de l’art, de rester dans l’ignorance.

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Nous nous sommes rencontrés sur un quai de métro. Un matin comme un autre, sur la route du labeur. Rien de bien original donc. Cela a commencé comme ça. Spontanément, il s’est ouvert à moi et ça m’a touchée… Je n’ai pas vu ce temps souterrain passer et lorsque je suis arrivée à ma destination finale, que j’ai dû descendre et donc lui dire au revoir, j’ai eu beaucoup de mal à me focaliser sur autre chose. Heureusement, ayant exactement les mêmes horaires, nous nous sommes donné rendez-vous au même endroit le lendemain matin. Je n’irai pas jusqu’à écrire que j’ai attendu ce moment pendant tout le reste de ma journée, mais je mentirais aussi à ne pas avouer que j’ai pensé à ce qui allait pouvoir advenir ensuite…

C’est donc avec une excitation de jeune fille que j’ai débarqué, le matin suivant, sur ce même quai, pleine d’espoir pour cette relation naissante, et la tête fourmillant de questions. Quels allaient être ses mots aujourd’hui, quelles histoires allait-il me raconter une fois qu’il aurait achevé celle d’hier ? Cette fois encore, ce trajet jadis ennuyeux s’était mu en une subtile et merveilleuse parenthèse. Après quelques secondes, je naviguais dans un autre monde dont je ne connaissais pas les codes. Et plus il se livrait, plus j’avais envie d’en savoir plus, plus les séparations, inévitables, étaient douloureuses. En pensée, nous passions nos journées ensemble. J’ai bien tenté d’entrer en contact avec lui à d’autres moments de la journée, le soir par exemple, mais c’était difficile. Je n’en suis pas spécialement fière, mais autant le dire simplement, c’est une relation cachée chacun d’entre nous ayant sa propre vie.

Evidemment, tout cela est bien frustrant et j’ai souvent rêvé de manquer ma station ou de sécher le travail pour pouvoir prolonger ces instants délicieux. Mais je n’oublie jamais ma station. Quant à me déclarer malade, ce n’est pas mon genre. Je me contente donc de ces interludes matinaux que j’attends avec une indicible impatience. Je suis bien consciente que cette histoire ne pourra durer ainsi éternellement et que ce bonheur volé au temps et à la morosité ambiante disparaîtra aussi vite qu’il est apparu, qu’ainsi dire, il faudra tourner la page. Heureusement, il m’en reste un certain nombre à lire. Et surtout, j’ai un autre tome.

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