Photo-graphies et un peu plus…

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A première vue, tout semble normal et même plutôt agréable. Cinq amis remontent tranquillement la piazza Beaubourg après s’être donnés rendez-vous au pied d’Horizontal, l’immense mobile de Calder qui a récemment remplacé l’infertile pot de fleur doré de Reynaud, siégeant désormais, le fond dans l’eau, au 6e étage du temple d’art contemporain de la capitale. A priori, comme ça, tout va bien donc. Car vous n’avez que l’image. Oh, ce n’est pas le son des saltimbanques et autres troubadours de tous bords animant la place en journée qui pose problème. Tout est calme. Le problème vient d’ailleurs et dans quelques secondes, en passant à droite des deux mystérieux périscopes, la poignée d’amis va y être violemment confrontée. A l’odeur. A cette répugnante odeur de vieille pisse et d’ammoniaque qui saisit toute narine non bouchée, et même les plus enrhumées, s’avisant d’emprunter naïvement le même chemin.

A croire qu’il est inscrit « urinoir » dans l’entredeux des périscopes ! Le « p’tit coin » de chez soi s’exporte sans complexe à l’extérieur à partir d’une certaine heure et d’un degré plus ou moins avancé d’alcoolémie, et ce, malgré les pissotières gratuites installées par la ville lumière un peu partout. Le but, pour ces mâles impatients, est-il encore de marquer leur territoire ? Le jour, sobre, passent-ils devant leurs p’tits coins en se disant fièrement : « Tiens, j’ai déjà pissé là ! » Au même titre que la ville s’échine à effacer des graffitis ne faisant parfois de mal à personne, n’existe-t-il pas une formule chimique qui permettrait d’annihiler l’odeur d’urine ou un répulsif à pulvériser dans les p’tits coins potentiels pour couper court à toute tentative de relâchement pestilentiel ? Une telle invention remporterait au moins le concours Lépine !

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Tout était pourtant extrêmement bien préparé… J’avais les bonnes chaussures, les bonnes chaussettes aussi – c’est important quand on s’apprête à marcher 5 heures – ; j’avais prévu le pique-nique à mi-parcours sur la plage à mâter les surfers défiant, non pas des vagues géantes, mais les basses températures du Pacifique nord ; j’avais aussi la bouteille d’eau additionnelle pour les petites soifs pendant la rando qui comptait quelques belles montées et d’aussi belles descentes ; j’avais des barres de céréales revigorantes à dévorer à l’arrivée pour repartir du bon pied et la certitude que ma batterie serait encore pleine à ce moment, car le point de vue d’en haut se devait d’être splendide. Enfin, c’est pour cette promesse de beauté que je m’étais engagée sur ce chemin serpentant entre vues plongeantes sur un océan bleu intense, à quelques dizaines de mètres en contrebas, brillant de mille éclats, à l’immensité aussi subjuguante qu’irréelle et forêt pluviale sombre où les rais forts du soleil arrivaient toutefois à se frayer subtilement un passage, éclairant intensément fougères ou autres plantes vertes tapissant un sol idéalement meuble pour la colonne, vertébrale, comme la poursuite, l’auteur d’un one man show sur une scène de théâtre.

Le dernier kilomètre se faisait d’ailleurs sous cette chape un brin humide, maintenant, jusqu’au bout, le plus grand secret sur l’horizon. Cet horizon même où il devait se détacher. Ce petit phare en avant poste sur un rocher à quelques encablures de la côte. Une curiosité dans cette région. L’objectif de cette marche. Plus que quelques mètres, satisfaction, le chemin s’ouvrait sur le bleu de l’océan, palpitations, et à l’horizon, point de phare mais une bande de brume épaisse ne laissant rien deviner de ce qui se tramait derrière. Il était là pourtant, je le cherchais du regard, scrutais la cime des arbres en espérant une rafale qui balayerait toute cette ouate, je croquais une barre de céréales pour lui donner le temps de filer, vidais ma bouteille, piétinais, faisais même quelques étirements, et comme si je n’étais pas là pour ça, mais rien. Rien ne s’était passé. Le brouillard s’était installé et le phare ne s’était pas montré. Il ne me restait plus qu’une chose à faire, demi tour. A ruminer cette ironique déconvenue, cette rencontre avortée. Ce pied de nez météorologique, ce contretemps, ce temps contre moi, pire, qui se joue de moi : arrivée en bas, la brume s’était dissipée et le phare, des plus classiques, s’était dévoilé…  Prouvant, une nouvelle fois, qu’il est important d’apprendre à vivre avec cette idée que le point que l’on atteindra à l’issue du chemin ne sera pas forcément celui que l’on attendait, ou espérait, malgré les jalons, malgré les efforts, malgré les certitudes. Et ainsi d’apprendre à vivre sur le chemin et à l’apprécier tel qu’il est. Car, en toute honnêteté, elle est plutôt belle cette vue tri-bandes et même plus énigmatique et originale que celle que j’étais venue voir.

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